Je me réveille, je m'étire tout en baillant et là, je réalise qu'une nouvelle journée commence. Je ne sais même pas quel jour on est, c'est vrai. J'ai perdu la notion du temps, mais alors complètement. Faut me comprendre aussi, j'ai rien à faire ici. Je suis totalement dépaysée, ça, c'est certain. Et on en parle du décalage horaire ou pas ? D'accord, là, maintenant, j'ai repris un rythme normal mais alors quand je suis arrivée dans le château, la première semaine, ça a été quelque chose hein. Quelle idée de nous exporter en France aussi. La France. J'y crois toujours pas, c'est la première fois que je quitte les États-Unis, moi. Bref, c'est pas le sujet. Le fait est que j'ai passé une nuit de merde. Pas tellement étonnant, je l'avoue. Ces temps-ci, je dirais même que c'est un fait récurrent. Et qu'est-ce que c'est chiant, putain. Je vais devoir faire encore plus de sport pour éliminer les mauvaises vibrations, tu sais, toutes ces conneries. Peu importe. Je me lève, sors de la chambre et je pars en direction de la cuisine. J'entre dans la pièce en baillant une nouvelle fois, à moitié réveillée seulement. J'ai que la moitié d'un œil ouvert pour le moment, j'assume. C'est dur, le matin. J'ose même pas regarder l'heure. Il me faut du café. « Pour moi, ça sera un café avec un sucre et demi. » Je lance ma commande puisque ça me paraît normal, parce qu'il y a forcément quelqu'un qui va la réceptionner. J'ouvre les yeux, j'explore rapidement la pièce de mon regard endormi. Bah oui, il y a Zoran, là, il peut bien faire ça pour moi. « Et si t'es du genre à faire des gaufres, je vais prendre une gaufre bien chaude avec une boule de glace à la vanille. Avec des morceaux de caramel dedans. Dans la glace, pas dans la gaufre mais t'as compris le truc. » Et que ça saute, je veux que ça soit prêt dans dix minutes. Non mais je déconne, je me doute bien qu'il va rien faire du tout, l'enfoiré.

Ça faisait longtemps que j'avais perdu l'habitude de me lever tôt. Faut dire qu'avec le chômage, tout ça, j'avais de quoi enchaîner les grasses mats. Au fond, travailler me manque. Je n'aime pas rester inactif comme ça. J'ai besoin de bouger, de responsabilités, et surtout de thunes. Parce que ce n'est pas tout, mais faire les poches des gens dans les métros de Dublin ne me rapporte pas grand chose. Pas plus que le fait de vendre des iPhone falsifiés. Oui, franchement, le boulot me manque. Puis, j'aimais bien l'idée de rouler mon fourgon, moi. Personne ne m'embêtait. Enfin, quoi qu'il en soit, je rejoins la cuisine, plus nostalgique que jamais. Je crois qu'au-delà du fait que je n'aime pas ma situation actuelle, il y a aussi le manque de ma famille et des petits plats de ma maman qui me met de mauvaise humeur en cette matinée. Ça fait une éternité que je n'ai plus mangé de sarmas ou de štrukli. Hmm.. rien que d'y penser, j'en ai le ventre qui gargouille. Oui, à neuf heures du matin. Enfin, j'ai plutôt intérêt à me trouver une petite croate à Dublin. Parce que les Irlandaises ne sont pas les meilleures cuisinières que je connaisse. Ainsi, préparant ma tartine au nutella, je ne remarque pas tout de suite l'arrivée de Henley. C'est sa voix qui m'interpelle: « Pour moi, ça sera un café avec un sucre et demi. » Ha ha ha. Je l'ignore royalement, préférant sucer le chocolat qui a coulé sur ma main. « Et si t'es du genre à faire des gaufres, je vais prendre une gaufre bien chaude avec une boule de glace à la vanille. Avec des morceaux de caramel dedans. Dans la glace, pas dans la gaufre mais t'as compris le truc. » Couteau en main, je relève les yeux vers elle et pointe mon front du doigt. « Tu vois écrit "pigeon" quelque part ? » Non, parce que si c'est le cas, j'aimerais qu'on me le fasse savoir. Puis, logiquement, c'est elle le vagin dans l'histoire. JE devrais la regarder en train de préparer MA gaufre.

