Quel est le meilleur moyen de terminer un bon repas copieux ? S’allumer une bonne petite cigarette sur le balcon ! L’aventure aura d’ailleurs été très bénéfique concernant mon rapport au tabac, il y a bien longtemps que j’ai arrêté de me griller des cigarettes toute la journée. A vrai dire je n’en éprouve plus spécialement le besoin ici et c’est une délivrance. La semaine passée je ne suis même pas arrêté cinq secondes pour fumer une clope, c’est pour dire si je suis en train de dépasser le stade de la dépendance pour retrouver une indépendance salutaire. Il reste encore un peu de chemin à faire parce qu’il m’arrive malgré tout d’être tenté par une petite cigarette de temps en temps, plus pour le plaisir que pour un réel besoin. Ce soir j’ai diné avec quelques autres candidats et même si nous passions un excellent moment tous ensemble je me suis éclipsé en m’excusant pour m’offrir un petit peu d’air frais. Mon paquet entre les mains j’en profite donc pour dégainer une marlboro que je glisse entre mes lèvres, la porte vitrée menant au balcon est déjà entrouverte et lorsque je l’écarte davantage pour pouvoir sortir je me retrouve nez à nez avec Adnan. Je ne sais pas exactement pourquoi mais je me retrouve tout con devant lui, un sentiment de gêne prends le dessus, il me regarde avec le même air, surement parce que nous savons tous les deux que nous avons le même homme parmi nos plus proches amis… Enfin amis… A ce stade c’est légèrement plus que cela. « Tu veux une cigarette ? » Il y a mieux comme moyen de prendre la température mais c’est tout ce que j’ai trouvé pour le moment, je glisse ma cigarette le long de mes lèvres pour mieux pouvoir l’allumer en empêchant le vent de faire vaciller la flamme brûlante de mon briquet.

J'étais distrait. Vous allez me dire, comme bien souvent, et vous auriez probablement raison. Mais là, perdu dans les nuages, armé de mon petit sandwich poulet crudités, j'avais décidé de prendre un peu de temps pour moi, tirant une chaise pour prendre place sur le balcon. Les étoiles décoraient le plafond, un plafond incroyablement grand même. Je pourrais m'y perdre, c'était magique, et une moue rêveuse s'était emparée de mon visage. J'étais comme ces gosses qui s'amusent d'un rien, moi, je faisais courir mon bonhomme imaginaire à même le ciel, le faisant sauter de cailloux en cailloux, comme si rien ne pouvait l'arrêter. Evidemment, il y avait toujours des obstacles, mais mon bonhomme à moi, c'était un surhomme. Il n'avait peur de rien, contrairement à son maitre. Il était en quelque sorte ce que j'aspirais à devenir. Je savais que je ne serai jamais comme lui, car je craignais bien trop de choses pour un jour pouvoir me débarrasser de toutes mes faiblesses. Etait-ce justement celle ci qui déterminaient qui j'étais ? Qui faisaient de moi quelqu'un d'intéressant ? Je n'en savais rien. On ne m'avait pas accordé d'importance depuis quelques temps déjà. Ou un peu trop ? Je ne savais plus. Tout se mélangeait. Terminant mon sandwich, les pieds croisés sous ma chaise, le dos droit et les joues gonflées, mes prunelles marrons s'éteignirent. Pouf, plus de lumière. Ça aussi, ça faisait du bien. Je m'apprêtais à quitter le balcon lorsque mon chemin croisa finalement celui de Jaheim, qui me bloqua ainsi la sortie. C'était peut-être un signe ? Mes penchants un peu trop crédules me criaient de rester à ses côtés lorsqu'il me proposa une cigarette. Je n'avais aucune raison de partir, lorsqu'on y réfléchissait bien, pourtant tout le monde se serait attendu à ce que je fuis. Etrange. « Je veux bien oui, merci. » C'était compliqué. Je n'étais pas particulièrement gêné, parce que le jeune homme ne me mettait pas le moins du monde mal à l'aise, mais j'avais du mal à trouver mes mots. « J'ai entendu dire que tu es forain ? » c'était une bonne façon d'attaquer non ? Je n'y connaissais décidément rien. « Tu t'occupes des manèges aussi ? Je ne suis jamais allé dans une foire... » Une des nombreuses choses que je n'avais pas faite donc. « Mais je sais quel goût ont les barbe à papa. » repris-je finalement en hochant la tête, comme si cette information n'était pas négligeable.

