Après le dîner, il s'était réfugié dans la cave, emmenant avec lui cahier à esquisse et crayons en tout genre pour dessiner dans le calme total, tout en dégustant un vin rouge de grande crue. Il s'isolait volontairement loin des regards indiscrets, loin de la tumulte. Trop de bruit. Il ne pouvait se concentrer sur ses dessins. Heureusement, le château recelait d'endroits inexplorés et disposait de pièces vacantes. Surtout à cette heure de la soirée. La cave à vin, donc. Installé sur l'un des fauteuils, il griffonnait, noircissait la page vierge de coups de crayon précis et légers. Il jouait avec les nuances de gris et songeait à en faire un tableau prochainement. Il s'enfermait dans son imaginaire en noir et en blanc. Il ne réfléchissait guère au rendu final. Il se laissait porter par sa créativité. Tout d'un coup, il entendit un bruit. Il fronça légèrement les sourcils, levant les yeux de son carnet à croquis quelques instants. Puis, le silence. Il regarda autour de lui et ne vit personne. Il n'était pas seul, il en était certain. - Il y a quelqu'un ? Sa voix résonnant entre les murs de la cave, il distingua dans un coin de la pièce s'esquisser une silhouette longiligne. Il referma en douceur en carnet et observa cette silhouette flânant entre les étagères. Cette dernière sortit de sa cachette, se dévoilant toute entière sous le regard inquisiteur de l'anglais. Un sourire mutin ourlait sur ses lèvres charnues tandis qu'elle s'avançait vers lui d'une démarche chaloupée. Il se leva de son siège. Arrivant à la hauteur du jeune homme, il la salua d'un signe bref de la tête. - Du vin ?, dit-il en indiquant de son index la bouteille de rouge en face de lui. Son verre était à moitié vide. Il s'en resservit avant de se diriger vers le comptoir et d'attraper un autre verre pour la jeune femme qu'il lui tendit en revenant vers elle, un rictus en coin.

Il y a quelqu’un ? Cette question amène un léger sourire aux lèvres d’ Inès alors qu’elle avance plus en avant dans la cave à vin. Elle s’attendrait presque à voir surgir Jason au détour d’une étagère pour venir égorger le propriétaire de cette voix. Résultante ‘une indigestion de films d’horreur et de son lot de cauchemars. Orson, elle découvre qu’Orson risque de mourir en premier, triste pom-pom girl, il fallait l’avouer. Elle le salua d’un léger mouvement de tête avant d’avancer jusqu’à lui. Il s’était déjà levé de son siège sans qu’elle n’arrive à déterminer s’il était mal à l’aise d’avoir été dérangé ou simplement si c’était un gentleman. « S’il te plait. » Elle adressa un sourire à sa requête tout en observant le carnet de croquis qui trônait près de la chaise vide d’Orson. Elle était assez curieuse pour trépigner d’envie de le découvrir mais trop bien élevée pour simplement le faire. Inès reporta son attention sur Orson, et attrapa son verre, le remerciant du bout des lèvres. Attendant qu’il s’asseye de nouveau pour y tremper ses lèvres, elle approuve d’un sourire. « Tu dessines ? » Inès n’était pas une passionnée d’art mais elle l’était de ceux qui pouvaient créer, de ceux qui avaient ce don pour simplement comprendre les choses et le mettre en image, en mot, en musique. Elle-même n’avait d’autres dons que celui d’être elle-même, ce qui ne demandait en soit qu’un effort minime. « J’aurai aimé pouvoir faire plus qu’admirer les toiles. » Elle aurait aimé pouvoir dessiner, peindre ou même chanter. Faire quelque chose. Son propre consultant était aussi peintre, cela n’avait rien d’étonnant, joindre l’utile à l’agréable. Reléguant cette nostalgie inopportune, elle releva habituellement le coin des lèvres en un léger sourire. « Mais qui est donc vraiment Orson ? » Le ton plus léger à l’instar de sa plaisanterie, son doigt jouait avec son verre, son regard planté sur son camarade.

