call me a sinner, call me a saint
ft. Pia & Andreja

La semaine passait à une vitesse honteusement lente, ou tout du moins c'était l'impression qu'en avait Andreja tant il avait l'impression de ne pas en voir le bout. Il n'y avait bien que la nuit, ddurant les quelques heures de sommeil qu'il arrivait à grappiller, qu'il avait la sensation d'être un peu moins vulnérable, généralement lorsque, consciemment ou non, il allait se blottir contre Pia parce qu'il n'y avait qu'elle qui comprenait. Qui savait mais qui malgré tout avait décidé de lui laisser de prouver qu'il pouvait être une bonne personne, aussi. Et ce soir-là il n'avait pas envie de dormir, pas même envie de se coucher alors au lieu de ça il avait alpagué sa partenaire au détour d'un couloir en milieu de soirée et lui avait proposé une alternative au combot tisane-dodo qui lui faisait actuellement presque autant envie qu'un rendez-vous chez le dentiste. Oh ils étaient bien allongés, et ils avaient bien des étoiles au dessus de leur tête, mais uniquement parce qu'ils étaient installés sur une couverture étendue sur l'heure du jardin. Quant à la tisane disons qu'elle se présentait plutôt sous la forme d'une bouteille de Vodka, volée dans la réserve de la cuisine et dont Pia et Andreja faisaient leur affaire jusqu'à maintenant. Il avait un peu la Vodka en horreur depuis quelques temps, overdose sans doute, mais ce soir il avait envie de ça, de sentir l'alcool lui couler dans la gorge avec une sensation de familiarité que le Whisky ne possédait pas, parce que Bogosavljevic père était un homme de Vodka et que quand il décidait les autres se contentaient d'approuver. Mais avant tout ce soir ce dont il avait envie c'était de penser à autre chose, de parler de tout et de rien avec Pia, de boire juste assez pour que rire soit plus facile et pour que son humeur devienne un peu légère. Et c'est ce qu'il fait, pendant un temps, jusqu'à ce que l'un et l'autre se laissent glisser dans une sorte de semi-torpeur dans laquelle les mots n'avaient plus place. La tête posée contre la taille de Pia, sentant ses doigts glisser dans ses cheveux, il fixait les étoiles au dessus de leur tête d'un ton pensif, se laissant bercer par sa respiration à elle. « Tu m'en ... veux ? » Difficile de savoir si l'hésitation venait de ses difficultés de conjugaison, ou simplement de la question en elle-même. Il ne savait même pas pourquoi il demandait cela maintenant, peut-être que c'était l'alcool qui lui déliait la langue. Après quelques secondes il avait réalisé que ce qu'il venait de dire n'était même pas clair, qu'elle ne pouvait pas être dans sa tête pour savoir à quoi il faisait référence. « Quand je te embrasser, la dernière fois. » Ils n'en avaient jamais reparlé depuis, principalement parce qu'Andreja avait un peu évité le sujet sans doute. Maintenant il parlait, sans trop savoir pourquoi, peut-être que cela n'avait même pas d'importance au fond mais il avait soudainement besoin d'une réponse claire à cette question, un oui ou un non. Sentant les doigts de Pia s'immobiliser dans ses cheveux il avait roulé sur le côté et s'était appuyé sur l'un de ses coudes pour se redresser et regarder la jeune femme dans les yeux.

C'est presque devenu une habitude. Un nouveau rituel. Elle ne peut pas s'empêcher lorsqu'elle est face au ciel de compter les étoiles, comme si en leur donnant des numéros elles allaient devenir un peu plus réelles, accessibles. Compter les étoiles pour ne pas compter les moutons et à défaut de pouvoir compter les jours qui lui restent à vivre dans le nid. C'est difficile actuellement de les compter parce que la vodka ne l'aide pas à focaliser son attention sur un seul astre à la fois, c'est comme si ils étaient tous en train de danser sous ses yeux et de fuir son regard, mais c'est pas grave, elle est bien. Elle est bien couchée là même si les étoiles ne se laissent pas numéroter, bien avec l'alcool qui lui brûle la gorge et fait naître une douce chaleur dans son ventre, bien à ses côtés. Ils avaient eu des mots, lorsque la vodka n'avait pas encore fait son effet, il y en avait moins maintenant mais c'était pas le silence désagréable qui fait beaucoup de bruit parfois, c'était comme le silence de ceux qui n'ont pas besoin de se parler pour être heureux. Elle respire profondément, presque assoupie, bercée par son souffle qui fait écho au sien et par les caresse de sa main dans ses cheveux. « Tu m'en ... veux ? ». Elle a du mal à assimiler la question, tirée de sa torpeur. Elle hésite un instant à lui répondre que oui, par humour, simplement pour tourner ça en dérision mais elle ne le fait pas. On ne peut pas fuir le sérieux à chaque occasion, alors elle ne répond pas. Elle cherche à savoir pourquoi elle devrait, quelles raisons elle aurait. Elle ne sait pas à quoi il fait référence. Est-ce qu'il a réellement couché avec Jessica comme c'est ce qu'on leur a dit l'autre soir ? C'est pour ça qu'elle devrait lui en vouloir ? Sans doute pas. Elle n'a pas la légitimité