Il ne parvenait pas à trouver le sommeil. Il regardait du coin de l’œil sa partenaire dormir à ses côtés. Il l'enviait à cet instant qu'il préféra lui tourner le dos. Allongé sur le côté, il dévisageait l'obscurité environnante, ne descellant que des silhouettes endormies. Il était tard. Minuit passé indiquait son réveil. Il alluma sa lampe de chevet éclairant faiblement son côté du lit, rangea la pile des livres qui s'étaient accumulés au fil des jours. Il fallait trouver de quoi s'occuper, car il s'ennuyait malgré lui. Quand il ne dormait pas, il lisait. Quand il ne lisait pas, il dessinait. Aucune de ses distractions lui faisait véritablement envie. Il se retrouvait à ne pas savoir quoi faire du reste de la nuit jusqu'à ce que Morphée daigne lui ouvrir ses bras. Pour l'heure, il s'était résolu à chercher le repos. Il s'extirpa donc de ses draps et se leva. Il se fraya un chemin hasardeux dans le noir, marchant à pas étouffés pour atteindre la sortie. Sans faire de bruit, il longea un couloir interminable et incertain. Il se souvint que la cave à vin était de ce côté-ci. Il fut interloqué par un bruit étrange provenant de la pièce juxtaposé à cette dernière. A l’entrebâillement de la porte, une légère lueur en émanait. Il poussa la porte et découvrit la piscine intérieure. Une silhouette familière émergea alors. Son regard s'attarda longuement sur le dos de celle-ci. Elle se retourna et croisa ses yeux azurés, un sourire ourlant ses lèvres. Freddie. Un rictus en coin, il s'avança près du bord du bassin, s'accroupit et la vit nager vers lui. - Un bain de minuit ?, qu'il lui demanda d'une voix suave alors qu'il plongea ses prunelles dans les siennes pour y discerner une certaine malice. Il se redressa, retroussant les bas de son pantalon et trempa ses pieds dans l'eau tout en prenant ses aises.

Qu'on se le dise, Freddie avait le sommeil très léger. S'il est vrai qu'elle s'était très tôt habituée à un rythme précis, il lui arrivait bien souvent de perdre ses bonnes habitudes et de se retrouver à attendre dans son lit de s'endormir, bien en vain. Dans ces cas-là, elle optait pour une solution généralement radicale, parmi une courte liste qui avait globalement fait ses preuves. Parfois, elle se levait et allait se préparer une tisane, espérant que ça la détendrait suffisamment pour que le sommeil vienne ensuite à elle plus facilement. Aussi, il lui arrivait de s’asseoir dans son lit, de prendre un bouquin et de laisser sa lecture la fatiguer tout doucement. Mais quand elle aspirait à une solution véritablement radicale et qu'elle n'avait pas la patience d'avoir recours à l'une des deux précédentes, l'anglaise décidait tout simplement de se fatiguer par l'effort physique qui, bien qu'elle n'ait jamais été une sportive en herbe, restait l'option la plus efficace. Il ne s'agissait alors pas de courir tous poumons dehors mais de nager. Alors oui, ça n'était pas une chose qu'elle pouvait faire lorsqu'elle était chez elle, dans son petit appartement, mais il lui était arrivé d'en avoir l'occasion lorsqu'elle vivait encore chez ses pères. Et s'il est vrai que ce genre de situations restait tout de même pour le moins rare, il n'était absolument pas déplaisant avoir ici accès à une piscine intérieure plus que bienvenue, notamment ce soir, puisque la brune avait justement grand mal à trouver le sommeil. Alors elle s'était rendue jusqu'au bassin, et y avait plongé. Cela devait faire maintenant un bon quart d'heure qu'elle était là, se fichant bien qu'il ne soit pas franchement heure à patauger. C'est alors qu'elle aperçut l'un de ses camarades en revenant près du bord. Il s'agissait d'Orson. Peut être s'étonnait-il de la trouver là, ou peut être avait-il déjà compris qu'elle avait tendance à surprendre. S'approchant plus encore, elle sourit à sa remarque et s'accouda brièvement au bord. « Plus improvisé qu'autre chose, mais oui, il semblerait » qu'elle souffla alors, parce qu'elle pourrait difficilement prétendre qu'elle prévoyait depuis le soir même de se baigner à cette heure-ci. « Morphée n'a pas voulu de toi non plus, c'est ça ? Il est de plus en plus difficile, ce fripon, plus personne n'est assez bien pour lui. » Elle préférait s'amuser de la situation, vraiment. Et puis bon, pour être ici à cette heure-ci, c'est qu'il devait effectivement lui-même avoir quelques difficultés à trouver le sommeil.

