FT ALIENOR

Deux semaines de jeu et je ne m'étais pas encore aventurée jusqu'à cette écurie. Bien entendu, renseignée sur le sujet, j'avais appris par mes camarades que l'on y trouvait pas des cheveux mais des lecteurs dvd plutôt. Une large panoplie de film dans laquelle nous pouvions choisir ce qui nous plait. Habituellement, en dehors de Fake-Lover, je n'ai jamais le temps de m'asseoir tranquillement devant un film. J'ai trop de boulot et je l'aime tellement que je ne prends le temps de rien d'autre. Je dors en pensant boulot, je me lève avec cette même pensée, je mange en réfléchissant à mon boulot. Bref, il ne me quitte jamais vraiment. Mais là, j'ai pas vraiment de boulot à fournir alors j'peux me taper devant un film comme je le faisais lors de mon adolescence où je vivais plutôt refermée sur moi-même. J'étais le genre de fille qui préférait rester seule à la maison que de sortir. Je n'étais pas asociale pour autant mais on ne peut pas non plus dire que je me sois fait des amis tout au long de ma vie. J'peux pas être amie avec les mecs parce que je finis toujours par coucher avec eux. J'peux pas être amie avec des filles parce que je finis toujours par leur voler leur mec. Souvent en tout cas. Bref, j'décidais de me replonger dans cette période de ma vie en regardant un film de l'époque justement. Le journal de Bridget Jones. J'avais dix-sept ans à sa sortie et cette fille était un peu mon modèle à l'époque. Entrant dans l'écurie, je ne perds pas de temps pour aller me chercher quelques bonbons et finalement m'installer sur un siège après avoir lancé le dvd.

Je me rends de temps au temps au cinéma, enfin, aux écuries, depuis mon arrivée. J'ai l'impression de redécouvrir le cinéma de cette façon. D'ordinaire, c’est-à-dire à l'extérieur du nid, je me rends aux séances toujours accompagnée ; la sortie au cinéma est un divertissement social plus qu'autre chose, c'est une façon de traîner qui varie un peu des sempiternels "aller boire un verre" ou "aller se faire une partie de foot" et ça fait du bien. Mais depuis que je suis ici, je me rends au cinéma en solo, la plupart du temps. La première fois, c'était plus par ennui qu'autre chose. Sans trop savoir ce que j'avais envie de faire, mes pas avaient fini par me mener ici. Et je n'avais pas regretté. Le fait est que, accompagnée, je suis incapable de me concentrer sur le film. Mon esprit est parasité par mille pensées superflues, et il m'est impossible de vraiment m'immerger, de m'oublier, de faire abstraction de ma petite vie l'espace d'une seconde, de tout mettre en parenthèse et de juste me laisser porter par l'histoire qui m'est racontée. L'autre jour, je me suis fait un marathon, toute la filmo de Wong Kar Wai, et je sais que si j'avais vu sa production cinématographique dans d'autres circonstances, ça ne m'aurait pas touchée, j'aurais trouvé ça chiant, j'aurais baillé et papoté avec mes amis. Mais là, seule, j'ai pu vraiment savourer, c'est franchement bizarre. Enfin bref, tout ça pour dire que j'ai pris l'habitude de venir ici, la plupart du temps seule, mais ne dédaignant pas non plus à profiter de la compagnie d'un ou d'une éventuelle candidate. Aussi quand, en entrant, je découvre Zoey installée parmi les rangs, je ne rebrousse pas chemin et vais aussitôt m'assoir non loin d'elle – en prenant le soin, comme avec Donia, de laisser une place vacante entre nous deux, question d'espace personnel vital et tout le toutim. On est pas tous aussi sensibles à ce besoin de bulle d'intimité, mais, dans le doute, ne connaissant pas bien les volontés de Zoey en la matière, je préfère jouer la carte de la prudence. « Hey ? Ça te dérange pas si je m'installe ? T'as lancé quoi ? »

