+ J'ai besoin de me dépenser, d'évacuer un peu tout ce... Je sais pas quoi qui m'englue la tête depuis dimanche dernier là. C'est n'importe quoi. Faut arrêter de déconner, mon père il dirait. Il dit toujours des trucs débiles qui ont pas de sens et qui m'aident pas du tout. Il est con. Je le déteste. Et je hais le monde entier. Ah ouais, je sais, j'ai l'air moins mignonne comme ça. Mais j'ai une excuse, j'ai des brûlures d'estomac. La blague. Non, je suis juste de mauvaise humeur, voilà. Et il faut bien ça pour me motiver à sortir aujourd'hui. Il fait pas aussi beau que d'habitude. De toute façon, j'ai l'impression que ma semaine entière a été grise, parfois plus ou moins claire ou foncée. Ouais, il y a surement dû y avoir cinquante nuances de gris qui se sont succédaient dans mon esprit. D'ailleurs, faudrait que je lise ce livre. Oui, pour en arriver au point de me dire que je devrais lire, c'est que je me fais vraiment chier, ou que ça va toujours pas. Il y a ce truc qui passe pas, qui me bouche la trachée, ou les voies respiratoires, je sais pas. Faudrait qu'il soit là pour m'aider à le faire sortir, à l'enlever, ou à le faire passer. Ouais, mais c'est plus possible maintenant, faut se faire une raison, ma petite poupée. Ça c'est ce que maman dirait. Elle était tellement gentille, tellement belle, tellement bête aussi, mais je l'aimais tellement plus que l'acteur minable qu'on a forcé à jouer le rôle de mon père. Putain, ce qu'il était nul. Jamais vu un jeu si mauvais. Alors que ma mère, elle était sensationnelle. Parfaite. Enfin, pas tant que ça. Non, parce qu'il y a toujours un truc qui déconne dans la vie. Et ça te ramène à la réalité. T'as pas eu de chance, Jessica. T'en as jamais. T'es mal tombée. Non mais, pourquoi je pense ça, moi ? Faut croire que même courir me permet pas de me vider la tête autant que je le voudrais. Je m'arrête et m'effondre, volontairement, sur le gazon. Je vois Felice approcher. La petite veinarde, elle qui a passé tout le prime de dimanche dernier en compagnie d'Eryk. Je serais presque jalouse. Et pourtant, j'aime pas ça, être jalouse. C'est débile. Mais on me refera plus désormais. « Salut. Comment ça va ? Belle journée n'est-ce pas ? » Je parviens à articuler bien que je sois légèrement essoufflée. Je sais pas pourquoi j'entame la discussion, surtout comme ça. C'est nul. Mais je suis nulle, donc bon.

Les promesses sont faîtes pour être brisées. Je m'étais dis que plus jamais je n'irai faire un footing depuis le petit incident diplomatique de la semaine dernière. Et me revoilà, en tenue de sport, prête à me faire encore du mal en courant comme une deratée. Disons que j'ai besoin de me défouler par n'importe quelle moyen depuis le début de la semaine. C'est le seul moyen de m'empêcher de frapper quelqu'un en pleine face. C'est fou comme mon avis sur ces gens qui m'entourent a changé du tout au tout. J'apprends à me méfier des visages sympathiques. Je ne porte plus grand monde dans mon coeur depuis le prime de la semaine dernière. Alors je cours, plus pour me défouler que par réel plaisir. Je pars loin du nid et de ses habitants. Je cours à une vitesse folle comme si quelque chose me poursuivait et que ma vie en dependait. Je cherche juste à partir loin de ces gens le plus vite possible. Je veux pouvoir traverser l'océan et le monde à la seule force de mes deux petites jambes et retrouver les bras si rassurant de mon Jacob. Je veux pouvoir tomber à ses genoux et le supplier de me pardonner de l'avoir abandonné. Lui demander de quitter cette vie qu'il n'a pas choisi et l'emmener avec moi à Seattle. Assumer enfin mon rôle d'aînée et ne plus compter sur lui pour chasser mes angoisses d'un simple revers de la main. Et pourtant je suis là, enfermée dans l'enceinte du nid où toutes mes frayeurs ressurgissent. Il ne faut pas se mentir, on se sent terriblement seul. Obligée de cacher mon histoire pour que l'on arrête de me suspecter. Je ne remarque même pas que ma course m'a mené vers le stade et que Jessica se dirige vers moi pour faire un brin de causette. Elle me balance des banalités affligeantes pour engager la conversation. « Salut » . J'opte pour la politesse, préférant ne pas la froisser avec mon manque de tact de ces derniers jours. Parce qu'après tout je l'aime bien moi cette nana. « Cette journée s'annonce particulièrement pourrie » . Je soupire un peu, entre mes souvenirs, mes rancoeurs et la grisaille du temps je ne peux pas dire que je sois vraiment très enjouée. « J'ai pas envie d'assister à ce prime, c'est une épreuve pour moi » . Il fallait dire que rien n'allait plus depuis le sixième prime. Alors y retourner et affronter cet immense champ de foire ne me disait rien pas après tout ce qui s'était passé la semaine dernière.

