La vie dans le nid est paradoxale. Elle est triste, elle est joyeuse. Les gens rient, les gens pleurent. C'est aussi simple et aussi complexe que ça, tout à la fois. Ghika semble flotter dans des eux troubles et transparentes, une espèce de clair-obscur à jamais inextricable. A jamais ? Non, il ne leur reste que deux mois à vivre, au maximum, en ces lieux. Aller le plus loin possible, tenir le plus longtemps possible, n'a plus aucun sens. Il s'en rend bien compte. En fait, c'est même difficile de comprendre comment s'écoule le temps dans le nid. La vie n'y est pas marquée de la même façon qu'on leur a appris. On ne mange pas à heures fixes, on ne dort pas à heures fixes, on vit à un rythme radicalement différent de celui qui, comme un métronome, régit la vie quotidienne dans le monde extérieur. Cette désorientation des sens, l'absence de contrôle sur le passage des minutes, l'adaptation à laquelle l'horloge biologique est soumise. Tout ça n'est ponctué que par les activités et les primes, rares repères dont ils sont munis pour se rappeler du jour et de l'heure. Au fond, tout ça ne compte pas, Ghika se moque de savoir à quelle heure il prend sa douche, à quelle heure il mange une pomme. Mais se retrouver déboussolé est à ses yeux le premier assaut qui participe à la destruction de la culture sociale commune à laquelle ils sont tous soumis depuis leur naissance. Maintenant, après un mois de jeu, ils vivent dans un microcosme qui n'a plus rien à voir avec ce qu'ils ont connu en arrivant. Les amitiés, les animosités, plus rien n'est réglé comme il l'a un jour été. On consolide les attachements, on détruit les rancoeurs et inversement. Rien n'est solide dans Fake Lover à première vue, et pourtant l'expérience humaine est la chose la plus stimulante -et paradoxalement la plus éprouvante- que Ghika n'ait jamais vécu. Assis dans la forêt, il se laisse bercer par le bruit du silence. Un bruit troublé par le son de pas qui approchent. Il ouvre un œil et sourit, de ce sourire d'enfant qui illumine son faciès inexplicablement à chaque fois qu'il la voit. Paloma c'est le trouble et la luminosité, c'est son amie sans qu'il ne puisse l'expliquer. Il tapote du dos de la main la couverture qu'il a étendu sous ses fesses pour l'inviter à s'allonger à côté de lui. « J'étais venu pique-niquer mais j'me suis rendu compte que tout seul c'était pas marrant... Burrito végétarien ça te tente ? » explique-t-il en se redressant. Le moins qu'il puisse faire c'est de partager son déjeuner avec la belle. Non ?

Elle s'installe à côté de lui sans faire d'histoire, il aime ça chez elle, Paloma elle ne cherche pas à toujours tout compliquer. Mais elle sait se montrer taquine, conciliante mais combative, une sorte de mélange parfait entre la douceur et la chaleur. C'est peut-être pour ça qu'il l'aime autant, parce qu'elle est tout ce qu'il y a de plus intéressant. Elle a une histoire, un passé et, peut-être le plus important de tout, un cerveau. « J'étais pourtant sûr que je t'avais envoyé un pigeon en guise d'invitation. » répond-il avec un petit sourire. Paloma sait comment jouer avec Ghika, elle le comprend peut-être même un peu trop bien. Se faire pardonner ? C'est exactement ce qu'il cherche, faire amende honorable pour le grand outrage qu'il a occasionné en négligeant de la convier à sa petite expédition nourricière dans les bois du nid. Alors, prenant une voix toute plaintive et un air contrit, Ghika laisse échapper quelques mots, ce qu'il fait peut-être de mieux. « Qu'est-ce que je dois ajouter dans la balance pour être expié de mes fautes ? » Une bouteille de thé glacé ? Une barquette de framboises ? Il n'a pas grand chose à lui offrir là tout de suite. Mais ça peut toujours s'arranger. Elle le fait se rallonger avant de venir poser sa tête contre sa poitrine. Il passe son bras autour d'elle, protecteur. Ghika commence à saisir les détails qui font de Paloma un être aussi extraordinaire à ses yeux, chaque jour il la découvre un peu plus et chaque jour il tombe un peu plus sous le charme de cette jeune femme si différente de ce qu'il a l'habitude de côtoyer. Paloma a été très claire, à ses