La musique a toujours été d'une importance capitale dans ma vie. Alors que je l'ai négligé pendant ces cinq semaines d'aventure, je décide de retrouver cette vieille amie qui m'a tant manqué. À défaut de pouvoir jouer d'un instrument, je passe parfois des heures et des heures à l'écouter. La musique s'empare alors de mon corps et je me laisse guider par le rythme. Parfois je tape juste du pied pour suivre le rythme mais je peux parfois me mettre à danser surtout lorsque j'ai un coup de le nez. J'ai bien envie de m'éclater ce soir et sans avoir à cotoyer les autres. Sans un mot ni même un regard pour mes camardes je prends la direction de la salle de musique, un havre de paix qui peut très vite se transformer en véritable champ de bataille si je le décide. Je m'approche alors de l'incroyable collection de titre mis à notre disposition et je fouille jusqu'à enfin trouver la perle rare. Un album du groupe Avenged Sevenfold au milieu de tous ces groupes de variétés. Je suis surprise de trouver un groupe de metal dans la collection de la production mais je n'ai pas à me plaindre. Je lance le disque et je monte le son. Tant pis pour la sensibilité auditive des autres. Je laisse les chansons défiler avant d'arriver à ma favorite. Je m'attends à tout moment à recevoir la visite d'un petit camarade m'ordonnant de baisser ma musique de "sauvage". C'est le visage de Pia qui se dessine sur le seuil de la porte. « Je ne baisserai pas » . Je la préviens, toute tentative de corruption sera vaine. Et puis je ne bougerai pas d'ici, sous aucun pretexte. « Tu écoutes ce genre de groupes ou ça te file la gerbe ? » . Pia avait l'air d'une fille très rock n' roll alors peut être que nos goûts musicaux avaient quelque chose en commun même si je m'en foutais royalement.

Elle s'apprête à sortir prendre l'air lorsque la musique s'élève et vient se heurter violemment à ses tympans. Sa main glisse sur la poignée, l'abandonne pour se diriger vers la salle de musique, histoire de voir qui a décidé de mettre à mal les oreilles de tous les candidats. Un léger sourire se dessine sur ses lèvres lorsqu'elle reconnait l'air et elle pousse la porte pour tomber sur Felice. « Je ne baisserai pas ». Wow. C'est qu'elle a l'air plutôt déterminée, la belle tatouée. Elle donne l'impression que le seul moyen de la faire sortir d'ici serait de ramener un tractopelle, au moins. « J'avais pas l'intention de te demander de baisser. Pourquoi, t'as déjà eu droit à plusieurs récriminations ? ». Elle demande, un air amusé sur le visage. Pas sûr que ça entre dans les goûts musicaux de la plupart des candidats qui se traînent dans le nid, c'est sûr. Elle se pose sur un des sièges qui trônent dans la salle négligemment. « Ma préférée, c'est Hail to the King. Nightmare, j'aime bien aussi. ». Elle lance simplement en guise de réponse à sa question. Elle a un avis sur presque tout en musique, que ce soit du pop rock ou du death metal. Et comme elle aime plutôt bien ce qu'écoute la brunette, elle s'autorise d'elle-même à rester ici. Pas moyen de la faire passer par la fenêtre, de toute façon elles sont au rez-de-chaussée, alors il vaut mieux souhaiter pour Felice qu'elle soit d'humeur à la tolérer.

