/w Odessa.

Une cinquième semaine s'annonçait, et si j'étais plus que démotivé et par le départ de mon père, et par l'annonce du fait qu'il ait fait partie des traitres, je tentai, tant bien que mal, de voir le bon côté des choses, si bien que le fait qu'Odessa restait me suffisait pour être souriant. D'ailleurs, c'est dans l'optique de célébrer cette "victoire" de sa part que j'étais là, à présent. Je me demande d'ailleurs si à force de dire qu'il n'y avait rien de "plus" entre moi et Odessa, les seuls qui y croyaient encore seraient bel et bien les deux concernés ... On verrait bien. C'est dans ce but que je l'avais emmenée, aujourd'hui, au jardin botanique. Histoire de pouvoir profiter un peu du plein air et de la verdure. Je faisais exprès d'être plus joyeux que d'habitude, parce que je n'avais pas envie de lui laisser de mauvais souvenirs ; pas de moi, pas de nos moments passés ensemble. C'était hors de question. Je ne voulais pas non plus lui sauter dessus : à force, elle finirait par croire que je ne savais faire que ça ... Et ce n'était pas complètement vrai. J'avais donc préparé un classique pique-nique français composé de sandwiches à la baguette et au jambon fromage ; avec, pour le dessert, des pains au chocolat qui m'avaient pris un temps monstre à apprendre à faire mais que je pouvais reproduire aujourd'hui, après tant d'années d'entrainement, sans grand soucis. À condition d'avoir un bon four, évidemment. Nous nous étions installés là, sur une étendue de pelouse, sur cette nappe à carreaux typique des clichés américains.

Une fois le déjeuner agréablement achevé, je procédai à la partie principale de l'après-midi organisée : une session constituée à apprendre à se connaitre un peu mieux spirituellement. C'était le prochain cap le plus logique, après tout.

- Bon ... lui dis-je donc alors, lui déposant un demi-verre de rouge entre les mains. - Et si tu me parlais un peu de toi ? De ton enfance, peut être ? j'ajoutai alors plus doucement : J'aimerais apprendre à mieux te connaitre, en fait ... Et cette fois-ci, ce n'était pas pour trouver son secret. J'avais carrément oublié qu'elle en avait un, pour une fois. J'étais un homme, elle une femme, et c'était tout ce que j'avais en tête, à ce moment précis, il fallait l'avouer.

J'étais encore là, en effet. Mais d'autres, eux, n'avaient pas eu cette chance et je pensais plus particulièrement à Hadatt qui, même si je le connaissais assez peu au final, devait à présent manquer affreusement à certains candidats. Des candidats m'étant proches. Pour autant, je n'avais pas envie de revenir sur ces nominations qui avait été d'une, stressantes pour moi de part ma bêtise assez impressionnante et vexante, aussi un peu. Avais-je le droit de me plaindre cependant ? Aucunement et ce n'était donc pas ce que je comptais faire et surtout pas auprès de Cosmas qui aurait été bien plus en droit de se plaindre, lui. Ce jour-là, il avait prévu un pique nique et si l'idée m'avait surprise, je n'étais absolument pas contre. Au contraire même, cette rencontre un peu différente des autres pourrait se révéler intéressante et surtout, je ne disais jamais non lorsqu'il s'agissait de me faire bichonner. Il avait tout prévu : la nourriture, le lieu, les boissons, absolument tout et je le suivis donc, jusqu'au jardin botanique où nous avons alors partager un déjeuner tout à fait parfait. Pour autant, la rencontre n'était pas terminée et je n'allais pas tarder à le savoir car à peine le repas terminé, Cosmas me glisse un verre entre les doigts et commence à me questionner. Hum. « Oh toi aussi tu essaies de me faire boire pour me sortir les vers du nez ? Ma foi, je commence à être habituée... » Et je radote aussi, accessoirement. Je lui souris et soupire légèrement. J'imagine que c'est la meilleure chose à faire en effet, apprendre à se connaître. Autrement que charnellement je veux dire. « Il n'y a pas grand chose à dire sur mon enfance si ce n'est que tu ne te serais certainement pas retourné sur moi à cette époque... Et toi alors ? Tu as grandi en Grèce, c'est ça ? » La Grèce... Ca me paraît tellement exotique comme ça en réalité...

Son doux visage me questionne, et je crois que ça me vexe légèrement, l'air de rien, qu'elle me dise que j'essaie de lui "tirer les verres du nez" alors que non, ce n'était pas vrai ; pas aujourd'hui. Je cherchais juste à mieux la connaitre, moi, histoire de voir si nos esprits étaient aussi compatibles que nos corps, quoi. Si c'était le cas ... Ne me demandez pas ce que je ferais, mais c'était sûr que ça bougerait un peu les choses. Si ça ne l'était pas, c'était tant pis, mais elle continuerait à avoir une belle paire de fesses - et de seins par la même occasion.

