+ On m'a sauvée. Et pas lui. À quelques pour-cents d'écart. Et s'il en avait eu un tout petit peu plus, il serait resté, et pas moi. Dans tous les cas j'aurais été bien triste ce soir. Mais est-ce que j'ai éclaté en sanglots comme une pauvresse ? Est-ce que je suis allée me consoler entre ses bras en le serrant fort, en essayant de le retenir vainement ? Non, tout de même pas. Je suis restée bien droite, l'air sans doute d'être contente pour moi et à peine un peu déçue pour lui. Un petit baiser, deux/trois mots d'adieu, et je m'échappais déjà, embarquant au passage un des rares verres encore plein d'alcool (j'espère) qu'il restait sur le plateau. Je sens que je vais pas pouvoir me retenir plus longtemps. Jouer les femmes "fortes" ça va bien un moment, mais c'est vraiment aussi compliqué qu'on l'imagine, et tellement plus encore. Dépitée, je m'échoue telle une épave, ou plutôt une vieille baleine épuisée, sur le premier siège que je trouve dans les coulisses désertes et sombres. Je descends mon verre à une de ces vitesses ! Impressionnant. Ou pas. Je me passe une main sur le visage. Encore et encore. Je sais pas, ça sert à rien mais je le fais quand même, c'est bête. Je sens une nouvelle vague de larmes monter. Faut la stopper net, y a pas moyen. Surtout que j'entends du bruit. Personne, sans doute. Un technicien qui range des machins ou des bidules, peut-être un candidat qui retourne enfin au nid. C'est bien ça, c'est McKayla. Au début j'évite soigneusement son regard. Vous savez, j'imagine que tant que je ne la vois pas, elle non plus ne peut pas me voir. C'est ridicule, je sais. Sauf que je l'ai vu, oui, pour me rendre compte qu'il s'agissait d'elle. Et je sais qu'elle m'a vu, j'en suis presque certaine. Elle se dirige vers moi, je fais semblant d'être surprise. « Oh, c'est toi. Qu'est-ce que tu fais encore là ? » Et moi alors ? Je ferais mieux d'aller me coucher. Peut-être que je vais réussir à dormir un peu et qu'en me réveillant, toute cette soirée de merde n'aura finalement été qu'un rêve. Ce serait bien, mais depuis le temps, je ne crois plus tellement à ce genre de conneries, j'ai passé l'âge, merci.

Je n'ai envie de voir personne mais je ne vais pas chasser la jeune femme. Je l'aime bien, mine de rien, même si parfois je l'envie un peu de vivre dans un monde tout rose et merveilleux. Enfin, ce n'est peut-être qu'un air qu'elle se donne, une apparence, mais la réalité est toute autre, je n'en sais rien. Je ne sais pas grand chose d'elle, et pourtant je l'apprécie. Comme j'ai tout de suite apprécié Eryk sans le connaître plus que ça. Ils ont en commun ce petit truc, cette spontanéité qui les rend adorables. Quand je la vois arriver, je suis tentée de faire comme si aucune de nous n'avait vu l'autre, mais je finis par lui adresser la parole, lui demandant ce qu'elle fait encore là, maintenant que le prime est fini, qu'il n'y a plus personne, à part nous. Elle est venue me chercher parce qu'elle a vu que j'étais triste, et elle aime pas voir les gens dans cet état. « Oh, t'es trop mignonne. » Je dis dans un petit sourire qui disparaît bien vite quand elle me demande si c'est à cause de l'élimination d'Eryk, si j'ai envie d'en parler. C'est en effet en grande partie parce qu'il s'en va que ça ne va pas, oui, mais je fais doucement non de la tête, je n'ai pas envie d'en parler, enfin je ne crois pas. Elle aussi elle l'aimait bien, mais sans doute pas autant que moi. Alors je peux même pleurer, si je veux, c'est pas son genre de juger. Elle sourit et j'aimerais en faire autant, mais je n'y arrive pas. Je passe la langue sur ma lèvre inférieure avant de la mordre comme pour me retenir de dire quoi que ce soit. Je crois que je vais craquer, et même si elle vient de dire que je pouvais, je veux pas. Il a dit pas de larmes, ça peut difficilement être plus clair. Bon, évidement, c'est plus facile à dire qu'à faire, mais ça va aller. Je cale ma tête dans ma main, mes doigts recouvrant à moitié ma bouche et ma joue. Elle me propose d'aller chercher quelques uns des cookies qu'elle a fait pour son partenaire, il en a beaucoup trop pour lui seul, il voudra bien partager. Dire qu'on parlait d'en voler avec Sacha pendant la soirée, alors qu'il aurait suffit d'aller leur demander. « Je veux bien, oui. » J'acquiesce en essayant toujours de sourire, même si je doute fort d'y parvenir, comme je doute de pouvoir avaler un gâteau maintenant. Mais pourquoi pas, et puis, ça partait d'une bonne intention, je ne pouvais quand même pas refuser.

