Tout serait bientôt terminé. C'était une pleine certitude, un fait avéré. Ce soir, l'on avait pris connaissance de la composition de la demi-finale, de l'identité officielle de ceux qui la composaient, et nul doute que quelque soit le verdict qui serait annoncé en fin de prime dimanche prochain, tout cela ne serait bientôt qu'un souvenir, un excellent souvenir. Raphaël ne croyait pas en ses chances d'atteindre la finale. A ses yeux, cela tenait déjà du miracle qu'il se retrouve à ce stade de l'aventure, nominé et soumis aux votes du public pour la première fois, et probablement pour la dernière. Objectivement, il n'estimait pas mériter une place en finale. Il avait été discret tout au long du jeu, avait privilégié son but premier, sa guérison personnelle, au fait de jouer, et avait perdu son secret lors des premières semaines d'aventure. Non, vraiment, il n'estimait pas mériter le moindre accès en finale, et croyez-bien qu'il se satisfaisait pleinement de cette idée, pour la simple et bonne raison qu'il n'avait rien à regretter, qu'il était fier de son parcours et que si tout devait véritablement prendre fin dimanche soir, il en serait ainsi, et il le prendrait avec loyauté et philosophie. Comment avait-il pu durer autant de semaines ? Comment avait-il pu échapper perpétuellement aux nominations ? Comment avait-il pu se faire tant d'amis, trouver l'amour ? Comment avait-il pu plaire, finalement ? Il n'était pas certain de comprendre tout cela, mais il était certain d'une chose : cette aventure lui laisserait un goût abouti et merveilleux. Il serait allé au bout de ses objectifs, de son optique initiale. Il aurait progressé, guéri, muri. Il se serait sociabilisé, se serait ouvert aux autres, aurait laissé de coté ses démons et aurait parlé publiquement de son expérience personnelle, de ses troubles psychologiques, ce qui l'avait assurément aidé. Raphaël avait longtemps eu l'impression d'avoir fait une bêtise en postulant à Fake Lover. Mais à ce jour, il chérissait le jour où cette idée sordide lui avait traversé l'esprit, où il s'était laissé tenter par cette chose inconnue, curieuse et attrayante. Il était à lui même reconnaissant de s'être laissé une chance, tout comme il était reconnaissait à tous les protagonistes de son aventure, à tous les acteurs de sa guérison, de l'avoir tant aidé. Et parmi ces gens formidables, il y avait tout naturellement Candace, sa merveilleuse partenaire, de qui il avait toujours été proche, qu'il affectionnait beaucoup, et qui se rapprochait en tous points de la "mère" qu'il aurait infiniment voulu avoir. Elle l'avait aidé, soutenu, s'était montrée compréhensive et avenante. Elle avait été une partenaire formidable, à mille lieux de ce que son esprit paranoïaque avait imaginé en arrivant ici. Alors il voulait la remercier. Lui montrer sa gratitude. Mais aussi la féliciter. Parce qu'elle avait atteint, elle aussi, la demie-finale. Parce qu'ils restaient unis, coûte que coûte. Le suisse avait alors organisé un petit pique-nique dans le champs de lavande, un déjeuner improvisé et sans grande prétention, mais à très forte dimension symbolique. Et lorsque sa partenaire arriva, en ce mercredi midi, au lieu de rendez-vous, le jeune homme ne put que l'accueillir avec un sourire s'étirant jusqu'à ses oreilles décollées. « C'est le retour du gratin de pommes de terre » commença-t-il par clamer, presque solennellement, disposant bientôt sa main au dessus d'un plat recouvert de film aluminium. « Et, tiens-toi bien ... » Il souleva alors brusquement le film en question. « ... je l'ai réussi, ce coup-ci ! » Quelle fierté, bon sang. Un oscar pour cet homme, et vite. Ou pas, c'est vrai. Hm, bref, au pire. « Par contre, il est empoisonné. Je voulais te laisser trépasser histoire de me débarrasser d'une sérieuse adversaire, mais bon ... je crois que je tiens trop à toi pour te laisser mourir, alors ... tu vas simplement ne pas y toucher, d'accord ? » Donc oui, tout cela était supposé vouloir dire « Félicitations pour ta place en demi-finale ma belle, tu la mérites, tu mérites surtout de gagner, donc tu vas gagner, hein, et je t'aime très fort. » Mais bon, c'était bien aussi, on va dire.

