Ghika a mis un point d'honneur à être un partenaire digne de ce nom. Il ne veut pas qu'on puisse lui reprocher de n'avoir pas été attentif aux autres, ce qui est pourtant un reproche qu'on lui fait quotidiennement à l'extérieur. Alors il fait ce qu'il a à faire et il va remonter le moral de son binôme avec une bouteille de whisky, parce que la vodka c'est pas de circonstance, la vodka c'est pour la fête, le whisky c'est pour se laver le cerveau. Quand il voit Percy passer il attrape la bouteille et le suit, le type se dirige vers le musée... Ghika se dit que c'est un lieu de bourrage de gueule comme un autre, peut-être légèrement plus original que la moyenne mais qui a dit qu'il fallait être traditionnel quand on se tombe une bouteille de whisky pur malt à deux ? Il pénètre quelques secondes après lui dans la pièce aux infinies représentations narcissiques de l'ange de l'amour. Ghika a remarqué que Percy est sinon en colère légèrement apathique depuis la fin du prime. Ghika n'est pas médecin, n'en déplaise à Pia, mais il sait comment panser momentanément un esprit troublé. Il a des années d'expérience en la matière, il a vu des centaines d'ivrognes malheureux s'oublier dans les vapeurs d'alcool de son bar. Alors lorsqu'il franchit le pas de la porte, il endosse son rôle de compagnon de beuverie et s'approche de Percy qui regarde une peinture, que Ghika aurait du mal à qualifier de plaisante, d'un œil vide. « Je te laisse le choix. Whisky ou whisky ? » dit-il en lui tendant la bouteille après en avoir bu une gorgée et d'avoir grimacé au goût âpre de la boisson sur sa gorge pas tout à fait préparée. « C'est pas une boisson de PD. » commente-t-il amusé par la situation. Combien de personnes ont fait des coming-out inversés comme lui ? Au moins il peut plaisanter avec ça c'est pas comme si c'était un drame et que sa mère allait le renier, quoiqu'il aurait peut-être préféré que ce dernier fait se produise.

Quand vous commencez à connaître quelqu'un vous finissez par identifier ses moments de faiblesse. Dans la vie de tous les jours Ghika met un point d'honneur à connaître le monde qui l'entoure, au point d'en devenir parfois un être dépourvu de conscience et qui a pour unique but de savoir tout sur tout le monde. Parce que dans son domaine d'expertise comprendre les gens est nécessaire et qu'il doit avant tout savoir lire en eux avant de pouvoir compter sur eux, pouvoir appuyer sur les bons boutons pour obtenir leur coopération sans que jamais ça ne paraisse être une manipulation de sa part, parce que se sentir manipulé fausse les témoignages. Percy n'est plus un écran de fumée pour lui, il a appris à le connaître et ce malgré les efforts conséquents que son partenaire a pu fournir pour lui rendre la tâche difficile. Il ne sait pas encore tout de lui, il ne saura jamais tout de lui, mais Ghika lit en lui comme on lit un livre dans une langue qu'on ne maîtrise pas totalement. Il y a des trous, il y a des passages qu'il ne décrypte pas, mais il voit. Il voit bien que Percy n'est pas au top de sa forme, il comprend pourquoi. Dans la vie de tous les jours il appuierait sur ses boutons pour obtenir de Percy une totale coopération, mais il n'est pas dans la vie de tous les jours et Percy n'est pas un sujet d'étude. Percy est son partenaire. Alors il fait ce qu'il doit faire. Il coopère et il compatit. « Choisis bien. » lance-t-il avec un petit sourire avant de laisser la bouteille d'alcool glisser de sa main à celle de son binôme. Ghika a fait un choix, un choix unique, il ne sera pas l'oreille attentive de Percy. Il sera son compagnon de beuverie, celui qui ne pose pas de questions, celui qui aide sans être envahissant. Voilà ce qu'est le rôle de partenaire à ses yeux, un sacrifice nécessaire. « Whisky it is. » commente-t-il léger, sans vraiment fournir d'effort pour être enjoué. Percy n'est pas enjoué, l'être risquerait de le mettre sur la défensive et Ghika n'y tient pas. Il a besoin que Percy soit de son côté, qu'il s'ouvre. Pas pour parler et récolter des informations, il a depuis bien longtemps compris que les gens qui étaient en couple avec lui ne pouvaient pas lui en fournir parce qu'ils étaient biaisés par la connaissance de son secret. « Je suis venu avec une bouteille d'alcool, pas avec un divan rouge et un calepin, donc oui je suis là pour dérider mon réfractaire de partenaire. » Parce que parler de ses révélations du prime n'est pas une priorité, pas à ce moment précis en tout cas et puis parce que Ghika ne sait pas exactement ce que Percy peut bien penser de ce qu'il a entendu dans l'interview de Zoey. Le simple fait que son partenaire puisse dire qu'il trouverait injuste de débattre de quelque chose est la preuve qu'il n'est pas aussi mauvais que certains le pensent. Ghika aimerait brandir ça comme preuve absolue aux yeux de tous, mais il ne peut pas, il ne mettra pas Percy en danger pour son bon cœur. « Il n'y a pas d'injustice qui tienne, on est une équipe, si tu as des questions j'y répondrai. C'est si tu me dis que tu n'as pas de question et que je viens à découvrir qu'en fait t'as préféré en parler avec quelqu'un d'autre, quelqu'un de forcément moins bien placé que moi pour te répondre, que je risque d'être de mauvais poil. » Voilà, c'est dit. Répondre, il peut, être honnête, il peut, tolérer qu'on le poignarde dans le dos, hors de question.