Les minutes à venir risquent d’être assez décisives, on ne peut pas dire qu’Adnan et moi soyons devenus de grands amis dans cette aventure et je pense que nous n’avons peut-être pas sincèrement mis le paquet pour nous découvrir l’un l’autre ces dernières semaines. Ce n’est pas tellement question de ne pas s’apprécier, nous sommes juste en permanence confrontés l’un à l’autre depuis que cette histoire avec Aaron s’est emballée. Bon, peut-être que si je n’apparaissais pas dans leur petite conte de fées comme un cheveu sur la soupe je n’aurais pas éprouvé une petite gêne en me retrouvant seul avec Adnan mais j’ai bel et bien conscience que je suis l’élément perturbateur. Je ne peux cependant pas m’en excuser et c’est peut-être là qu’est le réel problème, cette attirance, le béguin qui nait et s’épanouit en moi chaque jour un peu plus m’est tombé dessus sans que je ne puisse le voir venir. Ce passage par un instant plus intimiste, isolé, je sais qu’il va arriver depuis un moment et je regretterais presque que rien ne se produit plus tôt. Non parce qu’Adnan est quand même très apprécié ici et il doit bien y avoir des raisons à cela, j’aimerais moi aussi le côtoyer, apprendre à le considérer comme un pote ou plus, pourquoi pas un ami tiens ? Les prochaines minutes vont donc me mener sur une piste, va-t-il prendre la fuite et marquer un arrêt définitif à toute tentative d’approche de ma part ou va-t-il réagir de la même manière que moi et chercher un moyen de faire les choses bien. « Je veux bien oui, merci. » Parfait, je quitte brièvement le chemin tout tracé de ses prunelles pour m’aventurer sur mon paquet de cigarettes duquel je sors une nouvelle petite pièce, le cancer spécialement filtré pour les accros. Je la lui tends avec mon briquet. « Tiens. » Je m’essaye même à l’exercice du sourire et je dois dire que c’est plutôt naturel, il n’est pas aussi difficile de dépasser la gêne, surtout entre mecs. Croyez-moi qu’entre filles tout aurait été bien plus compliqué, une guerre froide et interne avec beaucoup d’hypocrisie en face de l’autre pour donner telle ou telle impression. Les meufs sont quand même sacrément compliquées, toujours à tout calculer. « J'ai entendu dire que tu es forain ? » Je relève la tête, appuyant sur mon paquet pour qu’il puisse glisser plus aisément dans la poche de mon jean et s’adapter à la place laissée vacante par mes cuisses. « Tu as bien entendu… Et toi tu es, infirmier ? Ou aide-soignant, je ne parviens pas à me souvenir. » Je le pointe du doigt par réflexe, une habitude lorsque je puise dans mes souvenirs les plus lointains pour trouver la solution à une question à laquelle je ne peux finalement pas répondre tout seul. « Tu t'occupes des manèges aussi ? Je ne suis jamais allé dans une foire... » J’hoche la tête sans pouvoir lui apporter une réponse digne de ce nom pour le moment, j’expulse la fumée qui brûlait mes poumons quelques secondes plus tôt. « Je m’occupe essentiellement des manèges oui, je possède ma propre attraction et je donne un coup de main sur le montage, démontage des manèges de la famille. » Cet exercice est un peu rébarbatif d’ailleurs mais c’est notre quotidien, au final on passe bien plus de temps à tout reconstruire qu’à réellement être ouverts au public. Je repense à ce qu’il vient de dire, un détail n’avait pas encore fait tilt. « Tu n’es jamais allé dans une foire ? » Voilà qui est surprenant, je pensais que tout le monde était déjà venu faire un tour dans une foire, au moins une fois. « Si tu passes en Angleterre après Fake Lover, si tu veux venir avec quelques amis ou quelques-uns de nos camarades… Ou même tout seul d’ailleurs, je serais heureux de t’accueillir, t’auras quelques tours gratuits et tu pourras en prime voir comment on fonctionne. » La gêne que j’éprouvais il y a cinq minutes ? Quelle gêne ? Il est adopté le petit, ça y est. « Mais je sais quel goût ont les barbe à papa. » Un grand sourire ravi recouvre mon visage d’un voile de bonne humeur. Okay, je dois avouer comprendre pourquoi Aaron est très attaché à lui, pourquoi il a craqué et pourquoi globalement la majorité des candidats apprécient le garçon. Non parce que je ne le connais pas mais je le trouve déjà terriblement attachant, sa douceur est apaisante, relaxante. « Tu verras que les barbe à papa des foires sont encore meilleures que celles que l’on peut trouver ailleurs. Ma grand-mère est la reine des goûts improbables d’ailleurs. » Elle a commencé avec un petit stand de gaufres pour dire de gagner un peu d’argent puis elle a progressivement évolué, elle a acheté il y a dix bonnes années ce que l’on appellerait aujourd’hui un foodtruck et elle s’est diversifiée. Dans nos fêtes foraines elle est très connue, c’est celle qui ravie les enfants et les plus grands avec des sucreries divinement bonnes bien que probablement très grasses aussi.

