C'est la fin du prime. Je fais mes adieux aux éliminés. Je m'isole, déambule à l'orée de la forêt. Pensif, j'allume une cigarette. Je tire une latte et revois le dernier sourire qu'elle m'est adressé. Je ferme les yeux, pousse un long soupir. J'ai le cœur qui me serre. Elle est partie. Elle a quitté l'aventure. Un constat effroyable. La tristesse émerge, un vide s'installant alors dans ma poitrine. Je ne ressens que de l'amertume à cet instant, teintée de regrets absurdes. Je balaie des yeux l'horizon obscur avant de rentrer au château avec une certaine nonchalance. Je ôte mon manteau en arrivant dans le couloir. Je tourne à droite et pénètre dans le dressing. Je rencontre les prunelles de Donia. Je me fige, je la dévisage d'un regard mauvais avant de me diriger vers mon armoire où je range mon caban. Je me retourne. Elle s'approche et me fixe. Mon visage se durcit, se revêt d'une mine détachée. Les images de la rubrique de ce soir me reviennent en mémoire. Je ne la quitte des yeux tandis que je dénoue ma cravate. Je finis par l'enlever. - Ce cher Pavel a été à ton goût à ce que j'ai vu. Je ris jaune. Une conquête de plus dans le harem du candidat. Cette coucherie accentue d'autant plus ma mauvaise humeur. Elle le sait et elle s'en amuse à cœur joie. - Personne ne peut te résister, on dirait., dis-je d'un ton moqueur. Mon regard s'assombrit. Elle a toujours exercé cette fascination sur les gens. Je l'ai déjà vu à l'oeuvre. Elle est douée, très douée. La beauté de la jeune femme a séduit plus d'un. J'y ai succombé en premier. Ce moment de débauche avec Pavel n'est presque rien, comparé à ce baiser qui n'est autre qu'un moyen d'asseoir son ascendant sur mes homologues masculins. Par contre, elle a choisi la mauvaise cible. - Laisse Celse en dehors ça., que je lui ordonne sèchement. Je vois clair dans son jeu. Je n'aime pas du tout ce qu'elle est en train de tramer derrière mon dos. Serait-ce de la provocation ? Une tentative désespérée pour attirer mon attention ? Et que sais-je encore. Il est vrai que ces derniers jours, je n'ai pas été très réceptif vis-à-vis d'elle. Notre binôme en pâtit. Mais elle est en train de jouer avec le feu. A trop jouer avec, on finit par se brûler.

Le prime s’est achevée depuis un petit moment. Je traîne au rez-de-chaussée du château, ayant visité la cuisine quelques instants, le temps de me préparer un bon thé que j’ai pris loisir de siroter, installer sur l’un des fauteuils au salon. Le chaos habituel qui règne à cette heure s’est dissipé, et je suis restée seule, ma tasse bien en main, buvant le breuvage chaud à petite gorgée. Bientôt, une heure de cette nouvelle journée se serait écoulée. Mieux valait que j’aille retrouver ce lit qui, doucement, commençait à me faire envie. Je délaissais donc ma porcelaine dans l’évier de la salle à manger pour grimper à l’étage, allant m’isoler dans le dressing afin de m’y changer. Mon rangement à peine entrouvert que je capte à un mouvement, non loin de l’entrée. Orson pénètre dans la pièce, et son regard glacé me transperce. Il s’affaire à ranger son manteau, je me tourne vers lui, l’observe à la dérobé. Il capte mon mouvement. Nos regards s’encrent l’un dans l’autre. Il se débarrasse de sa cravate sans même lui jeter un seul coup d’œil. Son attaque fuse d’entre ces lèvres, je le sens acerbe, mécontent de la tournure des évènements. Je prends sa remarque sans même sourciller. J’ai l’habitude de l’entendre râler, nos chicanes de fins de soirées me reviennent en tête comme un écho à la scène. Sa jalousie, même encore aujourd’hui, est palpable. Je le toise un instant. « Tu n’as été ni le premier, ni le dernier à me succomber. » me contentais-je de lui répliquer. En quoi est-ce un réel problème, que les hommes, et même les femmes se bousculent à mes pieds. L’attraction que j’exerce sur les gens n’a plus rien de surprenant. Je suis encore étonnée que lui s’en trouve offensé.  