de lui en vouloir, elle n'en a pas le droit, même si ça lui fait mal de l'admettre. « Quand je te embrasser, la dernière fois. ». Les pièces du puzzle finissent par s'assembler en un petit déclic. C'est donc de ça dont il veut parler. Elle s'appuie sur son coude pour se redresser légèrement, son regard venant se perdre dans le sien. « Non. ». Elle finit par lâcher, finalement, comme si ça faisait des semaines que ces mots attendaient de sortir, tapis dans l'ombre. « Je t'en veux pas de m'avoir embrassé. Je m'en veux à moi. ». L'impression d'être libérée d'un poids qu'elle s'était habitué à porter et qu'elle ne remarquait même plus, à vrai dire. « T'étais fatigué. Tu savais pas ce que tu faisais, j'aurai pas dû.. ». Les mots sont un peu difficiles à sortir, bloqués par la fatigue, l'alcool et par leur propre impact. « Je suis désolée, tu sais. ». Elle avoue, son regard se reportant sur la nuit qui les surplombe parce qu'elles sont moins dur à regarder, elle ne leur doit aucune vérité, à elle.

Il ne savait pas trop pourquoi il avait subitement décidé de ramener cela sur le tapis, peut-être que c'était l'alcool qui lui déliait la langue, peut-être qu'il ne pouvait tout simplement pas suivre deux batailles à la fois, et qu'il avait bien assez à faire avec les souvenirs qui affluaient dans son esprit après la confrontation avec Alistair, pour se rajouter une autre préoccupation par dessus celles-ci. Parce que cela en restait une, malgré tout, la peur insidieuse que même en ne disant rien, même en adoptant comme lui le parti de faire comme si de rien n'était, il lui reste un fond de rancune ou de reproche dont elle n'aurait pas osé faire part. Parce qu'en soit un baiser ce n'était rien, ou pas grand chose, cela avait l'importance que l'on voulait bien lui donner et si elle avait eu celle d'une jeu la question ne se serait pas posée. Mais ce soir-là ce n'était pas un jeu, Andreja ne savait même pas ce que c'était si ce n'était l'expression d'un sentiment de vulnérabilité qu'il n'avait pas réussi à contrôler aussi bien qu'à l'accoutumée. Se redressant, s'appuyant sur un de ses coudes pour pouvoir la regarder dans les yeux, il était presque pendu à ses lèvres en attendant sa réponse ; Est-ce que c'était elle qui hésitait, ou bien simplement lui qui n'avait aucune patience ? « Non. » Un poids dont il n'avait pas vraiment conscience venait de disparaitre de ses épaules, comme ça, juste par ce simple mot quittant les lèvres de la jeune femme. La suite de sa réponse en revanche, était plus inattendue « Je t'en veux pas de m'avoir embrassé. Je m'en veux à moi. » A elle ? Pourquoi s'en vouloir à elle, elle n'avait rien fait, si ce n'était ne pas lui en tenir rigueur de son moment de faiblesse et pour cela il ne pouvait pas lui en vouloir, c'était même tout le contraire. « Pourquoi ? » Il avait froncé les sourcils, perplexe, il avait besoin de savoir d'où venait cette idée qu'il avait pour pouvoir lui prouver ensuite par A + B qu'elle faisait fausse route et qu'elle n'avait aucune raison de s'en vouloir sur rien. « T'étais fatigué. Tu savais pas ce que tu faisais, j'aurai pas dû ... » Et elle soupirait, fuyant finalement son regard pour retourner à la contemplation des étoiles après avoir ajouté « Je suis désolée, tu sais. » Il avait raison, c'était totalement stupide et pas du tout justifié. Se redressant un peu plus il s'était hissé plus haut vers Pia et avait passé un bras de l'autre côté de sa taille, posant à nouveau les yeux sur elle et attendant patiemment qu'elle cesse de lui préférer les étoiles et qu'elle le regarde à son tour pour répondre « Je pas être un gars perdu qui pas savoir ce qu'il faire. Fait. Et je pas être quelqu'un de qui on profite. » Autrement dit si elle s'excusait simplement parce qu'elle avait l'impression d'avoir profité de lui ou de sa vulnérabilité passagère elle n'y était pas du tout. « Je le faire parce que je av-ais envie. Peut-être raisons pas être bonnes et le moment pas être bien ... choisi, mais ... » Mais il en avait eu envie sur le moment, alors il l'avait fait, voilà. C'était diablement égoïste de sa part, et ça l'était encore plus de se dire qu'une partie de lui en avait toujours envie, peut-être, mais c'était ainsi. « C'est juste ... je pouvoir faire confiance que à toi, ici. » Parce qu'il n'y avait qu'elle dont il avait la certitude que la révélation de son secret ne changerait rien, qu'elle ne lui tournerait pas le dos en lui mettant une étiquette sur le front parce qu'elle la connaissait déjà l'étiquette, et qu'elle avait décidé de ne pas le résoudre à cela. Il avait baissé les yeux, l'air presque penaud. Il n'y avait que face à elle qu'il s'autorisait à se montrer ainsi. Avec ses doigts il s'était mis à tracer des lignes imaginaires sur le haut du tatouage qui recouvrait son buste, ses yeux n'osant plus remonter jusqu'à ceux de Pia alors que pourtant il ne devrait plus avoir de raison de fuir son regard maintenant, il avait dit ce qu'il avait sur le coeur. Un peu.