yeux du moins, le contact physique ce n'est pas quelque chose qu'elle apprécie. Alors lorsqu'elle le provoque, Ghika se sent bizarrement privilégié. C''est comme si elle l'autorisait à franchir un cap, qu'elle l'invitait à faire une chose qui lui demande un effort. En quelque sorte c'est une déclaration de confiance. Un contrat tacite qu'il sera à présent obligé d'honorer. Le silence et son étonnante multitude de son le bercent alors qu'il lui caresse le bras du bout des doigts. Lorsqu'elle le brise il émet un petit rire. Ils sont pareil sur ce point. Ghika est un peu trop enthousiaste quand il s'agit de découvrir les secrets et qu'il le veuille ou non la traque commence à parasiter ses heures de sommeil. « T'en serais presque obsessive. » commente-t-il en la serrant contre lui. Il est bien là, calme, allongé contre un sol qui n'est pourtant pas le plus confortable qui soit. Dans sa voix il a perçu une sorte d'amusement qui est très communicatif. Mais pour combien de temps ? Il avale sa salive en tentant de rester calme alors qu'elle vient de déclarer qu'il avait été l'objet de ses rêves de la nuit précédente. Il sent son ventre se tordre quasi-immédiatement à l'écoute de cette nouvelle et son cœur s'emballer. « Ah ? » tente-t-il de prononcer d'une voix détachée mais n'y arrivant pas vraiment. Elle est dangereuse, pour être honnête elle est même la seule qu'il pense être capable de percer à jour n'importe lequel d'entre eux. Il écoute le récit du rêve de Paloma avec attention, silencieux, avant de se relever. Il ne la gratifiera pas d'une réponse, de toute façon elle n'a pas posé de question si ? Ghika le sait, il doit apprendre à ne pas toujours laisser sa langue faire le dialogue et utiliser son cerveau par moment. Il se relève doucement, l'entraînant dans son mouvement et commence à fouiller dans le panier. « Hum... je crois qu'il est temps pour le burrito. » sa main tremble, il tente de le cacher, parce que ce n'est pas la peine de lui donner envie de creuser la piste que ses rêves peuvent lui donner. Il lui tend un des burritos végétariens et commence à déballer le sien lorsqu'elle lui pose une question sur Percy. « Je sais pas si je dirais moche. Mais disons que je ne le vois plus exactement pareil maintenant. Bref, en un mot comme en cent je dirais seulement qu'il a un sacré secret. » lance-t-il évasif. Ce n'est pas comme s'il avait le droit d'en dire plus. Les candidats sont libres de laisser des petites allusions à un indice sur leur secret, et Ghika n'a jamais hésité à glisser des mots bien spécifiques lui échapper. Mais le secret de son partenaire ? Il n'y touchera jamais. Chacun a la garde de son propre secret et en fait ce qu'il veut. Parce qu'il est encore un peu stressé par les précédentes déblatérations de Paloma il enfile une paire de lunettes de soleil. Il n'y a rien de plus traître qu'un regard hagard.

Reprenons où nous nous en étions arrêtés. Alors que Ghika ignore la bombe qui est sur le point d'être lancée et qu'il est paisiblement allongé sur la couverture, Paloma s'appuyant contre son cœur. Il ferait bien d'en profiter, parce que ça ne va pas durer, mais il ne le sait pas encore, alors qui peut lui en vouloir. Ghika ne faisait pas appel à la crédulité de son amie quand il parlait de pigeon voyageur, non c'était plutôt à son indulgence. Parce qu'en ce moment il n'a pas les yeux en place des trous. Tout lui pèse, tout le déprime légèrement. C'est comme s'il était entré dans une mauvaise phase du mois, comme une demoiselle qui aurait ses menstruations. Ghika est fatigué. Il a joué le rôle du mec plein de vie, toujours souriant et prêt à déconner pendant un mois non-stop. Parce que le nid a besoin d'éléments toujours ouverts à la rigolade et que s'il ne le faisait pas personne ne se serait dévouer. Mais il sature, il a besoin de deux jours de break, ou au moins quelques heures. « Un pigeon voyageur ou un tweet c'est un peu la même chose non ? C'est pour ça que l'icône de Twitter c'est une sorte de piaf. » essaye-t-il en manquant légèrement de conviction. Paloma est douée pour lui tirer la tête hors de l'eau, sans qu'il ne sache comment elle