Il pensait être tranquille pour dessiner au calme jusqu'à ce que quelqu'un fait son entrée dans la cave. Ce n'était qu'Inès. Sa présence ne lui dérangeait guère. Il rangea tout de suite ses croquis pour reporter son attention sur la française. Il se redressa du fauteuil pour venir la saluer. Politesse oblige. Il lui proposa du vin avec courtoisie. Sans plus de cérémonies, il versa du vin rouge dans le récipient qu'il lui tendit par la suite. Elle le remercia sans se départir de ce sourire charmeur qui était sa signature. A la question si il dessinait, il répondit d'un hochement de tête puis la gratifia d'un sourire demi-entendu avant de rasseoir, le verre de vin rouge à la main. Il le porta à ses lèvres et l'observa arpenter la pièce du coin de l’œil. Elle regrettait de ne pas savoir faire autre chose que d'admirer des peintures. - Quel genre de toiles en particulier ?, demanda-t-il, curieux de connaître sa réponse. Il ne savait si elle était amateur d'art ou non. Il aimerait savoir quels tableaux lui procuraient de frisson de plaisir. Selon lui, l'art était à la portée de tous. Que l'on soit connaisseur ou non. Elle lui posa alors une question existentielle. Qui était-il ? Son sourire s'accentua. Il rit légèrement. - Bonne question. Il aimerait le savoir lui-même. Voyant qu'il attisait sa curiosité de minute en minute, il était ouvert à toutes les questions qui lui trottaient dans la tête. Du revers de la main, il l'invita à s'installer à ses côtés. Il s'empressa de déposer son carnet à croquis sur ses genoux. - Que veux-tu savoir à son sujet ? Il l'intriguait autant qu'elle l'intriguait. Et ce, depuis leur première rencontre. Outre le fait qu'elle était ravissante (ce soir, ne faisant pas exception), il la trouvait charmante pour le peu de conversations qu'ils ont eu.

Discuter d’art, un verre de vin à la main avait quelque chose d’assez familier. C’était une situation qu’elle avait vécu tant de fois et pourtant, chacune se révélait différente. Orson avait ce calme sur qui appelle aux confidences. Il lui demande quel genre de toiles et elle n’hésite pas une seconde avant d’y répondre d’un ton révérencieux. « La neuvième vague. » Fixant un instant son verre, laissant les souvenirs remonter à la surface, elle finit par lever les yeux vers Orson pour lui expliquer. « Aivazovsky. Une reproduction est affichée au dessus du bureau de mon père. » Elle n’y avait que rarement mit les pieds, n’étant pas l’endroit idéal pour la petite fille qu’elle était, ou même l’adolescente qu’elle était devenue. Et pourtant, quand elle avait vu ce tableau, elle avait comprit qu’elle aurait pu y passer des heureuse, simplement à le regarder. « Je me rappelle lui avoir demandé un jour pourquoi, de toutes les toiles qu’il pouvait se permettre d’acheter, il avait choisit une reproduction pour son bureau. » Prenant place sur la chaise qu’Orson venait de libérer, elle posa son verre sur la table avant de terminer son histoire. « Il m’a dit que certaines choses valaient la peine d’être vues par le plus grand nombre. Que la beauté se devait d’être partagée. » Une larme coula sur la joue d’Inès qui s’empressa de l’essuyer. C’était peut-être une histoire sans intérêt pour beaucoup mais au milieu de cette conversation, elle avait eut l’impression qu’il ne parlait pas seulement de la toile mais aussi d’Inès. Il n’était pas homme à simplement déclarer qu’il avait foi en elle mais ce jour là elle avait lu entre les lignes et elle s’était sentie fière. Un sourire essaya de masquer les réminiscences de ce souvenir sans trop y parvenir. La distraction de passer à Orson l’aida, pour autant, à contenir ce surplus d’émotion qui bouillait en elle. Elle avait tant de questions qu’elle ne savait par laquelle commencer. « J’aimerai savoir ce que tu dessines. » C’était assez personnel pour être une invasion d’une certaine intimité mais il avait demandé.