Je n'aime pas vraiment manger à table. C'est une perte de temps. Je ne peux pas juste manger. Il faut que je fasse d'autres choses en même temps. Comme regarder la télé, c'est pas grand chose mais c'est suffisant parfois. Sauf qu'ici il n'y pas de télé. Le réfectoire et froid et pas très accueillant, un vieux réfectoire presque aussi lugubre que celui du centre. Je me sers un boule de céréale, des céréales aux pétales de blé complet et au chocolat blanc, plutôt bonnes. Je les inonde de lait. J'ai déjà grignoté tout à l'heure mais là j'ai encore faim alors je mange. Et puis des céréales ça ne me ferait pas de mal. Sauf que du coup je ne m'assieds pas. De toute façon je ne m'assieds jamais. J'ai toujours une jambe sous les fesses, je suis à genoux sur la chaise mais je suis incapable de poser mes fesses sur une chaise convenablement. Là n'est pas la question, puisque je me lève mon bol de céréales dans les mains. Je sais qu'on ne doit pas manger en marchant, que ça facilite la digestion de manger assis. Foutaises. Je marche et j'avance. J'explore. Je ne connais pas encore bien les lieux. Ça fait une semaine pourtant qu'on est là. C'est tellement grand et tous ces bâtiments se ressemblent. Je rentre dans un grand truc, un truc immense. Je me sens tellement minuscule dans ce débarras tout poussiéreux. Une caverne d'Ali-Baba pour cinéphile. Bon puisque je suis ici je rentre et j'explore. De quoi passer le temps en gros. J'entre. Je marche tout en mangeant. Je monte à l'une des échelles, sur une passerelle, je suis proche des armes factices lorsque j'entends du bruit derrière moi. Je sursaute et mon bol d'écrase sur le sol. « Merde ! » Les bruits se rapprochent alors je me tourne violemment avant d'agripper une arme. La réplique de celle de Tony Montana. « Say hello to my little friend... » Je crie en braquant ... une jeune femme. Toute jeune, tout chétive, sans doute très innocente. Mon sourire s'affadit, j'espère que je ne lui ai pas fait peur. Trop tard je crois. En attendant je la braque toujours avec mon flingue en plastique.

C'est amusant. En quelque sorte. Les femmes sont indifférentes à ma personne. Dans la ''vraie'' vie, elles m'ignorent. Je n'existe pas pour elles. Ou alors, elles se moquent de moi. Sont méchantes. Comme ma mère. Elle est méchante la plupart du temps. Pire encore quand elle boit. Je n'ai pas d'amis. Encore moins d'amies. Je voudrais bien pourtant. Je pense. Quelqu'un qui me comprend. Je ne fais rien à personne. J'ignore les autres au même titre que l'on m'ignore. Je ne comprends pas pourquoi on se moque autant de moi. Outre ça, on ne peut pas dire que j'existe pour la gente féminine. Aucune femme ne me demandera de venir faire du shopping avec elle un jour. J'ai pas d'argent, de toute façon. Bref. Si je n'ai pas de problèmes trop conséquents avec les femmes à l'extérieur, si elles se contentent de passer leur chemin, c'est un peu différent ici. Je viens ici une nouvelle fois. Cet immense endroit avec tant de trucs stockés. Je n'y porte pas tant d'intérêt que ça. C'est juste sympa de venir ici. Et si, il y a quelques jours, je me suis faite attaquer par une épée, là, maintenant, c'est un flingue. Je dois débarquer au mauvais moment. J'ai entendu du bruit alors je suis venue. J'aurais pas dû. Puisque la brune à la grosse poitrine, là, elle me désigne avec son flingue. En m'assénant d'une phrase. Oui. D'accord. Je suis censée réagir comment à ça. Je lève les mains à hauteur de mes épaules. J'ai rien fait, moi. J'espère au moins que ce n'est pas un vrai. Même sans ça, elle peut très bien juste me le balancer dans la tronche et me faire mal. Je vais plus jamais venir ici, moi. Jamais. « Je voulais pas te déranger. » que je souffle, déboussolée. Si elle pouvait ranger son arme maintenant, ça serait bien. C'est quand même perturbant de se retrouver dans cette situation. Un flingue, une inconnue. C'est pas tellement rassurant. La présence des caméras ne m'assure pas une espérance de vie plus élevée, apparemment. « Si tu préfères que je parte, tu n'as qu'à le dire. » j'ajoute tout de même. Et je partirai. Je veux pas mourir, moi. Je suis trop jeune pour ça.