Qu’il se sente le besoin de me confronter. La mention de Celse dans cette conversation me fait sourciller quelques instants, et je secoue faiblement la tête pour chasser ce qui se tramait doucement dans mon esprit. « Ça ne te concerne pas. » Ma décision d’embrasser ce dernier, lors de cette mission, ne résulte pas de quelconque ruse pour irriter qui que ce soit. Les gens semblent se méprendre sur mes actions. J’apprécie réellement le candidat, et c’est là un fait et étonnant, me surprenant. Je délaisse mon partenaire pour m’affairer ailleurs, retirant en m’éloignant ce haut qui m’emprisonne le corps, le lançant dans le panier à linge qui traîne dans un coin. Lui tournant le dos, je le questionne. « Judith n’est plus là pour te distraire. Tu reviens donc à tes premiers amours, à ce que je vois. » Son esprit voguait ailleurs, loin des tourments que ma présence lui causait. Désormais, les drapeaux blancs sont virés au rouge. Retour sur le champ de bataille.

La fin du prime a fini par m'achever. Mon moral a pris un sacré coup. Je n'ai pas encore digéré le départ de la pianiste. Je ne ressens que de l'amertume et des regrets. Tout ceci n'est rien à comparer à la fureur qui monte en moi à l'instant où j'ai franchi le seuil du dressing. En voyant le visage de Donia, tout remonte à la surface. Les images me reviennent en mémoire, exacerbant ma mauvaise humeur. Je la fustige d'une première remarque qu'elle prend par-dessus la jambe concernant Pavel et elle. Ce n'est pas tant leur coucherie qui me perturbe, mais ce baiser avec Celse me reste encore en travers de la gorge. Je veux qu'elle le laisse tranquille. Je le lui ordonne presque. Apparemment, ce ne sont pas mes affaires. Je la toise du regard. - Si, ça me concerne., dis-je en haussant le ton. Ma mâchoire se durcit. Mon regard s'assombrit. J'ignore ce qu'elle cherche en se rapprochant de lui de cette manière. Cette fille me déconcerte. Je ne la comprends plus. Dans ce baiser, je n'y vois que de la provocation pure et dure. Ma méfiance à son égard resurgit. Je garde une certaine contenance afin de ne pas perdre mon calme. Je pousse un long soupir. Je la regarde s'en aller et enlever ce haut. Elle me parle de Judith. Depuis son départ, c'est le retour des représailles. Je hausse un sourcil interrogateur. - Est-ce un reproche que j'entends de ta bouche ?, que je réplique sèchement. Judith n'a jamais été une distraction. J'éprouvais sincèrement pour elle une infinie tendresse. Il est vrai qu'elle est parvenue à me défaire de l'influence de ma partenaire. En sa présence, j'ai trouvé un havre de paix. Son absence laisse désormais un énorme vide. Elle me laisse alors avec mes anciens démons. Je retire ma veste, la range, déboutonne le col de ma chemise et en retrousse les manches. Je me rapproche d'elle. Et d'un murmure suave, je poursuis : - Avoue que ça t'a manqué. Les disputes, les remarques acerbes, les joutes verbales qui ont rythmé notre quotidien et qui ont fondé les ciments de notre ancienne idylle.  Je me place derrière elle. Mes phalanges effleurent ses omoplates, puis descendent plus bas. Le dos de ma main vient frôler son échine. Je redécouvre la douceur de sa peau, le parfum qui s'en dégage. J'ai comme un moment d'absence.