Raphaël n'avait jamais tellement eu une bonne mémoire. Ou disons en tout cas que cela dépendait du moment, du contexte. Parce qu'en ce jour, et tandis qu'il se retrouvait tiré par un Joshua visiblement déterminé à le conduire jusqu'à un endroit bien précis, Raphaël en venait à se poser quelques questions. Que se passait-il, à cet instant précis ? Pourquoi Joshua avait-il saisie sa main ? Et où l'emmenait-il, au juste ? A cet instant, le suisse était comme perdu. Mais il suivait, sagement, docilement, oui, il suivait. Parce qu'il avait confiance en Joshua. Non, il n'allait clairement pas l'attirer jusque dans un endroit isolé pour l'assassiner avec violence et sadisme. Clairement pas. Du coup, Raphaël partait naturellement du principe que quel que soit le lieu où il atterrirait, que quelle que soit la situation à laquelle il serait assurément bientôt confronté, il ne saurait lui arriver quoi que ce soit de dramatique. Encore une fois, parce qu'il avait confiance en Joshua. Mais lorsque les deux jeunes hommes entrèrent dans l'auberge, et que le regard du suisse trouva rapidement le piano, il se sentit affreusement bête. Comment avait-il pu oublier ? Oui, comment avait-il pu oublier cette histoire de cours de piano, celui-là même qu'il avait personnellement évoqué la semaine passée, dans le réseau de souterrains, avec le jeune homme ? A croire qu'il n'avait même pas osé y repenser lorsqu'il avait réalisé que le départ de Sïana affectait considérablement Joshua, qu'il avait vu désabusé à l'issue du prime de dimanche soir. Quoi qu'il en soit, la mémoire lui revint brutalement, et il va de soi qu'il était toujours aussi partant pour bénéficier d'un cours de piano de la part de celui-ci qui l'avait émerveillé en lui jouant un sublime morceau, quelques temps auparavant. Il se plia rapidement à la volonté du tatoué, s'asseyant puis laissant son regard détailler l'instrument. Joshua attendait donc de lui qu'il appuie sur une touche. Ah oui ? Et il n'y avait aucun risque d'explosion, ou d'un quelconque cataclysme ? Non parce que la maladresse du suisse n'était hélas plus à prouver, alors un accident serait bien vite arrivé ... Mais soit, il s’exécuta, laissant alors son index se poser sur une touche, à grand hasard, qu'il maintient brièvement enfoncée, savourant le son qui s'échappa alors du piano. Un sourire enfantin gagna ses lèvres. Il se sentait incroyablement bien à cet instant précis. Il n'avait évidemment ni la naïveté, ni la prétention de penser qu'il serait aussi doué que Chopin à l'issue de ce cours, mais le moindre progrès serait tout à fait bon à prendre à ses yeux. Cette semaine, il voulait voir le verre à moitié plein. Son camarade, par contre, semblait nostalgique de la belle Sïana,ce qui pouvait évidemment se comprendre. Elle devait beaucoup compter pour lui. Raphaël posa alors un regard compassionnel sur son camarade. « Je m'en doute » répondit-il, dans un sourire attendri. Ce manque était naturel, compréhensible. Il n'osait même pas imaginé ce qu'il aurait vécu s'il avait perdu Lulu, Arès - et Elliot - ou même Joshua ici présent. Alors il le comprenait, évidemment. Voyant son camarade dans un état de semi détresse, il le couva du regard, empathique à ses ressentis. « Non, Joshua ... Non, ça n'est certainement pas "con". C'est humain. Et lorsque tu la reverras, tu pourras lui dire directement combien elle compte à tes yeux. » Même s'il ne prétendait pas savoir quelle était l'exacte nature de leur relation. Il trouvait simplement cela beau, touchant. Raphaël se risqua en tout cas à pianoter davantage, toutefois fébrile, hésitant. A chaque son qui sortait, il frissonnait. C'était si particulier, mais si agréable. « Tu as déjà pensé à lui jouer un morceau ? Je suis sûr qu'elle trouverait ça magnifique, déjà parce qu'il est difficile de ne pas être touché par un bel air de piano, mais aussi parce que tu as un talent fou ... » Il se pinça les lèvres, lâchant un rire qui semblait se moquer de sa propre personne. « Excuse-moi, je ... je suis peut être un peu trop ... romantique. Et puis, ça ne me regarde pas. » Non, clairement pas. Du coup, il se sentait un peu bête. De quoi faire riper hasardeusement son doigt sur une touche. Outch, pour le coup, le son fut foireux.