Ce soir j'ai besoin d'entendre les chansons qui ont bercé mes nuits solitaires et ces journées où j'avais tant envie de crier ma haine pour ce monde. Un monde injuste, dur où l'on peut être prisonnier de son propre destin. Un monde où je vis seul, loin de tout le monde mais surtout loin de lui. De là où il est, il ne peux pas entendre mes souffrances et toutes ses fois où j'ai hurlé son nom sans que jamais il ne vienne me rejoindre. Il ne me retrouvera pas, non jamais. Je sais que c'est impossible et pourtant j'ai toujours espoir. Je m'imagine qu'il a pu s'en aller, tout comme moi, et qu'il me cherche dans l'immensité infinie de ce monde. Et puis je balaye cette idée de la main et je dois me retenir d'hurler ma douleur. Mes goûts musicaux sont le parfait reflet de ce que je suis et de ce que je vis. J'aime qu'on hurle dans mes oreilles, qu'on prenne le relais de mes souffrances. Qu'on me jette en plein visage que ce monde est injuste ce que je ne comprends que trop bien. Alors lorsque je me rends dans la salle de musique pour écouter quelques morceaux, je n'espère pas trouver du réconfort dans le dernier album de Miley Cyrus. Je jubile lorsque je tombe sur l'album d'un de mes groupes préférés, j'en saute presque de joie malgré mon humeur maussade. Je lance le disque et laisse la musique venir éveiller mes sens et bouleverser mes émotions. C'est alors que la porte s'ouvre brusquement et je vois le visage de Pia se dessiner. D'une humer de chien je lui dis que je ne compte pas baisser la musique. Hors de question, j'avais dû supporter les goûts calamiteux de certains de mes camarades bien trop longtemps, à eux de faire un effort maintenant. Pia, elle, ne me demande pas de baisser la musique. Elle me demande même si elle n'est pas la première à franchir cette porte pour me remonter les bretelles. « Tant mieux, et non j'ai pas encore réussi à faire exploser les tympans des autres. ». Je lui réponds avec un sourire carnassier, l'air de dire que c'est bien dommage. Elle n'est pas comme les autres la rouquine, au lieu de me dire de baisser le son elle referme la porte derrière elle et vient me rejoindre. Que je le veuille ou non, je pense qu'elle ne partira pas. Tant pis, elle est loin d'être la personne la plus dérangeante dans ce nid. La jolie rouquine connaît ce groupe, elle apprécie même quelques chansons. « C'est vrai qu'elles sont cools ces chansons. Ma préférée c'est A Little Piece Of Heaven, un chef-d'oeuvre. » . Je lui lance comme s'il s'agissait d'une symphonie de Mozart. Pourtant c'est mon petit chef-d'oeuvre personnel. Et je m'en tape que ça parle de nécrophilie pendant la chanson. « C'est vrai que tu es guitariste ? ». J'avais eu vent de cette information, je voulais en avoir le cœur net. Savoir si, tout comme moi, elle vivait de sa passion et qu'elle laissait son art prendre le dessus sur sa vie sentimentale.

La musique, c'est toute sa vie. Si on raye les détails du genre famille, metro-boulot-dodo, évidemment. Elle est comme un gourmet à ce niveau là, elle goûte à tout, elle teste, écoute pour se forger l'oreille là où d'autres exercent leurs palais. Elle aime la musique depuis qu'elle est toute gosse, parce que celle-ci ne l'a jamais piégé avec des notions compliquées, des règles de trois et tous ces trucs vaseux en quoi consistent les cours. Il suffit d'avoir des oreilles pour comprendre la musique, et un cœur pour l'assimiler. Elle en écoute tout le temps, de n'importe quoi, un joyeux mélange dans les oreilles dans lequel on croise des artistes de tous les âges et de tous les styles. Alors elle ne risque pas de venir hurler sur Felice, elle respecte et surtout en l’occurrence, elle aime aussi. « Tant mieux, et non j'ai pas encore réussi à faire exploser les tympans des autres. ». Elle sourit d'un sourire en coin face à celui de la brune qui a clairement l'air de dire merde au monde. « Monte un peu plus le son et tu peux être sûre que t'en retrouveras planqué dans les placards. ». Ils croiront à une révolution, au moins, surtout ceux qui semblaient briller par leur bonnes meurs et leur goût pour la délicatesse. Elle hoche la tête lorsque sa camarade lui parle de sa chanson préférée, approuvant simplement. C'est une chanson qui lui colle plutôt bien, elle trouve. Son visage s'illumine d'avantage lorsque Felice lui demande si elle est réellement guitariste. « Oui, je fais partie d'un groupe. On attend toujours le moment où ça va décoller. J'aimerai pouvoir vivre de ça seulement. Un jour, ça se fera. ». Elle hausse les épaules comme pour se persuader que c'est une évidence, seulement une question de temps. Décrocher du quotidien dans lequel elle était limitée à servir des pâtes dans un restau-bar pour se consacrer à la scène, ce serait le pied. « Toi, tu bosses dans quoi ? ». Elle finit par demander, après avoir attendu religieusement la fin du morceau et juste avant qu'un autre ne s'enclenche.