Je ne suis pas conne non plus, je me doute bien que je peux toujours me gratter pour obtenir quoi que ce soit de sa part. Ça va, j'ai pu comprendre un peu comment il fonctionne, lui. Il ne faut pas être doté d'un sens d'analyse poussé pour se rendre compte de sa façon de penser. Plus machiste que lui, tu meurs. C'est probablement le pire défaut du monde. Vraiment. Je crois qu'il n'y a rien de pire chez un type. Le machisme. Le truc qui remonte à plusieurs dizaines d'années déjà. Horrible. Donc non, je ne rêve pas trop, je me doute bien qu'il ne va pas bouger un cil et que si je veux un truc, je vais devoir le faire moi-même. J'ai rien contre l'idée d'une gaufre mais hors de questions que je me casse le cul à en faire. Déjà que quand on fait des crêpes, avec Brielle, c'est long... Et encore, je les fais pour elle, pour qu'elle soit contente et qu'elle ait des trucs bons à avaler mais ici ? Hors de questions que je fasse des gaufres pour eux tous, là. Je me casse le cul que pour Brielle, c'est comme ça. Bref. Il me demande s'il y a marqué pigeon sur son front. A priori, non. Et je crois bien qu'il le sait, ça, d'ailleurs. Ouais, c'est même certain. Cela dit, puisque je suis... bah moi, je m'approche un peu plus de lui pour vérifier. Histoire d'être sûre. Non, je confirme, il n'y a rien. Je fronce les sourcils. « Oh bah ça peut toujours s'arranger, ça. » J'esquisse un haussement d'épaules. Puis je me mets à chercher un stylo. Sérieusement. Je vais naturellement vers le tiroir où on a déjà foutu un bordel monstre. C'est le tiroir à bordel. Oui, il existe vraiment, ce tiroir. Je retire trois crayons de dedans. « Tu préfères du bleu, du rouge ou du permanent ? » que je lui demande en lui exposant les trois choix qui s'offrent à lui. Hm ? Je suis sérieuse, je vais vraiment lui écrire pigeon sur la tronche. Comme ça, il fermera sa gueule et il me fera mes gaufres. Non, je déconne, je sais que ça va rien changer. Mais au moins, ça va me distraire. C'est toujours ça de pris.

Blondie croit vraiment que je vais me transformer en cuistot pour sa belle gueule ? Elle est mignonne, mais il ne faut pas pousser le bouchon trop loin non plus. Alors, je lui demande si elle a vu écrit "pigeon" quelque part sur mon front. Parce que croire que je vais obéir à une femme avec qui je n'ai, de surcroit, jamais conversé, c'est mal me connaître. En général, c'est l'inverse. Je commande et on s'exécute. Je suis un meneur, pas un soumis. Enfin, la miss prend quand même soin de venir vérifier s'il n'y a rien sur mon front. Ha ha ha. T'es myope ou quoi ? « Oh bah ça peut toujours s'arranger, ça. » Elle hausse les épaules et j'affiche un sourire qui sonne particulièrement faux. Soudainement, elle s'éloigne pour trifouiller dans un tiroir duquel elle sort trois crayons de couleurs. « Tu préfères du bleu, du rouge ou du permanent ? » Je fronce les sourcils, l'air de me demander si elle est vraiment conne ou si elle le fait exprès. « Hm, t'es bien mignonne, mais tu sauras que tes crayons de couleur, là, ne laissent pas de traces sur la peau. » Enfin, je soupire, la laissant dans sa naïveté et croque un bout dans ma tartine. « T'as quel âge ? T'es pas un peu dépassée pour participer à une émission de télé-réalité ? », dis-je, la bouche pleine. Je crois percevoir quelques rides, par-ci, par-là. Sérieux, à un moment donné, lorsque la gloire ne vient pas à toi, n'essaye pas de forcer le destin. Ton temps est dépassé, chérie. « Enfin, je dis ça, mais j'ai rien contre les MILF, moi. » Ben, oui, forcément, si tu viens ici, tu t'attends au moins à te faire remuer une fois.

Non mais il est crétin en plus d'être machiste. Pas que ça m'étonne tellement, en fait. Depuis quand du permanent, ça peut être un crayon de couleur ? Non parce que j'ai acheté pas mal de crayons à Brielle, crois-moi, je connais le rayon des fournitures scolaires par cœur hein mais j'ai jamais vu un crayon de couleur permanent. Ah, devine quoi ! C'est sûrement parce que c'est un feutre. Oui, je sais, c'est dingue. Il est stupide, en fait. Je lève les yeux au ciel. « Mon pauvre, t'es encore plus con que tu en as l'air. » Je ressens même pas le besoin d'être sarcastique, là, tu vois. Non, il ne le mérite pas, il fait fort. Bref, je crois que je vais devoir tirer un trait sur l'idée de lui écrire sur la tronche donc je range mon bordel et je ferme le tiroir à la volée. Puis, très intelligemment, il me demande quel âge j'ai. Genre c'est le détail indispensable à connaître sur moi. N'importe quoi. Je ne suis pas trop vieille pour être dans une émission comme ça, j'ai pas encore cinquante ans, jusqu'à preuve du contraire. J'ai même pas trente ans, abruti. Il me parle aussi de MILF, genre, oui, bien sûr, il croit quoi, ce crétin ? « Imbécile, je pourrais avoir soixante-dix ans et je serais toujours plus intéressante que vous tous. » Je roule des yeux. Clairement. Je serais plus intéressante qu'eux, même en étant muette. Je suis plus intéressante qu'eux, c'est tout. En attendant, je vais devoir me servir mon café toute seule donc c'est ce que je fais. Parce que, de toute évidence, personne ne va accourir pour me servir. Bande de crevards.