Je vérifie que mes douleurs articulaires sont passées. J'étire tous mes muscles. J'ai encore un peu mal à mon épaule. Mais je peux encaisser. Je peux reprendre le sport, je crois en espérant, je ne me ferais pas de déchirure musculaire. Il suffit que je fasse attention et tout ira bien. Du moins, en théorie. Mon corps s'est assez reposé comme ça. Je sais que ce n'est pas prudent. Je prends des risques en agissant de la sorte. Mais bon, je pense que ça devrait aller. J'arrive dans la salle, vêtu de mes affaires de sport. Le décor penché se dresse sous mes yeux. L'escalade, une de mes autres passions. En temps normal, je le pratique sans harnais. Là, vaut ne mieux pas tenter le Diable. Mon épaule ne s'est pas encore complètement remis. Au moins, j'ai un filet de sécurité au cas où un de mes membres me lâcherait. Je m'équipe de mon harnais. Les mousquetons sont mis en place. Je vérifie que c'est solide et que tout le matériel est bien installé avant l'ascension. Un nouveau défi à relever. Je pose mon pied sur la première prise. Je me hisse et j'atteins une prise avec ma main droite. Je commence à escalader le mur. Prise sur prise, je monte de plus en plus. J'adore cette sensation que me procure l'escalade. De l’adrénaline, de l'excitation. Je regarde en haut. Une personne était là avant lui. Vu d'ici, je ne reconnais pas la silhouette. Je continue à monter jusqu'à arriver à la hauteur du candidat. Enfin, de la candidate. Je la reconnais. Ses muscles sont raides, son visage est pâle. Elle a le vertige, on dirait. Comment est-elle arriver à monter jusqu'ici ? Je m'approche d'elle pour m'enquérir de son état. Je la scrute longuement. Elle n'a pas l'air bien du tout. Elle semble ne pas avoir remarqué. Je lui demande d'une voix calme : - Est-ce que ça va ? T'as besoin d'aide pour descendre ? Elle ne va pas rester là comme même. J'ignore depuis combien de temps elle est dans cette position. C'est courageux de sa part d'être montée jusqu'ici, mais elle est sur le point de défaillir. Je m'inquiète. Son mutisme ne me signale rien de bon.

Ce truc, c'est bizarre. C'est la première fois que je vois un truc comme ça. Il faut dire que j'ai beaucoup de premières fois dans ce jeu. Beaucoup trop pour toutes les détailler. Je me contente de regarder ce mur pendant un certain temps, mains sur les hanches. C'est étrange. J'ai cru comprendre à quoi ça servait. J'ai vu d'autres candidats utiliser ce truc. S'amuser à l'escalader. J'ai vu aussi comment ils font pour attacher tout ce qu'il faut pour éviter de tomber. Et probablement de mourir, je ne sais pas. Je ne suis pas très sportive. Pas spécialement casse-cou. Pas dans le sens où je vais escalader le premier mur dangereux que je croise, pas dans le sens où je vais aller jouer la funambule au-dessus d'un ravin. Pourtant, je décide de m'équiper. Exactement comme j'en ai vu d'autres faire. Je ne sais pas si c'est bien fait ou non. Je m'élance quand même, j'attrape prise après prise, je pousse sur mes jambes, je tire sur mes bras, je grimpe. Encore et encore. J'en suis presque contente. Puis j'observe ma progression. Le sol me paraît bas. Terriblement bas. Je relève le regard, je le garde fixé devant moi. Ma respiration s'accélère, ma gorge s’assèche. C'est trop haut, beaucoup trop haut. Je suis assaillie de doutes. Est-ce que j'ai tout bien fait avant de monter. Je n'en suis pas sûre. Je ne sais pas. Je me remémore les gestes dont je me rappelle, je les compare à ceux que j'ai pu observer. Je trouve forcément quelque chose qui cloche, un geste que je n'ai pas réalisé de la même façon. Je suis mal attachée. Je vais tomber, je vais tomber. Je suis accrochée de toutes mes forces aux prises quand j'entends une voix. Ça me fait sursauter, mon pied manque de déraper. Ma respiration tremble. Probablement autant que ma voix. J'entends ce qu'il me dit, comme un bruit de fond. Si ça va. Si j'ai besoin d'aide. « Je vais tomber. Je vais tomber. Je suis mal attachée, je vais tomber. » je murmure, toujours le regard dans le vide. Ça me prend bien trente secondes pour qu'une horrible constatation me frappe de plein fouet. Je lui dis ça. À lui. Lui. Je suis là, à deux doigts de tomber, de mourir ou de me casser un os. Et je lui dis ça. Ça affole encore plus mes pensées. « S'il te plaît, me pousse pas. » je continue, toujours en murmurant, la voix hésitante. S'il te plaît, s'il te plaît, s'il te plaît. Qu'il ne me pousse pas, qu'il n'en profite pas. C'est un peu optimiste. S'il peut en profiter, pourquoi s'en priver. J'en connais certains qui ne rateraient pas cette occasion.

