Jusqu'à présent, je suis quasiment pas allée du côté de la forêt. Ce qui est plutôt étrange en soi, puisque je suis une fille de la nature, et en temps normal j'adore aller faire mon jogging en plein air. Je ne sais pas ce qui a pu me déranger ici – j'ai envie de dire que c'était une question de timidité, en quelque sorte. Comme si, en m'aventurant de ce côté-là du territoire qui nous a été attribué, j'allais trop loin, je m'éloignais trop du cœur, du foyer. J'avais préféré réserver cet endroit pour un temps futur, quand je me serais sentie plus à l'aise, plus chez moi, c'est qu'il faut y aller graduellement, progressivement, et je ne peux pas conquérir tout le domaine mis à notre disposition en quelques jours. Ça demande du temps, de la patience. Comment ça vous avez l'impression que j'essaye de me justifier avec un beau ramassis de connerie ? Ah non mais je vous permets pas et, non, mais, certes, ok, y'a un peu de ça. Bref, tout ça pour dire que je me lance finalement. Je profite qu'il fasse un temps à peu près ok, enfile mon jogging et file courir un peu, suivant précautionneusement les sentiers (il paraît qu'il est dur de s'y perdre, mais j'ai foi en mes talents en la matière et je suis certaine que je saurais relever le challenge, alors mieux vaut y aller prudemment). Au bout d'un moment, je parviens jusqu'à la fameuse clôture et interromps alors ma course, trottinant doucement jusqu'aux miroirs, que je ne peux m'empêcher de toucher. Bizarrement, j'ai peur qu'une alarme retentisse ou qu'un système de protection se déclenche, mais non, rien. J'entends des bruits de pas et, brusquement inquiète pour rien, je me retourne – c'est bon, il s'agit seulement d'un des candidats, Ivan si je me souviens bien. Et je pense me souvenir bien. « C'est moi ou ça a un côté très Hunger Games ? » je lance tandis que mon regard fait l'aller-retour entre Ivan et la clôture. « C'est un peu flippant, non ? » Je sais pas, je trouve ça un peu flippant moi en tout cas. On sait tous qu'on est enfermés ici. Mais là, c'est un coup à se sentir vraiment pris au piège.

Parfois, y'a des idées en l'air qui se lancent dans mon cerveau et se répercutent à l'infini contre les rebords de ma caboche. C'est un peu ce qui arrive, là, en ce moment. Ce qui peut être pratique, dans des moments comme ça, c'est de tomber sur quelqu'un qui sait me raisonner et m'ôter mes lubies de l'esprit. Mais là, je tombe sur Ivan. Et j'ai l'impression que l'idée va se répercuter contre les recoins de son crâne à lui aussi avant de revenir vers moi, avec plus de force et d'intensité encore. Si bien que, à l'origine, je trouvais cela tout simplement un peu flippant, étrange comme coïncidence, du genre à faire froid dans le dos, mais rapidement. Or, là, je commence à trouver ça bien plus inquiétant. « Mais ça pourrait tout à fait être possible... » je laisse échapper, saisie d'effroi tout d'un coup. Peut-être qu'il y a une machination. Que tous les éliminés sont déjà morts. Et peut-être que Lulu-Belle et Tonya ont percé le truc à jour, et se sont enfuies - oui, ça expliquerait tout, tout ! « Moi non plus... » je gémis plaintivement en écho à ses propres paroles en resserrant mes bras autour de mon corps. Je regarde à droite, puis à gauche, et pose faussement machinalement la main sur mon micro, de manière à ce que mes prochaines paroles ne puissent être enregistrées. « Il faut s'enfuir. Comme ont dû le faire Lulu-Belle et Tonya. Ou se rebeller. » À nous tous, en unissant nos forces, on devrait pouvoir, non ? Mais maintenant que j'y pense, quelque chose me chiffonne : c'est quand même étrange que Lulu-Belle n'ait pas amené son faux frère avec elle, nan ?