J'entame la discussion d'une façon assez minable, mais heureusement j'ai l'impression qu'elle est au moins là pour en élever le niveau. Cette journée s'annonce particulièrement pourrie, d'après elle. « Ouais, m'enfin si tu veux mon avis, c'est la semaine entière qui est pourrie, pas que cette journée» Je réplique. Bon, je sais pas ce qu'il en est de sa semaine, elle a peut-être passé quelques journées sympas dans le lot, mais pas moi, non, loin de là. Et aujourd'hui c'est le prime, comme elle me le rappelle. Je sais pas trop à quoi m'attendre à ce niveau là, mais je suis du même avis que la jeune femme, c'est une épreuve pour moi aussi. « Comme ça, on est deux. » A pas avoir envie d'y aller, à trouver ça pesant. Quoi que dans mon cas, je considère que c'était plutôt dimanche dernier la véritable épreuve. Rien que d'y repenser j'ai envie de pleurer, ou de foutre un coup de poing dans un truc, mais pas dans Felice, la pauvre, en plus je l'aime bien quand même. Où est donc Paloma quand on a besoin d'elle ? « On a qu'à pas y aller. On pourrait... faire un scrabble, enfin je sais pas s'il y en a un, et j'aime même pas ce jeu mais c'est qu'une idée... » Je hausse les épaules. Je suis vraiment débile parfois, mais je sais pas, c'est le premier truc qui m'est venu à l'esprit. On peut aussi faire autre chose, peu importe. Ou simplement rester chacune de notre côté. Ou peut-être qu'on va bien faire un petit effort pour y aller à ce prime, il faut bien se forcer un peu parfois, hm. Et peu-être que cette soirée ne sera pas si mal, finalement. Je soupire et me laisse tomber lourdement dans l'herbe du terrain, les mains croisées sur l'abdomen. « Dis, ça t'es déjà arrivé de te sentir trop coupable pour un truc, même si tu savais que c'était pas de ta faute mais tu pouvais pas t'empêcher de penser que si ? » Je lui demande en pensant à tout un tas de trucs et à la fois à rien en particulier. C'est peut-être une question conne, je sais pas, tout le monde a dû ressentir ça au moins une fois dans sa vie, j'imagine. Le truc c'est que moi ça fait plus d'une fois, et j'aime pas ça, alors j'essaye de me rassurer en me disait que c'est pareil pour d'autres, mais pour savoir faut bien que je me renseigne. Alors voilà, elle est là, c'est tombé sur elle, pas d'bol, hein.

Je m'en veux un peu de ne pas avoir demandé à Jaheim de venir courir avec moi comme je lui avais promis la semaine dernière. Sa compagnie m'aurait peut être évité de penser à tous ces mauvais souvenirs qui me hantent. Alors pour mieux fuir le nid et les souvenirs qui me pourchassent, je sprinte sans m'arrêter ni même un regard en arrière. Je suis une loque lorsque je déboule dans le stade, mon coeur s'emballe et je ne contrôle plus ma respiration. J'ai l'impression de crever sur place et pourtant je ne me suis jamais sentie aussi vivante. Je ne ressens que trop bien ce qu'Alistair m'avait décrit dans le gymnase. Courir pour me défouler, pour évacuer toute la tension que j'ai accumulée pendant ces six semaines. J'ai l'impression de faire peau neuve. Ma respiration n'est toujours pas stabilisée que Jessica vient m'aborder. Elle me lance des banalités pour savoir comment j'allais et comment s'annonçait cette journée. Mon optimisme légendaire me pousse à lui dire que cette journée sera bien pourrie et elle enchérit en précisant que cette semaine l'était tout autant. « Tu as trouvé toi aussi ? Tout le monde semble tellement déprimé. » . Tout le monde tirait une tête d'enterrement cette semaine et moi la première. Le pire dans tout ça, c'était que même Aaron avait perdu ce sourire dont il ne se séparait pas depuis le début de l'aventure. C'était à vous fendre le coeur. En fait rien n'allait plus depuis le dernier prime si bien que j'étais devenue allergique au dimanche soir. « J'ai pas envie d'affronter des questions horribles et des départs qui font mal » . Elle devait bien savoir ce que je ressentais je l'avais particulièrement affligée par le départ d'Eryk. Elle lui avait sauté dessus alors que je n'avais même pas été capable de bouger d'un iota. Alors l'idée de sécher le prime est de plus en plus allechante, même si c'est pour faire un scrabble. « Toutes les excuses sont bonnes pour éviter de retourner sur ce plateau ». Pourtant je savais bien que nous n'aurions pas le choix et que ce soir nos deux petits culs respectifs seraient confortablement installé sur un des fauteuils. Jessica décide de s'allonger dans l'herbe et se permet même de philosopher en posant une question qui ne me parle que trop bien. Je la rejoins dans l'herbe fraîche. « Oui. Ce sentiment ne te quittera jamais tu sais, il n'est jamais parti pour moi même avec le temps » . C'était trop tard pour moi. J'étais coupable de tout, coupable d'avoir détruit ma propre vie et celle des gens que j'aimais. Coupable de n'être jamais revenue. « Ça fait quoi de perdre son partenaire ? » . Je lui lance en rivant mes yeux sur son visage presque fasciné par le spectacle du ciel en ce début de matinée.