- Même pas, tu vois ? Je crois que tu devrais savoir que tu m'intéresses beaucoup. Je lui souris, espérant que ces paroles lui ferait comprendre que je m'en fichais, moi, de démasquer son secret, là, aujourd'hui. Je voulais simplement voir qui se cachait sous cette chevelure rousse, et s'il était possible de la désirer davantage que pour son corps, en fait. Et sa spontanéité, aussi, hein. C'était sa spontanéité, son atout principal, dans tout ça. Enfin... L'un des, quoi.

Néanmoins, elle reste assez cryptique, Odessa. Elle ne m'en dit pas beaucoup sur son enfance, même si je crois comprendre qu'elle se disait moins belle plus jeune que maintenant ... Je n'y croyais pas plus que cela, moi, mais si ça lui faisait plaisir, hein ! Et elle me pose alors, à son tour, des questions. "Et toi ?", "tu as grandi en Grèce" ? J'inspire un peu, du coup, puis, je me lance :

- Moi ... J'ai jamais fini mes études. je commence donc, avant d'enchainer : Et ouais, j'ai grandi en Grèce. Toi en Irlande, je suppose ? c'était bizarre, une discussion comme ça, mais bon ... On s'y habituerait avec le temps, non ? Je l'espérais, en tous les cas.

Non, il n'essaie pas de me tirer les verres du nez. En même temps, j'aurais trouvé ça assez dégueulasse mais aussi redoutablement intelligent. Oui, séduire la fille, lui donner l'impression qu'elle compte à vos yeux, chercher sa compagnie et puis finalement, au moment opportun, la faire boire un peu et... lui tirer les vers du nez. Ou plus précisément, le secret de la bouche. Intelligent, en effet mais je ne peux me résoudre à croire que c'est ce que Cosmas fait, en cet instant précis et d'ailleurs, ce n'était même pas mon but, je ne sous-entendais pas du tout qu'il en avait après mon secret, je disais ça... de manière générale dirons nous. « Je crois que je le sais déjà, oui. » Que je l'intéresse ? Tout le monde l'a vu. Même Ch... Bref. Dans tous les cas, je suis assez contente qu'il souhaite en apprendre plus sur moi même si cette conversation va forcément être un peu difficile, à un moment donné. Il me parle de mon enfance, et je n'ai pas vraiment envie d'en parler. Pas à lui en tout cas parce que... bon... voilà, j'étais ce que j'étais et je suis ce que je suis. Autrement dit, ça n'a rien à voir et je n'ai pas envie de revenir là-dessus. Heureusement alors, il n'en dit rien et ne répond pas à ma question. Enfin, pas tout de suite. « Moi non plus, je ne les ai jamais terminée.... On pourrait jouer à ça d'ailleurs, 'je n'ai jamais', non? Tu faisais quoi comme étude ? » Ça m'intéresse. Et d'ailleurs ... « Et tu fais quoi dans la vie en fait ? » Mannequin est la réponse qui me vient assez naturellement à l'esprit mais... je ne pense pas. Puis il me répond et je lui souris. « Oui, en Irlande oui... » C'est alors que je repense à Hadatt. Je sais que tout ça doit lui faire de la peine mais je ne peux me résoudre à taire ce sujet. Après tout, si ça ne lui va pas, il n'aura qu'à me le dire, c'est aussi simple que ça. « Hadatt vient d'Irlande aussi ? » J'ai cru comprendre que c'était sa mère qui était grecque alors bon...

Elle m'intéressait, Odessa. Les rousses étaient intéressantes, aussi. Une aura fascinante semblait les accompagner au travers des ages. Pourquoi diantre croyez-vous que les médiévaux les brulaient en tant que sorcières, après, tout, hein, dites donc. Elles étaient ensorcelantes, point, et plus tôt cela aura été admis, plus facile cela sera pour tout le monde. Elle me dit qu'elle sait qu'elle l'intéresse. C'était pas une si grande surprise, ça, après tout. Elle semble ne pas trop vouloir parler de son enfance, mais je ne m'en vois pas découragé pour autant. J'en saurais plus sur elle à la fin de la journée, c'était presque une évidence. On parle de ce qu'on a jamais terminé, là. Des études, plus précisément, et elle me propose un jeu. "Je n'ai jamais". Pourquoi pas. C'était juste dommage que ma liste de choses que je n'avais jamais faites était trop longue ... Je crois que je pourrais la réciter pendant plusieurs jours d'affilée tant elle était remplie, en fait. Ce n'est que lorsqu'elle me demande ce que je faisais comme études que je baisse les yeux, un peu penaud. Elle allait vraiment me prendre pour un bouseux de la campagne, là, c'était pratiquement obligé.

- Je ... Lycée. Et j'avais même pas mon bac, en plus. Quelle honte. Du coup, je suis ... Je me tais un instant. Je laisse le silence s'accumuler, en fait. Électricien. Waaaaw. Ça valait l'attente, n'est-ce pas ? C'est ce que je me disais aussi, ne vous inquiétez pas. Et toi, tu fais quoi ? Une jolie fille comme elle. Elle devait en avoir eu, des opportunités, dans sa vie. Plus que moi, j'en étais sûr. Lorsqu'elle me demande si Hadatt venait d'Irlande, je hoche la tête, parce que je n'ai pas trop envie de m'étaler beaucoup sur le sujet.