Ce matin, j'ai reçue une bonne surprise, l'invitation de Raphaël pour un petit pique-nique dans les champs de lavande. Je déteste l'odeur de la lavande mais je vais m'abstenir de le lui dire. De un parce que je saurais m'en accommoder, de deux parce que c'est toujours un plaisir de passer du moment avec mon partenaire et que ce serait impoli de refuser son invitation, et de trois parce que je suis presque sûre de me régaler. L'évènement du gratin n'était qu'un imprévu j'en suis quasi certaine, j'ai confiance au potentiel culinaire de mon partenaire. Mais disons que ce n'est pas vraiment compliqué puisque j'ai totalement confiance en lui, et c'est plutôt rare pour être signalé. Je fais confiance qu'à un groupe restreint de personnes. Trois pour être précis, et il vient s'ajouter à ce trio de mâle. Je me rends donc sur les lieux de rendez-vous particulièrement enthousiaste pour changer. Il fait frais mais avec le soleil de plomb qui réchauffe la terre je pense que ça devait être supportable. Pour preuve, je n'ai enfilé qu'une petite veste en cuir par dessus mon pull en cashmere et je n'ai pas très froid. Il ne tarda pas à m'accueillir, avec un enthousiasme débordant. « Oh mais c'est super, j'ai hâte de le goûter. » Mais ça c'était avant qu'il ne m'avoue plus tard qu'il l'avait empoissonné. Avant cela, j'arrive à sa hauteur juste à temps pour découvre le plat qu'il tient entre les mains. Il est parfaitement gratiné, mais pas brûlé. « Il est parfait. Oh et tes mains, comment vont tes mains à ce propos ? » Je n'ai même pas pris la peine de lui demander si allait mieux. Quel piètre partenaire je fais. Vraiment. Mais il faut dire que ce n'est pas vraiment naturelle pour moi de m'inquiéter de l'état d'une tierce personne, même s'il s'agit de mon très cher Raphaël. On ne change pas les mauvaises habitudes. Et à sa réplique concernant le fameux gratin je le sers dans mes bras. « Oh félicitation à toi aussi mon petit coeur. Je fière de toi, d'être arrivée jusqu'ici avec toi. Et je t'aime aussi. A ma façon, mais je t'aime. Sois en sûr. » Je souris et dépose un baiser sur sa joue, c'est devenu une habitude maintenant, une habitude qui va me manquer quand j'y pense. « J'ai un décodeur spéciale Raphaël intégré dans le cerveau, ne me regarde pas comme ça. » Je souris, c'est vrai que j'ai bien vu là où il voulait en venir mais c'est l'habitude sûrement. Je lui attrape la main et m'assieds à ses côtés, prête à découvrir les merveille qu'il m'a préparé ce midi.