Ce n'est pas que la journée qui est pourrie, non, c'est toute la semaine selon moi. Je constate que c'était également l'avis de la jeune femme, qui ajoute que tout le monde semble déprimé. « Ouais, mais ça c'est parce qu'Eryk est parti. S'il avait été là, je te parie qu'il aurait su remonter le moral de tout ce petit monde. » Peut-être que s'il était pas parti, beaucoup moins de gens serait déprimé aussi, à commencer par moi. Enfin, je ne peux pas en être certaine puisque ça à l'air d'être l'atmosphère générale, mais je pense vraiment que s'il était resté cette semaine aurait été un petit peu plus légère, aussi lourd pouvait-il être par moment. Quoi qu'il en soit, je constate que je ne suis pas la seule à ne pas avoir envie de participer au prime de ce soir. Felice dit qu'elle ne veut pas avoir à affronter des questions horribles et les départs en fin de soirée. « Hm, je comprends, moi non plus. » Que je me contente de dire en faisant une petite moue, et en pensant au précédant qui m'a laissé un goût bien amer dans la bouche. Du coup, je propose carrément de pas y aller, à ce prime. On pourrait même faire un scrabble que je trouverais ça plus sympa. Je souris à sa réponse. « Hey, j'y pense, on pourrait même prendre un bain toutes les deux, l'autre fois j'ai bien vu que t'en mourrais d'envie. » Je fais en blaguant, lui lançant tout de même un petit regard coquin, et lui donnant un léger coup de coude. En réalité, je me doutais bien qu'on ne nous laisserait pas barboter tranquillement dans une baignoire et qu'on nous forcerait à monter sur le plateau à moins d'être vraiment malade, mais ce n'était pour l'instant visiblement pas le cas. Je décide de changer complètement de sujet en posant une question peut-être un peu plus personnelle à la demoiselle, que je ne connais pas si bien que ça finalement, mais que j'apprécie tout de même assez. Est-ce qu'elle s'était déjà sentie coupable même si elle n'avait pas forcément à l'être. Apparemment oui, et je suis bien d'accord, c'est un sentiment qui ne part jamais, je le sais. Je n'ose pas le lui dire, mais je trouve ça rassurant de savoir qu'il y a d'autres personnes qui ressentent ce genre de choses à part moi ici. Même si dans mon cas, ce ne sont que pour des conneries. Le divorce de mes parents, la mort de mon père, mes divers échec au niveau scolaire et professionnels, ma vie sentimentale, la mort de ma mère, ou plus récemment les diverses nominations de Noah, puis son élimination et celle d'Eryk aussi, même si ça, ça n'a sans doute absolument rien à voir avec moi, mais c'est comme ça, j'y peux rien, je me sens responsable. D'ailleurs, Felice me demande ce que ça fait de perdre son partenaire. Je hausse légèrement les épaules. « Oh, tu sais, on n'était pas très proches, mais il me manque quand même. Je l'aimais bien. » C'est pas non plus le drame de ma semaine, mais ça fait partie du lot de trucs nuls qu'il a pu arriver pendant le prime dernier et qui a eu une assez grosse répercussion sur mon état de la semaine en plus du reste.

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