W. MAI LAN.

Pour faire simple, les asiatiques, je ne les ai vus en vrai que lorsque je suis sorti de chez moi (comprenez : mon pays), c’est-à-dire il n’y a pas si longtemps. Avant, ces visages poupons aux yeux en forme d’amandes et ces cheveux plus lisses que la moyenne, je les voyais à la télé, dans les films, les séries, les vidéos du net. C’est en allant au Japon pour des combats que j’ai pu rencontrer des asiatiques qui ne soient pas derrière un écran. Il faut croire que la Tchéquie n’est pas des plus populaires auprès des pays d’Asie. Les asiatiques, notamment chinois et japonais, se mélangent peu, question adn, avec le reste du monde depuis des décennies, est-ce que c’est pour ça que leurs traits communs sont si forts ? Difficile de savoir, et puis, je n’oserai jamais demander, de peur de vexer par des questions trop soudaines, trop ingénues. Dans la bouche d’un enfant de huit ans, passe encore, mais d’un grand garçon comme moi… Je n’y connais pourtant rien, c’est un fait que j’admets. En face de moi, il y a une candidate que je ne connais pas, mais dont j’ai repéré depuis le début le visage. Elle lit un livre – de la grande littérature, à ce que je peux discerner de là où je me trouve, mon iPad en mains, et je la regarde un instant, ses longs cheveux noirs plongés à ses côtés et frôlant les pages de son livre. Je me fais capter en peu de temps, et elle relève la tête pour croiser mon regard, étonnée. Je lui adresse un sourire et un signe de tête pour lui signifier que ce n’est rien, je l’observais innocemment. « Tu ressembles à une poupée », je fais remarquer, parce que la déduction m’est venue naturellement pendant que je la regardais. Quand j’étais gosse, il y avait un dessin animé sur les télés tchèques qui mettait en scène une poupée animée à qui il arrivait des aventures. Elle ressemblait exactement à cette fille.

Elle a dit ça sans sourire, pourtant, sa remarque me fait rire. Je suis persuadé qu’elle ne dit ça que parce qu’elle a trouvé ma remarque un peu bête – elle a sûrement raison – et qu’elle n’est absolument pas sérieuse. Je ne ressemble pas au prince charmant. Et puis, j’ai souvent entendu dire de la part des femmes que le prince charmant, de nos jours, c’est un homme très riche qui brise le cœur de toutes les filles qui l’entourent. Une sorte de salaud sexy, que je ne suis de toute évidence pas. Je trouve ça adorable, une fille qui rêve au prince charmant. Qui a gardé des aspirations d’enfant, que la société et l’âge adulte n’ont pas réussi à pervertir. Mais chez celle qui repose en face de moi, c’est un rêve du passé. Elle semble avoir abandonné cette idée, et je me demande pourquoi. « C’est comme le Père Noël, tu n’y crois plus ? » Je demande dans un sourire. Je ne veux pas trop lui parler non plus, pas engager de véritable discussion de crainte de l’indisposer : elle était en train de lire, que je sache. Il n’est jamais agréable d’être interrompu en pleine lecture. Cela dit, il serait sûrement de bon ton de me présenter. « Celse, au fait. C’est un prénom de prince charmant, tu crois ? » J’en doute. Elle, je lui imagine un prénom doux, un prénom jamais entendu auparavant, un prénom qui, malgré moi, me fera penser automatiquement à elle le jour où je l’entendrai pour la seconde fois.

Le jeune homme sourit à ma remarque. Il ne semblait pas, vexé bien au contraire. Il semblait même touché, par mes paroles. Par ma réflexion sur les princes charmants aux quels je ne croyais absolument plus. Il e me demanda si c'était comme le Père Noël, si je n'y croyais plus. Je lui souris et d'une voix douce lui répondais :

On va dire que j'ai cru avoir trouvé le bon prince, que j'ai été déçu et que je n'y crois plus. Enfin, je n'y crois plus… C'est comme le père Noël, quand t'es petit… Quand on t'annonce la vérité…

Par la suite, il m'annonça son nom Celse. C'était un nom doux et charmant. Un nom comme je les aimais. Il me demanda si c'était un nom de prince charmant je continuais de le regarder plongeant mon regard dans le sien et disais :

C'est un nom doux et agréable, parfait pour un prince charmant. En tout cas, il te va à merveille.

Je me rendis alors compte que je ne m'étais même pas présenté. Je décidais donc de réparer cette affront :

Sinon Mai-Lan, pour toi, c'est un nom de poupée ?

La réponse, je la connaissais déjà. J'avais juste besoin d'avoir son avis, cela me permettait de le connaître un peu mieux. J'avais envie de le découvrir, pour pourquoi pas finir par lier avec lui de forts liens.

Il y a plein de petits silences poétiques qui s’immiscent dans ses phrases, comme si elle reprenait sa respiration que personne n’entend, comme si elle rattrapait in extremis le fil de sa pensée avant qu’il ne touche le sol. La poupée danse, à sa manière, avec les mots. J’aime l’écouter parler, c’est apaisant, comme le ronronnement d’un chat presque endormi. Je crois que je pourrais m’allonger là pendant qu’elle discute avec quelqu’un, l’écouter, et sombrer dans un sommeil tranquille. Mais à l’heure qu’il est, je risquerais de la vexer – elle pourrait croire que ce qu’elle dit ne m’intéresse pas, or, ce n’est pas le cas. Ainsi, le prince charmant n’existe pas. Moi et les autres n’en sommes que des reflets, des imitations trompeuses, peut-être de grossiers déguisements comme certains parents aiment en revêtir pour incarner à son paroxysme la magie de Noël devant leurs gosses. Cette idée me fait hausser un sourcil, mais mon regard posé sur elle reste doux. « Sauf qu’il n’y a qu’un seul Père Noël dans le monde, et beaucoup de princes charmants... » Du moins, c’est ce que ma logique me dicte, je pense en la regardant, la tête légèrement penchée. Elle me fait rappelle ma sœur. Trop jolie pour ne pas m’inquiéter, trop douce pour ne pas, un jour ou l’autre, avoir le cœur brisé par un homme qui aura recherché la facilité. « Tu n’es pas tombée sur celui qui te méritait, ça peut arriver… » Je dis ça comme si je l’avais lu dans un manuel style « prince charmant, mode d’emploi ». En vrai, ni elle ni moi ne savons de quoi nous parlons, je suppose. Sa réflexion sur mon prénom m’arrache un nouveau sourire. « Oui, j’ai remarqué qu’en français et en anglais, « Celse » sonne assez doux. Mais c’est très différent en tchèque, où je trouve qu’il sonne dur, regarde : « Keljze » », je prononce avec l’accent tchèque, avant de l’interroger du regard. « Tu ne trouves pas ? » Elle me donne alors son prénom. Il n’est pas aussi limpide que je le pensais, au contraire, il y a quelque chose dans Mai-Lan qui sonne… guerrier. Ou peut-être est-ce moi qui me souviens du conte de Mulan, assez semblable phonétiquement parlant ? Je souris en coin, le regard brillant, avant de lui souffler : « une poupée qu’il ne faut pas jouer à contrarier. »