Gaëtane a été chercher une des guitares sèches de la salle de musique. Elle a envie de jouer, mais elle ne veut pas s'enfermer dans la petite pièce insonorisée, surtout que le temps est superbe. Elle s'éclipse vers les escaliers. Par la fenêtre, apparemment, les nuages ont remplacé le soleil resplendissant. Tant pis, ce serait pour une autre fois. Elle continue de monter quand elle croise Mallaury, qui l'arrête net d'une main sur son bras. Il a renversé quelque chose, apparemment. Il lui conseille ne pas marcher là où le sirop a été renversé. « Ah, pardon... » fait-elle en s'arrêtant, longeant le mur. Elle scrute la situation. Un verre renversé, un carnet et un stylo près de lui. D'ailleurs, elle n'a pas le temps de proposer son aide que Mallaury lui fait une requête un peu étrange. « Chanter ? » fait-elle, surprise. C'est peut-être parce qu'elle tient la guitare dans son autre main ? Peu importe, il s'apprête à nettoyer, et elle s'apprêtait à chanter et jouer aussi, de toutes façons. Autant faire d'une pierre deux coups. « Ah, d'accord... » fait-elle, en s'asseyant sur un coin de marche, un peu plus en hauteur par rapport à Mallaury, histoire de lui laisser de la place. « Je... tu ne veux pas d'aide, tu es sûr ? » ajoute-t-elle, malgré le fait qu'il lui ait bien précisé qu'il n'avait pas besoin d'une paire de mains supplémentaires. Mais elle préfère quand même demander, au cas où. Finalement, elle abandonne et saisit la guitare. Elle s'éclaircit la gorge et commence à chanter, les yeux fermés. C'est un bon endroit, sa voix résonne bien dans la cage d'escalier, c'est agréable. Elle espère que ca conviendra à Mallaury, après tout, c'est lui qui a demandé.

Elle chante, perdue dans ses pensées, et quand elle a fini, Mallaury est assis là, à regarder, et n'a pas touché à la flaque de sirop. Elle lui jette un regard étonné, puis regarde la flaque, mais il la complimente. Elle baisse le nez avec un sourire gêné derrière ses lunettes. « Merci... » C'est la deuxième fois qu'il dit qu'elle chante bien, ça lui fait plaisir. C'est ce qu'elle a appris en dernier, finalement, et la seule activité artistique qu'elle ait jamais eue. Cela dit, c'est assez mathématique, plus mathématique que du dessin, ou de la danse, deux activités dans lesquelles elle approche du niveau zéro. Elle ne connaît pas vraiment la version originale de cette chanson, à vrai dire. « Euh non, je l'ai apprise en regardant des vidéos sur Internet... je crois qu'elle s'appelle Pressure. » Elle apprend comme ça, elle regarde jouer d'autres amateurs sur Internet, et elle reproduit, encore et encore. La mémoire photographique fonctionne en accéléré. Mallaury se rend compte qu'il a oublié son ménage, au final. Gaëtane pose la guitare et se lève à sa suite. « Ah, je vais t'aider alors, j'ai fini de chanter... » Elle descend deux marches et ramasse le carnet et le stylo qui sont posés là. « C'est à toi ? » fait-elle en tendant les objets. Ce n'était pas là avant, alors ca doit être à Mallaury. Il devait vouloir écrire, alors. « Tu écris quel genre de textes ? » fait-elle, en reposant le carnet à terre pour descendre les marches et attraper une serpillère dans le placard à balais du hall d'entrée. Elle gagne de l'assurance plus facilement avec les gens comme Mallaury. Il est simple, naturel, gentil avec elle, et facile à comprendre, alors c'est plus simple.

Mallaury complimente encore sa chanson et sa petite performance improvisée, et elle ne trouve qu'un petit « Merci... » à dire, debout dans les escaliers, droite comme un i, les mains sur les cuisses. Elle attrape le carnet, demande au candidat s'il s'agit du sien, s'il écrit. Il essaie d'expliquer ce qu'il fait. C'est un peu flou, mais Gaëtane saisit l'idée. « Oh... je comprends... » fait-elle en acquiesçant, descendant pour attraper la serpillère. Ca lui rappelle des choses, chez le docteur Mercier après sa sortie de l'hôpital. Le psychiatre qui était venu la voir à une consultation pour lui faire essayer un exercice étrange. « On m'a dit d'essayer l'écriture automatique une fois, pour... essayer de retrouver ma mémoire... tu as déjà essayé ? » fait-elle naturellement, bondissant sur le souvenir de son hospitalisation, de son accident, sans aucune crainte, neutre. Peut-être que Mallaury écrit comme ça, comme les écrivains surréalistes. Ca la fascine un peu, même si ce n'est pas très scientifique, mais si son psychiatre le lui a conseillé, c'est peut-être que ça doit fonctionner un minimum. « Sur moi ça ne marche pas, à cause de mon cerveau... il ne veut jamais se taire. » Elle attrape ensuite le seau d'eau savonneuse qui est resté dans le petit placard du hall et remonte les marches pour le poser sur l'escalier. Mallaury lui demande si elle écrit des chansons, elle. « Oh non non non... » fait Gaëtane en secouant sa main libre en guise de déni. Certainement pas. « Je suis vraiment très mauvaise dans toutes ces choses artistiques... écrire, dessiner, ou danser, ces choses-là... » ajoute-t-elle avec un petit sourire gêné. Elle chante et joue des instruments, mais ça reste très mécanique. Sauf si elle ferme les yeux et essaie de faire taire ses voix. Mais pour le reste, elle est une bien piètre artiste. Elle peut reproduire des dessins au millimètre, mais elle ne crée rien. Elle a besoin de règles, de lois, de science pour se fixer des bases et des limites, comme dans sa vie, finalement.