Un rien pouvait troubler son sommeil. Ses sens étaient constamment en alerte. L'avantage de son appartement, c'était qu'il n'entendait jamais les bruits extérieurs car les murs étaient insonorisés. Sauf qu'il n'était pas chez lui, mais dans un château, vivant en communauté. Ce n'était pas l'idéal selon lui. Il commençait à s'adapter. Mais à son rythme. Autant s'occuper en attendant. Il errait dans les couloirs en s'aventurant dans les recoins isolés de la propriété. Il découvrit la piscine intérieure. Les productions avaient bien fait de s'y investir. Il y avait déjà quelqu'un. Freddie. Quelle heureuse coïncidence. Il était plus que ravie d'être tombé sur elle. Un bain de minuit, donc. Du genre improvisé, lui dit-elle. - Tu es au courant que quand on fait un bain de minuit, le maillot n'est pas nécessaire ? Il arqua un sourcil interrogateur en arborant un sourire des plus railleurs. Blague à part. Un bain de minuit, dans les règles de l'art, devait être fait sans aucun vêtement sur soi. Or, Freddie portait encore son maillot de bain. Evidemment, venant de l'anglais, c'était une manière de la taquiner davantage. Loin de lui l'idée de la reluquer en tenue d’Ève. Quand bien même, il n'en serait pas du tout gêné. La nudité ne le troublait guère, bien qu'il restait un homme comme les autres et que cela pouvait éventuellement l'émoustiller un peu. Il ne savait si ils étaient les seuls esprits errants du château, mais Morphée n'avait pas voulu d'eux. - Exactement. Et pourtant, je ne crois pas l'avoir offensé ces derniers jours. Il ne doit pas aimer des anglais de notre acabit., répond-t-il, l'oeil rieur, en venant s'asseoir sur le bord du bassin. Oui, il en était fortement convaincu. Morphée était jaloux d'eux. Une conspiration, c'était clair désormais. Finalement, il ne restait que les meilleurs des anglo-saxons encore debout. Des élus de sa Majesté la Reine. Cette situation était presque risible. Autant le prendre avec le sourire. Ses yeux observaient les ondulations de l'eau alors que ses pieds pataugeaient dans la piscine. Une question lui taraudait l'esprit depuis quelques jours. - Que disent tes instincts sur moi ? Il y avait une théorie selon laquelle qu'on était capable de discerner la plupart des caractéristiques d'une personnalité dès les cinq secondes de la rencontre. Il la savait criminologue. Que pensait-elle réellement de lui ?

Qu'on se le dise, Freddie avait beau être un peu bizarre dans son genre, elle ne se baignait généralement pas en pleine nuit. Mais ce soir, il le fallait bien, puisqu'elle estimait que c'était la meilleure façon de se fatiguer et ainsi de trouver le sommeil. Ainsi donc, oui, c'était là un 'bain de minuit' plus improvisé qu'autre chose. A noter la répartie d'Orson qui ne put que lui tirer un franc rire. « Oui, il parait. Mais tu apprendras de moi que j'ai tendance à aimer faire le contraire de ce que font généralement les autres. L'une des innombrables choses qui contribuent à faire mon charme, dirons-nous. » La deuxième partie de sa phrase étant naturellement énoncée sans grand sérieux. Quant au reste, il est vrai qu'elle avait toujours eu un esprit de contradiction très développé et une tendance anti-conformiste qui l'incitait souvent à ne pas agir exactement comme tout le monde. Quoi qu'ici, c'était surtout une manière comme une autre de laisser entendre que ça n'était pas son genre, disons, de se baigner nue. Mais ça, sans doute le savait-il déjà, car il suffisait de l'avoir un tant soit peu observée pour savoir que Freddie n'était pas une exhibitionniste en herbe. En tout cas, le fait qu'il soit debout lui aussi semblait indiquer une chose toute simple, à savoir qu'il n'était lui non plus pas parvenu à trouver le sommeil. Ils semblaient effectivement être dans la même galère ce soir. Ah, Morphée, un petit capricieux décidément à l'origine de bien des difficultés, n'est-ce pas. La théorie de son camarade la fit alors sourire. « Oh oui, c'est forcément ça, et c'est très petit de sa part. Dire qu'on a aidé la Grèce à se débarrasser du Communisme, rah, si l'on avait su ... » A bien y réfléchir, c'était très probablement un peu hors propos mais c'était la première chose qui lui était venue à l'esprit. Qu'importe que Morphée n'ait pas connu tout ça, hein, vu que lui semblait les juger un peu gratuitement. C'est alors que son camarade lui posa une question qui la fit quelques peu réfléchir. « Lors de notre premier soir dans le château, je suis venue te trouver près du buffet et j'ai bien vu que tu étais exaspéré, que quelqu'un t'avait mis hors de toi. La raison pour laquelle je ne l'ai pas fait remarquer, c'est que malgré cette rage très légèrement perceptible, tu as su donner le change auprès de moi. A ce moment-là, je me suis dit que tu devais être d'un naturel assez impulsif mais qu'on t'avait appris à avoir une certaine maîtrise de tes émotions. Je me suis reconnue dans ce que j'ai vu, ce soir-là. » Elle lui adressa un regard complice, étant elle-même plutôt impulsive de nature mais toujours disposée à faire en sorte de garder un contrôle sur tout ça. « J'ai aussi tendance à penser que tu as beaucoup de fierté, et qu'elle t'est très utile pour cacher ce qui fait peut être ta faiblesse. En soi, je te vois comme quelqu'un qui sait ne montrer de lui que ce qu'il sait ne pouvoir lui faire aucun tort. Et en ça aussi, je me reconnais assez dans ce que je vois. » Ce n'était là qu'une série de déductions assez sommaires, n'ayant aucune envie de l'analyser comme elle avait pu le faire avec des êtres accusés du pire. Mais oui, c'est vrai, elle se reconnaissait décidément assez en lui. Leur origine n'était donc pas leur unique point en commun, semble-t-il.