Certaines paroles sont comme des pansements : elles vous collent à la peau tant que vous n'avez pas eu le courage de les prononcer, la peur de les arracher paralyse la langue, coince les mots et peu à peu vous les oubliez jusqu'à ce que, surprise, elles se rappellent à votre bon souvenir. C'était comme ça pour le baiser. Prête à se faire Wendy et appeler ça " dès à coudre " pour éviter le sujet, elle l'avait enfoui bien loin cette conversation, Pia. C'est pas que le souvenir ne demeurait pas, non, c'était tout sauf ça. Elle y pensait, parfois, l'idée lui revenait en pleine figure et elle redécouvrait la scène à chaque fois, surprise, à la place de spectatrice plutôt que celle d'actrice. Elle reste figée un instant lorsqu'il en parle, encore plus lorsqu'il lui demande si elle lui en veut. Si tu savais. C'est plus après elle qu'elle en a eu, pendant quelques jours au moins. Elle était même persuadée que c'était pour ça qu'il la fuyait, que les cauchemars n'y étaient pas pour tout. « Pourquoi ? ». Elle met un instant à répondre, les yeux perdus dans le vague parce que c'est moins difficile que d'être soumis à son regard à lui. Elle regarde les étoiles à la place, c'est stupide parce que ce n'est pas elles qui vont réagir à ce qu'elle avoue du bout des lèvres mais elle ne peut pas s'en empêcher. Elle fini par poser son regard sur lui de nouveau parce qu'on ne peut pas fuir tout le temps quand bien même c'est tentant parfois. « Je pas être un gars perdu qui pas savoir ce qu'il faire. Fait. Et je pas être quelqu'un de qui on profite. ». Elle sourit un peu, imperceptiblement. « Je sais. ». Il est bien plus fort qu'elle et sans doute bien plus fort que la majorité des candidats du nid, si ce n'est tous. « Je le faire parce que je av-ais envie. Peut-être raisons pas être bonnes et le moment pas être bien ... choisi, mais ... ». C'était probablement vrai et quelque part ces paroles la rassuraient. Elle sentait le poids qui lui comprimait la poitrine qui s'envolait et soupira longuement, de fatigue, de soulagement et de tellement de chose en même temps. « C'est juste ... je pouvoir faire confiance que à toi, ici. » Elle laissa le silence reprendre sa place un moment, cherchant ce regard qui fuyait le sien comme c'était le cas quelques secondes auparavant. « Tu pourras me faire confiance tout le temps, tu sais. ». C'était sans doute inutile, un peu creux à dire mais c'était vrai. « T'es pas seul. Et tu le seras pas non plus quand ça se saura. » Elle a du mal à trouver ce qu'il faut dire parce que quand elle a besoin de mots qui rassurent, ils s'enfuient. Elle veut lui dire que quand ça se saura il ne se retrouvera pas face à face avec ses cauchemars et plus rien autour, parce qu'elle sera là. « Si les gens te tournent le dos quand ils sauront, c'est qu'ils ne te méritent pas. Tu ne te résumes pas à ça. ». C'était comme ça pour chacun. Leur secret faisait partie deux mais il n'était pas eux. C'était un fragment, un éclat du passé, de vieux fantômes enfouis au grenier qu'il ne faisait pas bon de ressortir mais qui ne les définissaient pas. Des petits bouts d'eux, tout au plus. C'était un morceau d'Andreja mais ce n'était pas ce qu'il était, ce n'était pas comme ça qu'elle le voyait. Elle dessine le contour du goulot de la bouteille avant de s'envoyer une rasade, c'était plus facile de parler quand elle avait les sens engourdis, ironiquement. Elle la lui tend comme elle a envie de lui tendre la main pour le sortir du gouffre des idées noires qui lui font faire des cauchemars, parfois.