CELSE

C'était très probablement ma dernière semaine au sein du nid. Et si une part de moi appréhendait légèrement ma sortie, alors que l'autre ne demandait qu'à aller voir ce qu'il y avait à l'extérieur. C'était pour cette raison que je n'avais pas encore décidé de si j'allais rester une dernière semaine au sein du jeu, malgré mon élimination, ou si j'allais rejoindre mon chez moi, et organiser la reprise de ma vie. Parce que je l'avais bien longtemps laissé entre parenthèse, et que cette aventure m'avait donné le courage d'avancer. Qu'elle m'avait fait prendre conscience que ce n'était pas vivre. D'un côté, j'étais réellement content d'y avoir participé, car celle ci m'avait fait réaliser des choses que je ne pensais pas faire un jour. Pour commencer, j'avais pris la première cuite de ma vie, oui, et pas que ce soit un excellent souvenir, je savais au moins ce que cela faisait. Je me sentais limite comme un grand quoi. Et puis j'avais osé parler de mes sentiments devant plus de je ne sais combien de personnes... Enfin, moi, la fleur bleue de l'aventure qui avait un peu trop tendance à aimer tout le monde, c'était probablement dans la logique des choses qu'un truc du genre arrive, hm. Et aujourd'hui, j'avais décidé d'imiter les gestes passés de Celse. Je me souvenais qu'il savait jouer au ballon, enfin, au foot. Moi, pour tout vous dire, ça n'avait jamais été trop ça. Mais j'étais quand même prêt à essayer, et de moi même en plus ! Du coup, je m'étais mis dans le jardin, et avais commencé à taper dans le ballon, avec l'adresse d'un singe sous acide. Franchement, ça faisait carrément peur, hm. Et puis, d'un coup, je vois le candidat qui s'approche, donc super fier de moi, je ne tarde pas à l'interpeler. « Eh ! Celse ! Regarde ce que je sais faire ! » là, je sens une puissance insoupçonnée grimper en moi, du coup je pose le ballon par terre, recule, recule encore et PAM ! Un grand coup de pied plus tard et celui ci s'envole telle un boulet de canon... et frôle l'oreille droite du blondinet (...) et s'écrase contre une des vitres du nid qui ne se prie pas pour s'exploser en mille morceaux. Euh... Je place un instant mes mains sur mes lèvres, super étonné et gêné à la fois. « Dis, tu crois que c'est recollable, une vitre en morceaux ? » non parce que j'ai un bâtonnet de colle dans mon sac, si il faut...

C’est très probablement ma dernière semaine au sein du nid. Ouais, je n’en suis pas ravi, mais il faut savoir se montrer raisonnable et ne pas être trop gourmand : la demi-finale était déjà inespérée, ma mère doit déjà avoir fait de moi son héros international (je veux dire : plus encore que d’habitude), n’en demandons pas trop non plus. L’hiver se pointe, de plus en plus rude, mais la résistance côté ciel bleu et soleil ne tarde pas à s’organiser. Je sors sur la terrasse de pierre du château pour profiter de ces derniers jours passés ici, délicieux, sous un ciel de rêve et une tiédeur que le froid naissant ne parvient pas encore à vaincre. Sur la table de bois, un cendrier presque plein, deux verres vides qui ont dû contenir du Coca, trois tasses à café, un briquet, une… écharpe. Comme une grande maison de vacances, dans laquelle chacun laisse sa petite marque, oublie une chose qui lui appartient. Une voix m’appelle depuis le jardin et je m’approche des escaliers qui y mènent. Mon regard tombe sur Camille, un ballon de volley au pied. Mais qu’est-ce qu’il fout à jouer au foot avec un ballon de volley ? Je n’ai pas le temps de froncer les sourcils et de le lui demander qu’il prend son élan et tire. Un tir… Comment vous dire… Au cœur d’un terrain de football taille Stade de France, il n’aurait pas été ridicule, si vous voulez. Mais dans le jardin intérieur d’un château, qui plus est dans la partie florale bordant le château lui-même, le truc est totalement démesuré. Mes yeux s’ouvrent grands et j’observe, impuissant, le ballon passer à toute vitesse au-dessus de moi. Soit je tente de l’arrêter d’une main, soit je glisse tranquillement mes mains dans mes poches et j’observe ce qui se passe. Seconde solution, optée. Je glisse mes mains dans mes poches, ne tressaille pas lorsque le sifflement du ballon vrille mes tympans (au pire, je suis prêt à me le prendre dans la gueule juste pour me marrer devant la réaction désolée de Camille), et ne me retourne même pas lorsque j’entends la porte-vitrée que je venais de refermer derrière moi éclater. Sbringl. J’ai soudain envie d’éclater de rire, mais la tête de Camille, une main plaquée sur sa bouche, est beaucoup trop drôle pour que je détende la situation. Stoïque, je continue de l’observer depuis ma place. « J’ai vu. Ibrahimovic aurait sûrement donné sa démission devant un tel exploit, une telle frappe… » Je hoche la tête, très sérieux, pour appuyer mes propos tandis que j’entends un bout de verre brisé se décoller derrière moi et s’écraser lamentablement sur le sol, pour rejoindre le reste du tas. La question de Camille, candide au possible, me donne encore moins envie de me laisser aller au rire qui, pourtant, gronde dans ma gorge. Je descends lentement les marches pour le rejoindre sur la pelouse, passe mon bras autour de ses épaules et l’entraine avec moi jusqu’aux escaliers, et jusqu’à la vitre brisée. « Bien sûr, bien sûr. Quelques coups de UHU et tout rentrera dans l’ordre. C’est une question de savoir-faire », j’affirme sur un ton professionnel, sûr de moi. Nous arrivons devant la vitre et le tas de verre qui git contre terre, et je contemple la chose avec Camille. Après un instant de silence (amusé pour moi, mortifié pour lui), je passe une main contre ma barbe. « A moins que t’aies un moyen de joindre Harry Potter, je vois pas. T’as explosé la vitre, Maradona. » Tel est le verdict. Sévère, mais juste.