Non, je n'ai pas envie d'en parler, non, même si ça me ferait sans doute du bien, je n'en sais rien. Je préfère ne pas remuer tout ça, je pense qu'il vaut mieux laisser reposer encore un peu, quelques heures, un jour entier, laisser passer la semaine, peut-être, et ensuite on verra. En revanche, j'accepte volontiers ces cookies, parce que c'est proposé si gentiment, et par quelqu'un de tellement adorable, et puis ils avaient l'air si bon, et je crois tout simplement que j'en aurais bien besoin, même si je ne suis pas sûre d'en avaler une miette au final. Elle part donc les chercher et je reste seule un instant à me demander si ça vaut la peine de pleurer maintenant. Sans doute pas parce qu'elle va revenir et qu'elle va me voir, et puis encore moins parce que je ne suis même pas sûre d'avoir une vraie raison. Il y a tellement de choses à la fois, en fait. Elle revient assez vite, mine de rien, et je me demande même si elle n'aurait pas couru. En tout cas, c'est encore trop adorable de sa part. Elle m'annonce que ce sont des cookies fait pour remonter le moral, ça me fait un peu sourire. Elle est mignonne. « Merci. » Je ne suis évidement pas désespérée au point de croire à ce qu'elle vient de dire, mais c'est gentil. J'en croque un petit morceau, à peine assez pour en sentir le goût. Sa voix s'élève à nouveau dans la pièce. Elle dit que je vais le revoir, et qu'avec ses deux enfants, c'est pas un très bon parti, au fond. « Bah peut-être pas, peut-être qu'on se reverra jamais. » Qu'est-ce qu'elle en sait ? Qu'est-ce que j'en sais ? « Il pourrait ne pas revenir même quand il en aura l'occasion, il pourrait avoir un empêchement, il pourrait, je sais pas... » Mourir. J'avoue, c'est extrême, mais des tas de gens meurent tous les jours, comme ça, sans prévenir, alors que vous êtes chez vous, dans votre bain, en train de faire la vaisselle, de regarder la télé, de faire vos courses ou en train de travailler, ou plutôt de vous trémousser autour d'une barre alors que la personne dont le cœur vient de s'arrêter fondait d'immenses espoirs en vous, et vous aurez plus l'occasion de la rendre fière, mais c'est pas grave, elle se souvenait probablement même plus de vous. Oui bon, ma mère et Eryk, ça n'a rien à voir. Mais il n'empêche qu'on pourrait ne pas se revoir, on peut pas être sûr à cent pour cent. Mais de toute façon, peu importe, c'est pas si grave que ça si je le revoie pas, c'est peut-être même mieux, même si je me dis que peut-être il aurait pu se passer un truc, je sais pas. Je me fais des films, oui. Enfin, je crois, j'en sais rien. Et au final, c'est probablement pas aussi important que je le pense. « Mais franchement, en ce qui concerne les enfants, c'est plutôt une bonne chose qu'il en ait. Si ça pouvait m'éviter d'avoir à en faire. » Ouais parce que les mômes des autres ça va, mais en avoir à moi, bof. J'en veux pas et que j'en voudrais jamais, et vu comme il parlait des deux qu'il a déjà, ça m'étonnerait beaucoup qu'il en veuille d'autres, donc sur ce point-là, c'était le type parfait pour moi. Remarque, c'était pas non plus demain la vieille que j'allais venir chez lui et rencontrer ses bambins et qu'on aurait fonctionné comme une espèce d'horrible famille recomposée où j'aurais tenu le rôle de la belle-mère. Elles sont presque toujours abominables ces femmes, mais bien sûr, j'aurais été une exception. Mais si ça se trouve, ses enfants et moi, on se serait super bien entendu. Et je sais pas si c'aurait été une bonne chose parce que ça aurait fait deux personnes tristes de plus au bout du compte, le jour où, fatalement, on aurait été obligé de se séparer. Mais je sais même pas pourquoi je pense à ça, n'importe quoi, moi. « Enfin, c'est pas comme s'il y avait quoi que ce soit d'aussi sérieux entre nous non plus... » Y avait tellement rien, en vrai que j'arrive même pas à comprendre pourquoi ça vient de m'effleurer l'esprit, là. Au final, même avec un clin d'œil, la jolie blonde n'aura pas forcément réussi à me remonter autant le moral qu'elle l'aurait espéré. Elle demande si elle peut faire quelque chose pour moi. J'essaye de sourire, pour faire plus poli, quelque chose comme ça. « Non, non, merci. T'en as déjà fait beaucoup. » Les cookies, puis sa présence à mes côtés ce soir. Elle est trop gentille cette fille. Tellement que je peux pas résister à l'envie de la prendre dans mes bras. « T'es un ange, tu sais ça ? » Je dis en la serrant fort. Bon, je dois avoir l'air ridicule, si je me voyais, je me moquerais de moi-même, et en même temps, j'essaye de me retenir de pleurer pour rien, mais j'en peux tellement plus de cette soirée que je crois qu'il est grand temps que ça sorte. Même si bon, je doute que ça aille mieux tout de suite après.