Je suis ravi que la production ait pensé à installer un mur d'escalade. Un mur d'escalade un peu particulier. C'est le fameux décor penché. Je sais que ce n'est pas raisonnable de monter alors que mon bras ne s'est pas encore complètement remis. Ça va me passer. Je sais que je m'entête. Je connais plutôt bien mon corps. Je récupère vite. Ce n'est rien et ça ne me dérange pas plus que ça. La douleur s'est calmée grâce au patch anti-douleur. Mais pour combien de temps ? Je l'ignore. Il faut que j'évite de me surmener et que j’apprenne à me restreindre un peu. Ce qui n'est pas chose aisée puisque je me donne toujours corps et âme dans tout ce que j'entreprends. J'arrive dans la salle, mon sac de sport à la main. Je m'équipe de harnais et de mousquetons. Je commence mon ascension du mur. De prise en prise, je parviens à me hisser jusqu'en haut. De là où je suis, la hauteur est conséquente. Je regarde tout de même en bas pour jauger la distance qu'il me reste à monter. J'avance rapidement. Je suis arrêté dans mon élan lorsque j'aperçois un candidat qui ne bouge plus. Interloqué, j'arrive à sa hauteur. Je la reconnais. C'est cette fille ... Opaline, je crois. J'ai cru entendre son nom lors du dernier prime. Elle semble paniquée. Elle ne peut plus bouger. La peur la saisit. - Je vais tomber. Je vais tomber. Je suis mal attachée, je vais tomber. Je me rapproche doucement d'elle. Je vois à son visage qu'elle est terrorisée. Il faut qu'elle reste calme. C'est la peur du vide. Je ne sais pas quoi dire pour la rassurer. - S'il te plaît, me pousse pas. Ce ne serait jamais venu à l'esprit de la pousser. Elle pourrait se tuer. J'examine son harnais. Oui, elle ne l'a pas mis correctement. Je lui dis d'une voix douce pour la rassurer. - Ça va aller. Respire. Je sus là pour t'aider. Je ne vais pas la lâcher. Le problème, c'est que je ne peux pas remettre son harnais à la bonne place. Il faut que je l'aide à descendre. Pour cela, il faut qu'elle se calme. - Ecoute. Je vais t'aider à descendre. Mais tu dois avoir confiance en moi. Je suis près d'elle. Je peux entendre sa respiration haletante. - Tu peux bouger ? , lui demandai-je calmement.

Je suis vraiment stupide. Vraiment. Quand tout le monde dit que je le suis, c'est pas pour rien. Je suis stupide. Une idiote, une imbécile, une abrutie de première. Et voilà où j'en suis. Sur ce mur d'escalade avec la mauvaise impression que je suis mal attachée. Génial. Et bien sûr, il n'y a personne qui m'a stoppée dans mon élan, ah ça non, personne. Personne pour me dire de ne surtout pas monter à ce mur. Personne pour me dire que je faisais une connerie. Évidemment. Je ne sais pas si le pire, c'est d'être toute seule, là, maintenant. Ou d'avoir de la compagnie. Vraiment, je ne sais pas. Parce que je ne peux pas m'empêcher de penser qu'il va faire quelque chose pour me mettre encore plus en mauvaise posture. Je crois que c'est vraiment dangereux, là. Vraiment. Sans un bon équipement, du moins, ça l'est. J'ai du mal à penser correctement. Je peine aussi à respirer comme il faut. Mes muscles vont lâcher, j'en suis sûre. Mes mains souffrent d'être autant agrippées à ces prises. Ça avait l'air plus marrant quand c'était les autres qui le faisaient. Je me répète de ne surtout pas regarder en bas, surtout pas, surtout pas. Mais je m'imagine encore pire que la réalité, je crois. Je ne sais pas. La réalité, c'est qu'il y a Enoch qui est là. Oui, oui, juste là. Et qu'il me demande de lui faire confiance. Bien sûr. Ça risque d'être difficile. Puisque je fais autant confiance à ce harnais que je lui fais confiance, à lui. Je crois que je préfère rester là. Oui, je suis bien là. Et lui, il est trop proche de moi. Je vais encore pleurer. Comme ça, c'est certain, tout le monde saura que je suis une pleurnicheuse, et une trouillarde. Si je peux bouger, maintenant. C'est ça qu'il veut savoir. Oui, je peux. Sans mourir, je ne suis pas certaine. Il me demande peut-être pour savoir quand il va me pousser, je ne sais pas. Je ne sais pas. « Non, je vais... rester là. Oui, je vais rester là. Je suis bien, là. » Je suis bien, évidemment que je suis très bien ici. Au bout d'un moment, il y aura peut-être quelqu'un qui aura pitié de moi donc peut-être que quelqu'un viendra me chercher. Avec une échelle, par exemple. Ou un autre truc rassurant, j'en sais rien. Parce que je vois difficilement comment il pourrait m'aider, lui. Je ne doute pas qu'il a de la force, ah ça non, je sais qu'ils ont de la force, les hommes. Oui, je suis bien placée pour le savoir. Mais étant donné qu'on est un peu suspendus au-dessus du vide et que j'ai trois chances sur quatre de mourir, ça me rend un tout petit peu curieuse, je l'avoue. En attendant, ouais, je suis très bien ici.