J'avais entendu dire qu'il était forain. Et de toute évidence, je ne savais pas bien en quoi ce genre de métier pouvait consister. En fait, je m'étais toujours imaginé que ce terme désignait ceux qui se rendaient justement à la foire pour s'amuser. On pouvait donc en quelque sorte dire que Jaheim m'avait introduit au sens réel du terme, bien que je n'étais pas plus convaincu de la différence entre les deux. Je saisissais donc une cigarette dans le paquet, l'allumant à l'aide du briquet qu'il m'avait par la suite tendu. « Merci. » Je n'étais pas un grand fumeur, non, on pouvait même dire que je ne fumais presque jamais, seulement quand l'ennui me prenait. Et dieu sait que ça n'arrivait pas assez souvent. Je trouvais toujours de quoi m'occuper, même dans les moments les plus sombres. J'hochais la tête lorsqu'il me demandait de valider mon métier « Infirmier oui, dans une maison de retraite. » On était clairement loin des forains et de l'amusement, je le concevais, mais je ne trouvais pas pour autant mon métier déplaisant. Non, du moment que j'arrivais à m'épanouir dans celui ci, c'était bien tout ce qui m'importait. Et puis j'étais considéré comme un véritable petit prince là bas, toutes les personnes âgées m'adoraient. Un petit prince qui s'occupait pourtant de ses sujets comme de ses propres enfants. Jaheim s'occupait donc des manèges, et apparemment, toute sa famille était impliquée. « C'est une sorte de tradition familiale ? » demandais-je en arquant un sourcil. Je savais que je n'aurais jamais fait le même métier que mon père, mais peut-être était-ce parce que j'avais un esprit quelque peu révolutionnaire. Je n'aimais simplement pas faire comme les autres. Les chemins touts tracés, ça n'était pas pour moi. « Jamais. M-Ma famille n'est pas trop... enfin, tu sais. » elle n'aime pas trop ce genre d'événements. Nous, ce sont les soirées chiques qui priment, bien que ça n'était pas non plus mon truc. J'étais bien dans mon coin. « Merci, j'essaierai d'y penser alors ! » C'était sympa de sa part que de me proposer de visiter les backstages, j'étais tout excité rien qu'à l'idée d'y penser. J'avais toutes ces images que les enfants ont des manèges qui me venaient à l'esprit. Ça devait être amusant, une foire. Bon, je n'avais peut-être jamais mis les pieds dans une foires, mais je connaissais les barbe à papa, les chichis et tout ce qui allait avec. Et apparemment sa grand mère savait les faire à la perfection. « Oh je suis quand même assez compliqué moi, niveau nourriture, je n'suis pas certain que j'aimerai tout, si elle me propose des parfums étranges. » Déjà que je ne mangeais presque rien au quotidien, alors si en plus on tentait de me refiler des trucs trop bizarres, non merci. Enfin, j'étais certain qu'elle était douée, c'était simplement moi qui était compliqué à satisfaire. « Enfin, j'ai pas les meilleurs goûts au monde, de toute façon... » que ce soit en nourriture comme en fringues ou en musique, c'était bien connu, je restais un peu à l'ouest de ce qui se faisait.