Spoiler:

Ce pique-nique partait d'une bonne intention. Oui vraiment, Raphaël avait eu envie de faire plaisir à sa camarade, de lui montrer qu'il appréciait de passer du temps en sa charmante compagnie, de lui témoigner son affection à son égard à travers quelque chose de modeste, sans la moindre prétention, mais on ne peut plus symbolique. Entre nous, le suisse avait eu l'impression d'être profondément ridicule la fois où il avait tenté de lui servir un gratin de pommes de terre qui, en plus d'avoir été complètement cramé, avait failli lui coûter ses deux mains. Il s'était senti affreusement bête et il n'avait pas du tout envie qu'ils restent sur ce navrant souvenir en matière de cuisine. Ainsi donc, il avait entrepris de réaliser une nouvelle fois un gratin de pommes de terre, avait ce coup-ci mis en route une minuterie, avait scrupuleusement surveillé le four et la cuisson du plat, et était même allé jusqu'à utiliser des maniques tout le long de ladite cuisson. Et du coup, le résultat était plutôt probant. Car évidemment, s'il appréciait toujours de passer un moment en compagnie de Candace, que ce soit dans un champs ou ailleurs, il va de soi que tout cela était surtout un prétexte pour se racheter, pour lui faire goûter à de la vraie cuisine, parce qu'il avait véritablement honte au sujet de la dernière fois dans la cuisine. Honte, oui. Il avait même tendance à penser qu'il lui avait fait pitié, une pensée aussi dérangeante qu'embarrassante. Quoi qu'il en soit, sa camarade sembla enthousiaste à l'idée de goûter à ce gratin dont la mine était assurément plus appétissante que celle de celui de la dernière fois. Remarquez, ça ne devait pas être franchement bien dur. Bon, Raphaël tenta également un brin d'humour au sujet du fameux gratin, parce qu'il va de soi qu'il ne l'avait pas réellement empoisonné. Et puis quoi encore ? Sa camarade prit alors des nouvelles des mains du suisse qui, il est vrai, avaient beaucoup souffert de leur entrevue dans la cuisine. « Elles m'ont fait un peu mal pendant quelques jours, mais désormais, elles vont bien mieux. » Lesdites maintes semblaient effectivement en bon état. Et il en était bien content, parce que de tout de même, cela avait été assez handicapant pour lui de souffrir chaque fois qu'il avait voulu toucher quelque chose. En tout cas, sa camarade l'étonna lorsqu'elle sembla avoir compris où il avait voulu en venir. Parce qu'en dehors de la gentille étreinte qu'elle lui offrit, voilà que Candace interpréta avec brio tout ce qu'il avait sous-entendu à travers ses propos précédents, à travers ce gratin, à travers ce pique-nique. Il en était pleinement soulagé, car c'était là la preuve qu'elle le comprenait, qu'il n'avait plus de secret pour elle. Alors un sourire radieux gagna les lèvres du suisse, qui ne pouvait être qu'ému face aux propos de la jeune femme. Elle disait l'aimer, à sa façon, ce qui le touchait énormément. Tout comme le reste. Il lâcha alors un petit rire, puis l'observa de manière attendrie. « Et dire que j'avais un peu peur de toi, au début de l'aventure, et malgré ta sympathie lors du premier prime ... Tu m'impressionnais, mais plus encore, tu m'intimidais. J'avais vraiment comme crainte que nos différences nous empêchent de nous lier ... Je ne pensais pas pouvoir me tromper à ce point. » Sa main dans la sienne, il voulait lui témoigner d'une grande sincérité. Candace était incroyablement importante à ses yeux. Il était fier de l'avoir pour partenaire, mais aussi pour amie. « Alors, hm ... je nous ai préparé un repas sans grande prétention, parce que je ne suis malheureusement pas aussi bon cuisiner que je le voudrais. En entrée, une salade typiquement suisse à base de laitue, de jambon, de betterave, de concombres, de céleri et de gruyère ... en guise de plat principal, et bien, le fameux gratin de pommes de terre. Et enfin, en dessert, une charlotte aux framboises. » Ouais euh, bon, Masterchef, ça n'était pas encore pour tout de suite, disons. Mais encore une fois, ça partait d'une bonne intention. « Si tu trouves ça mauvais, essaye de te rappeler que ça a été fait avec amour. » Il ne put s'empêcher de rire à nouveau. Parce qu'évidemment, il ne s'attendait pas à avoir cuisiné quoi que ce soit d'excellent. Mais disons qu'il osait espérer ne pas lui causer prochainement la moindre intoxication alimentaire, hm.

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