- Tu as souvent voyagé ? lui demandais-je finalement. On joue plus trop à je n'ai jamais, là, mais bon, on y reviendrait, je crois.

Ainsi donc Cosmas veut en savoir plus sur moi. C’est intéressant. Et un peu flippant. On dirait qu’il est entré dans ma tête, lors de ma conversation nuptiale avec Charles, celle où sans savoir pourquoi, j’ai fait un peu le récapitulatif de mes relations avec les deux candidats et que j’en suis venue à la conclusion que moi et Cosmas ne nous connaissions pas. Enfin, charnellement mais ça ne suffit pas vraiment. Du coup, je suis assez contente qu’il m’ait proposé une conversation de ce genre même si au final, je ne suis pas très encline à répondre à sa première question. Mon enfance. Il n’y a clairement rien à dire là-dessus, pour sûr. J’étais un peu gauche, pas franchement confiante et moche. Quelle godiche, je vous jure et plus les personnes au courant sont peu nombreuses, mieux je me porte. Alors quand il me dit ne jamais avoir fait d’études, je m’engouffre dans la brèche et je lui pose des questions. Sur lui, ce qu’il fait, tout ça… Ainsi donc il a arrêté au lycée. Oh, ça ne me gène pas, c’est comme ça, c’est tout. Et puis il se fait désirer pour la suite ce que je trouve étrange. Electricien ? Je n’aurais jamais pensé à ça, c’est étrange. « Je ne t’imaginais pas dans ce genre de branche mais c’est toujours utile ! » Bah oui, et puis ça veut dire qu’il sait se servir de ses mains… Je m’égare. « Je travaille dans l’organisation de soirées, mais disons que je suis en bas de l’échelle alors en général, je contribue plus à la cafetière qu’à la soirée en tant que telle. » Je suis larbin en gros, assistante d’assistante. C’est génial. Quand je parle d’Hadatt, par contre, il ne répond pas, acquiesçant seulement. Il n’a donc pas envie d’en parler. Pas grave, je ne vais pas l’obliger. Quant à mes voyages… « Certainement moins que toi. J’avais été aux Etats-Unis, déjà, mais assez rapidement, comme ça, en touriste et puis, l’Angleterre et la France, ça reste tout prêt… C’est comment la Grèce ? Tu parles grec alors ? Et tu écris avec les symboles bizarres ? » Oui, je suis très cultivée, j’appelle ça des ‘symboles bizarres’. Espérons qu’il ne se vexe pas.

Je crois qu'elle avait cherché à esquiver le sujet de son enfance. Bon, au moins, elle n'avait pas essayé de me faire parler de la mienne. Non, parce que c'était loin d'avoir été la joie tous les jours, à ce moment là, je peux vous le confirmer, oh que oui. J'ai un peu peur de la réaction d'Odessa, quand même. Elle devait s'attendre à faire face à un riche gentilhomme issu du pays de Zeus et d'Apollon; au final, je lui offrais un minable électricien incapable de subvenir aux besoins de sa famille et de rester heureux en même temps. Bref. Je souris cependant légèrement. Sa réaction, bien que surprise, ne me semble pas défavorable.

- Et dans quoi me voyais-tu dans ce cas ? je m'autorise donc à lui demander, légèrement amusé. Ça m'intéressait vraiment, pour une fois, l'opinion qu'elle pouvait avoir de moi ... Comme quoi, l'avis des autres, lorsqu'ils comptaient à mes yeux, n'était pas à négliger non plus, contrairement à ce que j'avais pu penser avant mon arrivée ici. Au moins, elle ne fait pas quelque chose de bien prestigieux non plus, ça me rassurait. C'était égoïstement pensé, et pourtant, tellement vrai : j'aurais eu la honte si elle avait été une chanteuse internationale comme Brune, par exemple.

- J'vois. Ça te plaisait ? Tant que ça lui plaisait, hein, c'était ça, l'essentiel. Elle me dit avoir moins voyagé que moi, ce qui me fait sourire, parce qu'hormis un bout d'Angleterre, l'Irlande, la Grèce, et, maintenant, les États-Unis, je n'avais presque rien vu non plus. Elle me pose alors tout un assortiment de questions auxquelles répondre n'est pas chose aisée.

- La Grèce ? C'est ... Chaud. Et Beau. Tu devrais y venir, un jour. Et oui, je parle grec. C'est ma langue maternelle, en fait. Je ne peux m'empêcher de rire légèrement lorsqu'elle me parle des symboles bizarres. Ça s'appelle un Alphabet, en fait. Donc oui, je l'utilise. Je lui souris ; le genre de sourire qu'on fait non pas pour se moquer mais pour dire que l'erreur de l'autre nous importait peu ; qu'on n'allait pas se moquer d'eux, quoi. Je lui demande alors une question un peu plus personnelle.

- T'as connu beaucoup de garçons, dans ta vie ? Elle aimerait probablement pas la question, mais bon. Autant y aller franco.