Je crois que je regarde trop la télé. Les films tout ça j'adore. Bon en même temps il faut que je me mette au courant des dernières nouveautés, que j'ai de quoi raconter sur mon blog. Souvent je raconte n'importe quoi, c'est ce qui attire les gens d'ailleurs. Mais j'aime bien me renseigner. Et puis j'ai tendance à virer parano parfois alors quand j'entends du bruit et que mon bol me glisse des mains et bien je m'imagine des choses. Un zombie tueur. Non pas un zombie finalement on est dans la journée. Quoi que dans The walking dead ils sont là la journée. J'ai jamais compris pourquoi d'ailleurs. Mais bon, je n'ai jamais regardé cette série alors c'est peut être pour ça. En sortant peut être. Peu importe. Je me saisis d'une arme. En plastique mais mon agresseur ne le sait sans doute pas. Je sors une phrase menaçante aussi, tout droit sortie de Scarface mais les agresseurs ça ne connait pas le cinéma. Dans ma tête c'est comme ça du moins. Sauf que mon agresseur n'en est pas vraiment un. C'est une jeune femme qui lève les mains. Je crois que je viens de la traumatiser à vie la pauvre. « Je voulais pas te déranger. » Je secoue la tête. Et je me rends compte que je la braque toujours. Bon je pense qu'elle ne va pas me faire du mal. Je peux arrêter de la braquer. « Tu ne me déranges pas. Mais tu m'as fait peur parce que j'ai entendu du bruit, résultat j'ai fait tomber mon bol contenant mon petit-dej' résultat j'ai eu la rage, je me suis mise à imaginer des trucs et je t'ai braqué.. » Je hausse les épaules comme si c'était normal. Dans ma tête ça l'est en tout cas. Je ne vois aucune faille. « Si tu préfères que je parte, tu n'as qu'à le dire. » Hum non mais ça va, elle ne me dérange pas. Pas du tout. « Si tu me jures que tu ne vas pas te venger et tenter de me tuer quand je me serais retourné pour poser ça tu peux rester. Et même qu'on pourrait trouver des trucs intéressant à faire. T'es déjà venue ici toi ? Moi c'est la première fois, et je suis un peu perdue à vrai dire.Et je parle toujours autant oui oui mais je ne suis pas méchante je t'assure. » Et bien, tout ça. Je peux respirer maintenant.

Ça m'arrive toujours, ces trucs-là. C'est toujours sur moi que ça tombe. Toujours. Je ne fais rien pour, pourtant. J'ai rien fait, là. Je ne crois pas, en tout cas. Mais je ne rêve pas, elle a son flingue pointé sur moi. Moi. Comme si j'étais une criminelle. Ou quelqu'un de méchant. Je n'en ai pas l'impression. D'être méchante. On me dit souvent que je le suis. Et que je suis une mauvaise influence. Mais je ne vois pas en quoi. Je la connais pas, elle. Elle ne me connaît pas non plus. Je ne vois pas pourquoi elle a décidé de me viser. On ne vise pas les inconnus. Les méchants et les coupables, oui, je veux bien. Mais je suis innocente, moi. Mon erreur, c'est peut-être de l'avoir dérangée. Et encore, je n'ai même pas parlé. Si j'avais parlé, ça aurait peut-être été pire. Ça arrange rarement les choses, quand je parle, alors je suppose que oui. Elle m'explique pourquoi. Pourquoi elle m'a visée, moi. La raison, c'est que j'ai fait du bruit, je crois. Ah. J'en ferai moins la prochaine fois. Heureusement, elle a changé son flingue de direction alors je baisse tout doucement mes bras. Je la regarde. Je cligne des yeux. Je la regarde. Je cligne des yeux. Je peux partir. Si elle préfère être seule. Peut-être qu'elle préfère la solitude. Peut-être. J'attends sa réponse pour savoir. Sa longue réponse. Oui, je la trouve longue. Elle me parle de meurtres. Elle me dit qu'elle n'est pas méchante. Et tout ça dans une même phrase, ça a tendance à m'embrouiller. Et à me faire croire l'exact contraire. C'est pas grave, elle peut être méchante. J'ai l'habitude. Donc ça va. Elle a posé une question aussi. Si je suis déjà venue. Oui. Tout dépend si elle veut dire être venue et être restée plus de cinq minutes ou juste être passée vite fait. Je ne sais pas, je vais inclure les deux dans ma réponse, ça sera plus simple. « Oui. » je déclare simplement. Moi, je me comprends. Je sais de quoi je parle, quand je dis oui. C'est peut-être pas son cas, c'est vrai. « Oui, je suis déjà venue. Mais je connais pas très bien, moi non plus. » Je secoue légèrement la tête pour accentuer mes paroles. Je n'ai pas pris le temps de tout regarder, tout examiner. Ça me prendra du temps, de faire ça. Et je ne suis pas certaine d'avoir envie de perdre trop de temps ici. Et quand elle dit qu'on peut faire des trucs intéressants, ça inclut une quelconque arme ou pas ? Si c'est le cas, je vais peut-être retourner d'où je viens. Mon regard glisse jusqu'à ce bol. Qui doit être le sien. Qui est écrasé au sol. Là, c'est sûr, elle ne va pas pouvoir manger ce qu'elle avait mis dedans. Ou alors, elle va devoir faire attention. Ça pourrait être dangereux.