Ce n'est pas évident pour la plupart de trouver de la beauté dans une chanson où les cris sont omniprésents. Il faut laisser ce cri se heurter à notre sensibilité auditice pour mieux qu'il percute notre âme. Ce son qui peut sembler disgracieux au premier abord n'est rien de moins qu'un fragment de nos états d'âme qu'on envoie au loin et qu'on partage avec l'autre. Et ça Pia semble l'avoir compris. Il y a de la beauté dans tout, dans un cris, dans des pleurs et surtout dans un sourire. Pourtant je suis loin d'être élitiste et je m'intéresse à tous les genres musicaux parce qu'il y a du bon dans chacun. Il suffit juste de creuser et de ne pas se limiter à ce qu'on diffuse dans les médias de nos jours. Ma voisine comprend mon engouement pour cette musique et elle semble même le partager. Elle est aux antipodes de me demander de baisser le volume même si ça pourrait en choquer plus d'un dans ce nid. « Ça serait tellement dommage » . La simple idée d'imaginer un habitant du nid se cacher dans un placard les mains plaquées contre les oreilles pour ne rien entendre suffit à m'arracher un sourire de satisfaction. Alors quand Pia décide, contre toute attente, de venir me rejoindre j'estime qu'il est grand temps d'apprendre à mieux se connaître. J'ai besoin de savoir si elle est vraiment guitariste, et si elle vit de sa passion. Dans le domaine artistique, il est souvent très difficile de percer, la gloire et la renommé peuvent mettre un certain temps avant de se pointer. La rouquine joue bien dans un groupe mais elle attend inlassablement que sa carrière décolle. « Et c'est quel genre de musique ? Vous avez un petit nom ? » . Avec mon métier j'ai parfois eu l'occasion de croiser quelques représentants de la scène locale venus pour aggrandir leur collection de tatouages. Pourtant c'est un univers que je ne connais pas encore très bien. Je suis surprise lorsqu'elle me retourne la question quant à ma situation professionnelle, moi qui croyais que tout le monde le savait déjà. « Je suis tatoueuse. Je bosse dans un salon plutôt cool sur Seattle. » . Je vivais de ma passion maintenant que je savais manier l'aiguille aussi bien que le crayon. Mes lèvres laissent passer un léger sourire comme pour lui dire que la patience et la persévérance allaient aussi payer pour elle.

« Ça serait tellement dommage ». Elle rit parce qu'elle voit bien que Felice n'en pense pas un mot. Elle ne sait pas trop pourquoi sa camarade a l'air d'avoir l'humeur sombre, comme si la colère lui remuait les entrailles et qu'elle s'échinait à la renflouer, laissant le chanteur hurler à sa place. Elle connaît ça, Pia. Elle ne crie pas, c'est souvent la musique qui rugit pour elle. Elle est heureuse de la voir s'intéresser à ce qu'elle fait parce que c'est un des sujets sur lesquels elle pourrait s'épancher des heures durant sans se lasser, un de ces sujets qui voue arrache un sourire rien que lorsqu'on commence à l'évoquer. « Les Red Hot Chili Pepperoni. » Elle lâche, guettant la réaction de Felice, un sourire en coin fiché sur les lèvres. C'est pas crédible, comme nom. C'est pas crédible mais ils ne cherchent pas la crédibilité. Ils cherchent la musique juste, la musique vraie, celle qu'on ne joue pas que pour remplir la bourse. « C'est un groupe de rock. Ça fait à peu près trois ans qu'on l'a formé, on joue principalement dans des petits bars pour le moment. On a aussi fait un festival, l'été dernier. » Elle avoue, grisée par la fierté. Le plus bel instant de sa vie, au moins. « Je suis tatoueuse. Je bosse dans un salon plutôt cool sur Seattle. ». Elle laisserait presque échapper un sifflement si elle savait siffler. « La classe. ». Elle lâche, tout en laissant son regard s'attarder sur les oeuvres d'arts qui se dessinent sur la peau de la brune. « Tu les as dessinés toi-même, alors ? ». Elle en a au moins autant qu'elle, c'est sûr, si ce n'est plus. Elle les avait déjà remarqué auparavant, bien évidemment, c'est le genre de détail sur lesquels elle s'attarde énormément. Savoir que c'est possiblement elle qui leur a donné naissance leur donne une dimension nouvelle. Elle s'imagine Felice couchant ses idées sur le papier avant de reproduire les modèles sur ses bras, ses jambes. Une artiste du corps.