Ghika a connu les psychologues, les canapés aussi. Oh ils n'étaient pas rouges, ils étaient souvent gris, parfois avec des coussins, parfois avec un par-dessus parfois pas. Mais il avait toujours fait face à celui qui l'écoutait. La légende urbaine veut que le psychologue, le psychanalyste ou n'importe quel autre psy du genre, ne regarde pas celui qui parle. Parce que le regard bloque la parole, parce qu'il gêne. Ghika n'est pas gêné par le regard, Ghika n'est gêné par rien. Et il a suffisamment étudié la psychologie pour savoir ce qu'est le fruit de son imagination et l'impact d'un regard sur sa perception des choses. Alors quand Percy revient sur le sujet, subtilement, Ghika sourit. « Si tu t'étais arrêté au salon on aurait pu faire une petite session La Diva du Divan. » Et puis reprend une gorgée de whisky avant de rendre la bouteille à celui qui en a le plus besoin. Partager une bouteille c'est une façon de partager ses emmerdes, en ce moment Ghika n'a pas d'emmerdes, il a des contretemps, des petits ennuis, rien de majeur. Percy a son assiette pleine de problèmes, de tourments, c'est pour ça que Ghika est là, pour partager ces soucis-là, pas les siens, ceux de son partenaire. C'est la meilleure façon pour lui de se montrer à la hauteur du rôle que Cupidon lui a assigné. « J'espérais bien entendre ça, de l'hypocrisie venant de toi m'aurait quand même étonné, mais je préférais m'en assurer. Question de précision. » répond-il avec un sourire quand Percy confirme ce qu'il savait déjà, que la franchise de Percy, sa grande-gueule parfois, n'était pas du chiqué. Des yeux Ghika fixe la bouteille dont le contenu est presque immobile dans les mains de Percy, il ne va pas arriver à le dérider s'il n'y met pas du sien. Alors Ghika fait ce qu'il est capable de faire mieux que beaucoup, il prend les choses en main. « Bois. » ordonne-t-il d'une voix à la fois autoritaire mais pas trop, il ne veut pas braquer Percy, il veut l'entraîner dans un cycle, parler puis boire et recommencer. C'est la meilleure façon à ses yeux pour que son binôme finisse par baisser sa garde, qu'il se laisse aller, au moins un peu. Lorsque Percy aborde enfin le sujet brûlant du petit jeu de rôle que Ghika a mené pendant les sept premières semaines de l'aventure, il ne le prend pas mal. Au fond il s'attendait à une question du genre et n'est pas du tout offensé ou pris de cours. Sa réponse est prête, il n'a pas de doute sur ce qu'il veut dire. « Franchement... pas tellement. Comme je le disais à je ne sais plus laquelle des filles, j'ai toujours fait en sorte de ne pas mentir, je ne me suis jamais prétendu homo. J'ai décidé de surenchérir un peu sur les artifices et les manières mais je n'ai pas tenté de vous faire pencher d'un côté ou de l'autre. Si ça n'avait pas pris immédiatement, dès les castings, je n'aurais pas poussé plus loin, mais ça a pris, mieux que je ne le pensais, alors j'ai tenté d'aller un peu plus loin, un peu plus fort, voir jusqu'où je pouvais aller sans éveiller les soupçons. Et apparemment je pouvais aller très loin, une fois que la certitude est ancrée dans l'esprit des gens il est difficile de l'ébranler. J'ai pris tout un tas de notes là dessus je te les montrerai si tu veux. » Ghika reprend son souffle après cette tirade, une tirade qu'il n'aurait pu avoir qu'avec Percy parce qu'il était le seul avec lequel maintenant il pouvait être parfaitement honnête en toute circonstance. Mais il tient à revenir sur le caractère facile ou non de la chose. Parce qu'au fond c'est probablement ça qui taraude Percy, et pour de bonnes raisons sûrement. « En fait le plus difficile c'était de garder le personnage, vous aviez tous accepté cette version de moi qui était supposée aimer les hommes. Du coup j'ai pas toujours pu dire ce que je voulais parce que ça aurait été hors-personnage. Et tenir ma langue est peut-être la chose la plus difficile pour moi parce que j'ai une tendance à toujours dire tout ce qui me passe par la tête. » Toutes ces fois où il s'est mordu les doigts de ne pas pouvoir cracher un commentaire, où il n'a pas pu dire exactement le fond de sa pensée juste parce qu'il était censé être homo. Cela avait parfois relevé de la torture pour lui, pas parce que garder le personnage crédible était difficile, parce que ne pas dire mot pour mot ce qui lui avait traversé l'esprit était insoutenable. « J'ai juste essayé de ne pas écouter ma conscience et de ne pas dévoiler le pot-aux-roses dès le troisième jour. Après quelques jours c'est devenu naturel, tout ce que j'avais à faire c'était ne pas parler de ma sexualité. Parler de sexualité oui, mais juste éviter de m'inclure dedans. » conclut-il finalement. Parce que tout ça c'était une question de conscience, d'éthique et de morale. Certains lui en voudraient probablement, il pourrait comprendre s'il n'avait pas l'impression de n'avoir jamais franchi une limite morale importante : le mensonge. Ne pas dire la vérité et mentir sont deux choses assez différentes à ses yeux, le « mensonge par omission » comme les gens l'appellent n'est pas réellement un mensonge. C'est une façon de laisser à l'appréciation et à la réflexion les présupposés de ses congénères. « Bois. » ordonne-t-il de nouveau, toujours pas satisfait de l'état d'ébriété pas assez avancé de Percy.