Le dvd est lancé, j'ai pris place sur le siège prévu à cet effet et j'ai bien entendu songé à prendre un coussin afin de me mettre le plus à mon aise possible. Je n'ai pas non plus oublié les bonbons, mon petit péché mignon lorsque je regarde un film. Souvent, je surveille ce que je mange ou alors, je compense en faisant de sport mais lorsque je regarde un film, j'ai ce besoin inexplicable de me gaver de sucrerie. « Hey ? Ça te dérange pas si je m'installe ? T'as lancé quoi ? » Absorbée dans les bandes annonces du DVD, je n'avais pas vraiment fait attention à l'entrée de la candidate. Heureusement pour elle, le film n'avait pas encore débuté et elle n'avait encore rien loupé. Enfin, si elle souhaitait le regarder avec moi. J'suis pas certaine que ce film plaise à tout le monde mais moi, il me fait rire. « Non, vas-y, je t'en prie. C'est Bridget Jones. Tu connais ? J'espère que tu aimes bien en tout cas. » Ce serait quand même épatant qu'elle ne le connaisse pas, parce que ce film avait quand même sa petite réputation. Enfin, j'sais pas. Plongeant mon regard dans l'écran, j'avale un bonbon tandis que le film démarre finalement. « Tu en veux un ?  » Lui demandais-je tout en lui tendant mon précieux paquet. Cela ne me gêne pas un instant de partager avec elle. Surtout que nous savons tous que nous pouvons nous resservir sans aucune hésitation lorsque le paquet sera terminé. «Tu viens d'où toi ?. » Bon je sais, nous sommes occupées à regarder un film et c'est censé être une activité silencieuse mais j'ai toujours eu la fâcheuse habitude de discuter pendant les films.

Oh Bridget Jones, je keaf ! J'avais même fini par lire le bouquin après avoir vu le film, alors que je suis pas une grande lectrice à la base (j'ai trop la bougeotte, rester concentrée à lire des lignes et des lignes, c'est pas pour moi, je peux pas). J'étais hyper jeune quand il était sorti, mais j'étais quand même allée voir le second volet avec ma sœur au cinéma. J'étais devenu fan de Colin Firth à peu près à ce moment-là, et m'étais résolue à visionner tous les films dans lesquels il avait pu jouer. « Hum j'adore ! Je ne me suis jamais remise de la scène durant laquelle Hugh Grant et Colin Firth se battent en passant à travers une vitrine là, mon cœur bat à cent à l'heure à chaque fois. Le jour où deux mecs feront ça pour moi… » je laisse ma phrase en suspens, rêveuse soudainement. C'est déjà arrivé que des mecs se battent pour moi – j'y peux rien, j'adore ça, ça me fait vibrer intérieurement à chaque fois – mais jamais à travers une vitrine quoi. Moi aussi je veux qu'on pète du verre par amour pour moi, mince alors. « Enfin, tu l'as déjà vu n'est-ce pas ? » je m'assure après, parce que ça me semble évident que oui, mais j'espère que je lui ai quand même pas spoilé ce passage-là sans faire exprès. Et je sais même plus si c'est dans le premier ou le deuxième, en fait. Elle me tend ensuite son paquet de bonbon en me proposant de piocher dedans, et je m'exécute immédiatement. « Oh ouais, merci ! » Même si je suis du genre à faire très attention à ma ligne, je sais que je peux me le permettre vu la quantité de sport que je fais chaque jour – et encore plus depuis que je suis ici et que je n'ai quasiment que ça à faire de mes journées. Je déguste la sucrerie en zieutant distraitement les bandes annonces, avant de reporter mon attention sur mon interlocutrice. « Je viens de Saint-Malo, en Bretagne. Et en France, du coup. Et toi ? » J'oublie toujours de préciser que je suis française, tant ça me semble évident ; mais ça ne l'est pas ici, et ça serait bien que je me le mette en tête.