Ça faisait bien vingt minutes que je fixais mon reflet dans le miroir. A mon avis, Narcisse s'était noyé dans son reflet en moins de temps que cela, mais j'arrivais pas à prendre une décision. C'était pas non plus le choix crucial qui allait changer ma vie, mais n'empêche y'avait matière à réfléchir, c'était pas le moment de faire une connerie que je regretterais demain ... ou ce soir, même. Disons que métaphoriquement parlant j'avais la tondeuse dans une main, et mes hésitations dans l'autre. Parce que c'était bien de ça qu'il s'agissait, de l'avenir de mes cheveux, hu. J'avais commencé à leur laisser ce que mon entraîneur appelait à l'époque une longueur "acceptable" vers seize ou dix-sept ans, probablement parce qu'aux yeux des sponsors les deux millimètres de cheveux sur le crâne ajoutés aux tatouages et à mes origines ethniques, tout cela me donnait un peu trop l'air d'un yakuza en devenir et forcément c'était moche ... enfin bref, du coup je les avait jamais recoupé aussi courts depuis, je ne savais pas trop pourquoi. Je crois que c'était surtout une question d'habitude, seize ans c'était aussi l'âge auquel j'avais cessé d'aller à l'école sur la base de Pearl, et du coup de ne traîner qu'avec des fils de militaires, n'ayant bien souvent eux aussi que trois poils sur le caillou capilairement parlant, dans l'espoir de ressembler à papa, hm. Enfin bon du coup je savais pas pourquoi je pensais à ça et pourquoi j'avais eu cette idée saugrenue en sortant de la douche aujourd'hui ... Ben allait probablement me tuer si je faisais ça, ceci dit, il me l'avait jamais sous-entendu mais je le savais, alors c'était sans doute une mauvaise idée. Pourtant je restais là, la tondeuse dans une main, mes cheveux encore humides dégoulinant pour l'instant sur le col de mon débardeur. Fallait que je prenne une décision de toute façon, j'allais pas rester là toute la journée, ou j'allais finir par prendre racine. Et c'est justement à ce moment là que j'avas vu débarquer Henley ; Au moins si elle me demandait ce que je foutais, dans une salle de bain qui n'était pas la mienne qui plus est, je serais bien obligé de me décider pour donner une réponse.

« Je suis pas certaine que le mélange cheveux mouillés et tondeuse soit top mais tu fais ce que tu veux. » Qui sait, j'avais peut-être décidé d'en finir et elle arrivait juste au bon moment pour être témoin du drame. Pas qu'elle semble en être particulièrement émue cela dit, mais bon. Non mais ça allait, c'était pas dans mes plans de toute façon, j'avais pas envie de finir comme ce type là, comme il s'appelait déjà ... un imbécile de français qui s'était fait griller en changeant une ampoule, là ... bref, on s'en foutait un peu de son nom. « C'est tout ? Pas de tentative pour essayer de me persuader que la vie vaut d'être vécue et qu'en plus de ça je te manquerai horriblement ? Je suis déçu. Profondément déçu, même. » Bon, en attendant elle m'avait involontairement aidé à prendre une décision, j'attendrais un peu pour la coupe de printemps. En fait je crois surtout que c'était les foudres que Ben risquaient de faire s'abattre sur moi si j'allais plus loin qui m'avaient convaincues, mais bon. Bref, j'avais pas posé la tondeuse pour autant parce que j'étais venu avec et que je comptais pas la laisser traîner ici, vu que j'étais quasiment certain que si je la posais quelque part je la retrouverais pas ensuite ... Bon et pourquoi Henley se fixait-elle dans le miroir de cette façon ? Si elle hésitait sur la même chose que moi, je voulais bien lui faire la boule à zéro moi-même pour me faire la main, hm. Oui bon ça va, on peut rire un peu. « Si tu espères qu'il va te dire ton avenir, tu devrais te pincer pour voir que t'es pas en train de rêver, quoi que j'espère pour toi que t'as l'air moins blasée de sommeil dans tes rêves, hm. » avais-je dit en désignant du menton le miroir devant lequel elle se tenait. Bon, il était encore tôt, enfin pas pour moi mais de manière disons générale, alors j'estimais avoir cette excuse là pour expliquer mon humour à deux francs six sous ... Mais bon, elle avait véritablement la tête de quelqu'un qui aurait préféré rester dans son lit, aussi.

« Je te mens pas et t'es déçu ? T'as une vision étrange des choses, toi. » Heureusement pour moi que j'étais pas du genre à me vexer pour si peu. Enfin si, ça pouvait m'arriver, en fait je ne savais pas trop pourquoi simplement quand ça venait d'Henley ça ne me vexait pas ... Je crois que j'avais juste pris le parti de prendre ce qu'elle disait pour ce que c'était, une volonté de faire mouche. Coinçant finalement la tondeuse dans la poche arrière de mon jean, j'avais passé une main dans mes cheveux pour les débarrasser du surplus d'eau qui glissait jusqu'au col de mon tee-shirt « Qu'est-ce qui est un mensonge, que la vie vaut d'être vécu ou que je te manquerai terriblement ? Ou bien les deux ? » On ne savait jamais, pouvait y avoir matière à ce que cela soit un point de vue intéressant, ou alors c'était juste qu'elle n'était pas du matin et qu'à cette heure-ci le simple fait d'être ailleurs qu'au fond de son lit était suffisant pour envisager un acte désespéré. J'avais un peu de mal à comprendre ceux qui galéraient à mettre les pieds en dehors de leur lit le matin, sans doute parce que moi j'étais habituellement plutôt du genre à être réveillé avant même que mon réveil ne sonne et à me lever parce que je n'avais pas la patience d'attendre que sonne l'heure à laquelle je l'avais réglé. Ouais, j'étais pas un couche-tard mais en revanche j'étais du matin, sans souci. « Tout est de la faute de Danaé. Une vraie chienne. Non, attends, ça peut porter à confusion, ça. C'est une petite conne, tu vois, du genre à piquer la couverture, à me donner des coups. Je suis sûre que j'ai des bleus. Je suis maltraitée, en fait. » Eh beh, si avec tout ça Danaé n'avait pas les oreilles qui sifflaient dans la seconde qui suivait je ne saurais plus quoi en penser. La fin de phrase d'Henley m'avait en tout cas arraché un léger éclat de rire parce que franchement, des deux blondes si y'en avait une qui était plus de taille à faire des misères à l'autre je pensais pas que ce soit la douce Danaé. « C'est au moins une cause de divorce ça, le non-partage de couverture. Tu devrais en toucher deux mots à Cupidon. » Ou alors elle avait juste un problème avec la notion de partage. Ou le fait de partager son lit. « En revanche tu ne peux plus rien tenter de trop violent envers Danaé, maintenant je saurais que c'est toi ... et je suis pas le genre dont on achète le silence. »