Il était humain de s'attacher à nos semblables. Terriblement humain. Et cela était autant valable dans une émission de télé-réalité que n'importe où ailleurs. Simplement, dans ce genre d'endroits un peu particuliers, tout était extrêmement plus fort, voire parfois exagéré. Mais les relations n'en étaient pas moins vraies, sincères, de l'avis de Raphaël. Alors certes, venant d'un type qui, quelques temps auparavant, était encore profondément inexpérimenté en matière de relations humaines, ça n'avait peut être pas grand fondement. Pour autant, il croyait sincèrement que les amitiés débutées ici pourraient se poursuivre à l'extérieur, tout comme il avait sincèrement envie de croire qu'il était possible de trouver l'amour de sa vie dans ce genre de programmes. Peut être n'était-il absolument pas objectif, dans la mesure où il avait terriblement envie de préserver les amis qu'il s'était fait en ces lieux, mais il avait tout autant envie de croire que ses camarades pourraient rester liés les uns aux autres. Vraiment, c'est tout ce qu'il leur souhaitait. D'un point de vue plus sentimental, il avait donc également tendance à croire que rien n'était impossible et que la fin de jeu n'impliquait pas nécessairement la fin d'une histoire d'amour. Lui, il était profondément amoureux. Il ne l'avait jamais été à ce point. Non, jamais il n'avait ressenti de pareilles choses pour qui que ce soit. Jamais il n'avait eu autant envie d'étreindre, d'embrasser quelqu'un. Cette romance, il la chérirait aussi longtemps que Dieu la lui laisserait. Il voulait offrir tout l'amour qu'il avait longtemps contenu à celui qui le comblait à chaque instant. Il avait trop longtemps manqué d'amour pour lui même se priver, se retenir d'en offrir. Il le ferait à chaque instant, c'était certain. Et qu'importe que le jeu se termine, que la géographie ne soit à priori pas tellement favorable à la continuité de cette relation, il ne laisserait rien faire obstacle à son bonheur. Il était plus que jamais décidé à se battre pour ce qui comptait incroyablement à ses yeux, et cela était autant valable pour son histoire avec Lulu que pour chaque amitié qu'il avait connu en ces lieux. Il n'oublierait personne. Il reverrait tout le monde. C'est ce qu'il avait sérieusement décidé. On ne pouvait pas passer sa vie seul et attristé pour ensuite ne pas s'offrir le luxe de garder près de soi, et pour toujours, ceux qui avaient fini par entrer dans notre vie. Il serait fou et particulièrement inconscient de laisser tomber tous ces gens, tous ces anges. Ce ne serait donc pas le cas. En tout cas, il était certain que personne n'avait à rougir de son désir de voir durer une relation commencée dans un tel contexte. Tout comme personne n'avait à rougir du fait de s'être incroyablement lié dans ce genre de programmes. Il n'avait par exemple échappé à personne qu'un intense et magnifique rapprochement s'était fait entre Joshua et Sïana. Plus que des amis, plus que des amants, ces deux-là semblaient destinés à vivre quelque chose ensemble. Okay, l'esprit incroyablement romantique de Raphaël avait peut être tendance à édulcorer n'importe quelle situation, mais il avait véritablement envie de croire, pour ces deux-là, que tout ne s'arrêterait pas aux frontières du jeu. Quant à l'idée du morceau, là par contre, l'on pouvait dire que c'était pour le moins foireux. Tout le monde ne pouvait pas être aussi perché et sentimental que lui, encore heureux d'ailleurs. Joshua disait en tout cas ne pas savoir faire ce genre de choses. Quoi donc ? Il poursuivit, et tout était déjà plus compréhensible. Un sourire attendri gagna alors les lèvres du suisse. Ce dernier n'ajouta rien, pour le moment, et se contenta de suivre les directives de son camarade, qui lui intima de faire un enchainement. Hésitant, Raphaël laissa ses doigts s'aventurer sur différentes touches du piano, créant des sons parfois mélodieux, parfois moins, pour au final avoir un ensemble un peu moins catastrophique qu'il l'aurait imaginé. Tentant de capter le regard de Joshua, Raphaël lui adressa un sourire un peu plus prononcé. « C'est peut être une question de temps » lâcha-t-il alors, sceptique, avant de penser à autre chose. « Ou alors, tu as simplement peur. Peut être crains-tu de trop donner, de trop offrir aux autres. J'ai tendance à penser que tu en aurais pourtant envie, que tu considères que certaines personnes le méritent véritablement, mais qu'il t'est simplement impossible de donner tout ce que tu aimerais donner, que tu ne t'en sens pas capable. » Affichant cette fois-ci un sourire plus embarrassé, et continuant de jouer assez aléatoirement, assez hasardeusement, Raphaël se pinça bientôt les lèvres. « Est-ce que c'est pour ça, Joshua ? Est-ce que c'est la raison de ton incapacité à montrer ce que tu ressens ? Ou est-ce qu'il y a autre chose ? » Parvenant à quelque chose de plus plaisant à l'écoute, Raphaël haussa doucement les épaules. « Si je t'ennuie, dis-le moi. Je ne veux ni t'importuner, ni te mettre mal à l'aise. » Non, ça n'était clairement pas son intention. Il voulait simplement l'aider à comprendre, à ouvrir les yeux. Raphaël n'estimait pas être un bon analyseur, ni un psychologue dans l'âme, mais il avait tout de même généralement un assez bon sens de l'observation. Toutefois, de là à dire qu'il avait vu juste au sujet de son ami, tâchons de ne pas trop nous avancer, hm.