le fait. « Si tu insistes... » dit-il en riant. Si un sourire est assez pour se faire pardonner son indélicatesse, Ghika se rend. Avec sa gueule d'enfant il n'est pas le plus beau de la maison mais il est peut-être le plus attendrissant. Et encore vous ne l'avez pas vu quand il boude et qu'il fait la moue. Paloma a une vision des choses à laquelle il peut s'identifier, qu'il peut comprendre sans avoir à essayer trop fort, ça coule de source. « Je comprends, en ce moment j'ai l'impression que tout le monde ment de plus en plus. Même moi je mens de plus en plus. Ça devient insupportable. » Voyez-vous ces personnes qui sont tellement apathiques qu'on ne discerne que difficilement si elles sont de bonne ou de mauvaise humeur ? Ghika n'en est pas. En ce moment il a l'esprit embrouillé par toute l'aventure, il a du mal à voir le positif, le négatif, il ne sait plus à qui il a dû mentir pour protéger les apparences. Tout ça devient bien trop compliqué pour un jeu. Il en arrive même à souhaiter que son secret soit explosé pour pouvoir arrêter de se cacher. Redressé et muni de son burrito, Ghika peut prendre le temps de réfléchir, de se calmer. C'est pas comme s'il était réellement en danger, son secret est toujours protégé, pour combien de temps il l'ignore mais maintenant qu'il sait que la nuit Paloma se transforme en détecteur de mensonges... il préfère ne pas trop se prononcer sur ses chances de conserver son secret intact bien longtemps. Elle s'inquiète de ce qu'elle a dit de mal ? Cette fille a-t-elle donc un défaut ? Ce n'est pas de sa faute si Ghika s'est lancé dans l'aventure en couvrant son secret d'un glaçage d'autres secrets. Il pensait à l'époque que c'était une bonne chose, maintenant ça lui porte préjudice. « Rien... t'as rien dit de mal. C'est juste... Ce rêve que tu as fait... tu crois qu'on pourrait le garder entre nous ? J'aimerais bien que les autres candidats ne commencent pas à fouiner dans mes secrets de trop près. Déjà que des indices sont aux enchères cette semaine et que j'ai décidé de ne pas enchérir sur mon propre secret... » explique-t-il, la voix fluette comme serrée par un étau invisible. Il croque dans son burrito encore tiède et essaye de mastiquer lentement, de prendre son temps. Vu l'état dans lequel est son estomac s'il n'est pas précautionneux il va finir par rendre tout ce qu'il avale il le sait bien. « Je crois que j'ai de la chance d'être tombé avec Percy, j'aurais jamais trouvé son secret et ça m'a permis de mieux comprendre ses réactions, sa façon d'être, même si par moment je trouve qu'il dépasse un peu les bornes. » C'est marrant comme parler de Percy lui est facile, il pourrait faire une dissertation, un oral d'examen, sur le sujet à cet instant. Parce que parler de quelqu'un d'autre détourne son esprit de son vrai problème actuel. Dans ses études il a fait un peu, beaucoup, de psychologie clinique et sociale. Aussi il identifie avec un peu trop de facilité ce qu'il est en train de faire. Il refoule ses angoisses, ce qui n'est pas bon et il le sait. Il doit accepter de régler le problème, d'évacuer les troubles et de trouver une solution. Au fond, il est soulagé que ce soit Paloma qui lui en ait parlé, parce qu'elle est intelligente, parce qu'elle est sensible et surtout parce qu'il espère pouvoir compter sur elle. « Et ce rêve... s'il était prémonitoire. Ça changerait quoi pour toi et moi ? » Entre nous, pour toi et moi. Il n'a pas su exactement comment l'exprimer. Il a toujours pensé que leur relation était particulière. Depuis les castings en fait. Il a senti avec Paloma une connexion différente de celles qu'il a pu éprouver avec n'importe qui d'autre dans le nid. Pour être honnête ça a même été, à ses yeux, un lien plus fort immédiatement qu'avec des gens qu'il connaît depuis des années. Pourquoi a-t-il posé la question ? Parce qu'il a besoin d'être rassuré, de savoir que même s'il a menti sur beaucoup de détails, sur son identité en quelque sorte, elle ne va pas le rejeter, parce qu'en bon enfant n'ayant jamais été vraiment choyé par sa mère et n'ayant pas connu son père, il a une peur panique de l'abandon et de la solitude.