Pour avoir déjà connu les locaux de la douane tchèque, il pouvait le confirmer : le jury de Fake Lover était proche du bisounours, question attitude. Souriant, hochant la tête à chacune de ses  phrases, et même riant (pour la jolie brune) à ses quelques vannes. Qui avait parlé de mauvais moment à passer ? En traversant la salle d’attente, il remarque aux visages constipés (façon enterrement) des potentiels futurs candidats que c’est pas la joie de vivre qui  les étouffe. Ça va les gars, vous passez pas le bac non plus. Il retient un sourire et se jette rapidement dans une salle plus vivante où l’on respire déjà mieux. Une machine à café et un distributeur trônent au milieu de la pièce, contre le mur, et il se prend une canette de Coca avant d’envisager le babyfoot (le billard est occupé par trois mecs). Ses mains se posent contre les poignées noires, les font légèrement tourner – en même temps que les petits joueurs de plomb lèvent leur unique jambe. Rien de tel qu’une partie stupide de babyfoot pour décompresser et faire connaissance. Mais c’est toujours pareil : les premières fois sont les plus difficiles – l’inconnu est dur à aborder, l’étranger encore plus, parce qu’on sait à quoi il ressemble, aussi on n’a même plus la liberté de se l’imaginer. Il attrape la balle entre deux doigts et la laisse glisser sur le terrain miniature, fait rouler le manche et tourner le joueur au ralentit, pensif. Est-ce que chaque personne qui compose la foule autour de lui va décemment le regarder jouer seul sans le rejoindre, malgré l’envie qui la démangera ? Est-ce qu’il arrive parfois aux gens de culpabiliser de la solitude de certains, ou est-ce qu’on s’en balance joyeusement ? Peut-être cette ville est-elle plus altruiste que celle qu’il connait bien – la Tchéquie. En Tchéquie, la solitude peuple les pavés, hante les transports en commun, c’est simple : vous sortez de chez vous, et la solitude est là qui vous regarde dans les yeux. Misère et solitude d’un Est que la solidarité et l’entraide ont déserté au moment où la faim est devenue un trou béant à l’intérieur du ventre. On se resserre dans son propre clan – souvent la famille, les cousins, les belles-sœurs et les beaux-frères – et on apprend à ne plus voir le reste. On se change en aveugle dès qu’on sort de chez soi, on fixe les yeux dans le vague, ahuri, pas vraiment là. Il n’y a que les touristes qui profitent du paysage. Celse ferme les yeux un instant, et les rouvre sur le petit terrain de babyfoot pour constater avec étonnement que quelqu’un s’est rapproché de lui et s’est arrêté juste en face, de l’autre côté du jeu. Le regard toujours posé sur les joueurs, il hausse un sourcil, l’air gentil sous ses apparences guerrières (un mètre quatre-vingt-huit, tas de muscles par-dessus des os saillants qui peut, il le sait, décontenancer l’humain lambda). « C’est pour quoi ? »

Après une première rencontre assez... hot, avec Antown, je pensais qu'il était déjà l'heure de rentrer. Mon avion décollait de Dublin à 19h. Je pensais qu'il était bien tard, mais en fait, non. Il n'étais que trois heures de l'après-midi, ce qui me laissait encore pas mal de temps devant moi. Je ne savais pas quoi faire. Je pouvais peut être aller trainer dans Dublin, faire les boutiques, aller manger un morceau, aller voir un film, ou bien faire ma touriste. Oui, pourquoi pas ? Oui, mais mon côté flemmarde me disait que non, je n'avais envie de rien faire. Et j'avais vu, en descendant du toit, qu'il y avait un espace détente. J'étais déjà rendue dehors, mais je pouvais très bien faire demi-tour. Oui, j'allais faire ça. Direction l'espace détente.
C'était une grande pièce, pleine de gens qui avaient tous plus ou moins mon âge avec des activités à droite à gauche. Une table de ping pong, un flipper, un billard occupé, des sofas qui semblaient vraiment super confortable, et un baby foot. C'était plutôt cool comme endroit. Si je suis prise pour l'aventure, j'espère qu'ils allaient placer une salle semblable dans la maison de Fake Lover. Il y avait un mec qui semblait s'ennuyer en jouant au baby foot... seul. C'était assez... comment dire... pitoyable ? De le voir seul, comme ça. Bref, je m'avançais vers lui, et me plaçais en face, de l'autre côté du baby foot. Il ne semblait pas remarqué ma présence. Je toussais un coup, et il leva les yeux, me demanda la raison de ma présence. Euuuuuh... Pas je sais pas ,pour faire une omelette ? A son avis, pourquoi est-ce que je pouvais être là ? Je m'appuyais sur les manches du baby foot. Enfin, je ne sais pas, tu as l'intention de faire quoi avec un baby-foot ?

C’est sur une jeune femme souriante à l’air un peu peiné pour lui qu’il pose enfin le regard. Ce qui l’incite à lui rendre son sourire et à lui répondre à son tour, ce sont ses yeux bleus doux, son ton faussement sec qui cache beaucoup de gentillesse. Elle le vanne alors qu’elle ne le connait même pas, mais quand c’est fait avec un tel sourire, qui donc pourrait s’en vexer ? « Je suis pas sûr pour l’omelette », dit-il en baissant les yeux jusqu’aux joueurs du babyfoot avant de les reposer sur elle. « Mais tu n’as pas idée de tout ce qu’on peut faire avec un truc pareil », il ajoute en désignant le jeu d’un mouvement de tête, avant de hausser les épaules. « Enfin, puisque mademoiselle sait ce qu’elle veut… » Il fait rouler la balle au milieu du terrain et entame la partie en douceur. Les filles qui gèrent au foot comme au babyfoot sont plutôt rares. Et Dieu sait que lui aime le foot, petit ou grand. Rien d’étonnant, donc, à ce qu’il marque le premier point d’un tir central, que le goal de la brunette n’a pas le temps d’arrêter au passage. Il ne compte pas les points, se contente de lui jeter un coup d’œil en biais. « Je ne sais pas encore si j’ai envie d’être galant ou non », précise-t-il avec un sourire hésitant. Après tout, c’est peut-être une personne détestable, même sous des apparences contraires. Qui sait si elle ne mérite pas une correction corsée au babyfoot, hum ? Son esprit se repasse la bande son de ses paroles précédentes. Elle a dit « omelette » avec un accent particulier qu’il lui semble reconnaitre dans un nouveau sourire. « Tu es française ? »