Paloma remercie parfois son horloge interne d’être partiellement déréglée, de la réveiller en pleine nuit, l’esprit alerte pour qu’elle le loisir de gamberger et tôt le matin, pour qu’elle profite des journées. Ses nuits sont courtes mais sensiblement liées aux émotions qui l’étreignent. Quand ça va, elle dort peu mais bien, d’un sommeil réparateur, vivifiant, qui lui donne envie de savourer chaque heure de la journée comme si c’était la dernière. Quand ça va pas, la nuit fait office de sévices qui tourmentent et torturent, s’immiscent partout et filent le cafard. Mais cette semaine, ça va mieux et ce matin il est très tôt qua nd Paloma s’extirpe discrètement des draps qu’elle partage avec Clémentine avec la grâce d’une figurine. Ses pieds nus, furtifs, la mènent jusqu’à la cuisine où elle termine de préparer la surprise entamée la veille. C’est pas grand-chose, à peine un geste, mais ce genre d’attention, ça compte à ses yeux. Paloma vogue dans un ballet raffiné au rythme d’une mélodie de sa composition au son du beurre qui fond, du chant des couverts qui s’entrechoquent et de toutes les nuisances sonores qui sentent bon le petit-déjeuner. Paloma ignore la plupart des goûts de Clémentine mais c’est qu’elle n’ignore pas, c’est qu’elle doit être exigeante alors elle tâche de rassembler un maximum de choses sur son plateau quitte à ployer sous son poids. Elle n’oublie pas le jus mangue-orange qu’elle l’a si souvent aperçue boire, fait dorer des crêpes de sa pâte préparée la veille, tranche quelques fruits dans une salade composée et séparément – sait-on jamais. Paloma ajoute une boisson chaude, un produit laitier, des viennoiseries et même une omelette et de la charcuterie. C’est pas très français, comme mets mais au moins, elle aura l’embarras du choix et le reste ne sera pas perdu. Après tout, une légende bien connue raconte que tout ce qui est laissé à la cuisine finit immanquablement par disparaître… Les bras chargés, vacillant presque sous le plateau gorgé, Paloma entreprend une remontée lente et précautionneuse à travers les escaliers. Elle pourrait prendre l’ascenseur mais il est bien trop capricieux pour qu’elle prenne le risque de se retrouver enfermée pour une durée indéterminée, condamnée à entamer elle-même la surprise réservée à Clémentine. L’espagnole parvient finalement à bon port et glisse délicatement le plateau sur les draps encore chauds qui l’accueillaient il y a peu. Si Clémentine n’a jamais dormi avec Alistair, Paloma s’est essayée à partager ses draps avec Sacha avant qu’elle ne rejoigne la blonde esseulée par un vague à l’âme et qu’elle ne la quitte plus sauf quand son cœur se fait trop lourd. Paloma aime beaucoup la proximité de Clémentine, ses airs de môme rêveuse et tragique et son charisme magnétique qui l’impressionne toujours. Elle aime bien se sentir bercée par sa respiration régulière ou apercevoir l’éclat rassurant de sa chevelure claire en pleine nuit, quand elle se réveille en sursaut. Clémentine semble encore assoupie et Paloma se penche délicatement sur elle après un regard sur son réveil. Généralement c’est à cette heure-là que ses grands yeux bleus s’ouvrent sur le monde. Doucement, ses doigts viennent flirter avec ses mèches platines dans des gestes tout doux, pour l’extirper avec prévenance de son sommeil vaporeux.

Inconsciemment, je me cale au rythme de Paloma, lorsqu'elle va mal, je ne dors pas, mais je fais quand même semblant lorsque parfois elle se tourne vers moi. Alors je suis à deux doigts de la supplier d'aller un peu mieux car la dernière semaine, je n'ai rien dormi pour elle. Alors là, j'ai réellement besoin d'oublier, de dormir profondément sans culpabiliser en me disant qu'à trois centimètres de moi, un drame se produit, sans que j'en sois réellement consciente. Ce soir je plonge. Complètement. J'ai juste envie de passer ma vie sous la couette, passer les semaines et de me réveiller lorsqu'Hadrien rentrera. Telle une belle aux bois dormants des temps modernes, toujours très cliché mais je m'en fous. Je sens un vague mouvement sur le lit. Hm.  Généralement mauvais signe. Je sens des doigts me frôler, je les arrête de ma main impérieuse pour me rendre compte qu'il ne s'agit que de Paloma. « Qu'est ce qu'il t'arrive ? » je demande d'une voix encore grave en la regardant difficilement, les paupières se fermant automatiquement. J'imagine qu'elle veut son câlin matinal pour vaquer ensuite à ses occupations et pour pouvoir quitter notre pseudo lit conjugal en paix. Je veux bien la libérer personnellement. C'est donc un léger mécanisme que mes petits bras se nouent autour de son cou pour l'attirer contre moi dans une vague étreinte. Je la coince quelques secondes avant de la relâcher pour lui signifier qu'elle n'a pas besoin de mon accord pour continuer sa journée. Je finis par me tourner sur le côté. J'ouvre un instant les yeux et je découvre un plateau repas. Mes prunelles se posent une nouvelle fois sur Paloma en me demandant ce qu'il se passe. « C'est pour moi ?» je lui demande de ma voix cristalline en écarquillant légèrement les yeux. Je finis par me redresser un peu, en lissant la couette du plat de ma main, vaguement gênée sur le moment. Deux secondes.   « C'est pour quelle occasion ? » je lui demande en arquant un sourcil avant de tenter de mettre un peu d'ordre dans ma chevelure platine. « Si c'est pour déclarer que tu me portes un amour infini et démesuré» je commence alors en rangeant une mèche de cheveux derrière mon oreille avant de vriller mes prunelles sur la demoiselle en face de moi. « J'en ai déjà conscience » je réponds alors avec un sourire taquin en haussant les épaules. Je découvre mon jus indispensable pour la journée. « Sans faute en plus» je lui annonce d'une voix agitée en secouant le jus pour bien mélanger. J'aime être une princesse.

Des doigts grognons s'enroulent autour des siens pour signifier leur mécontentement et un sourire tendre barde les lèvres de Paloma en découvrant le minois ensommeillé de Clémentine. Elle l'interroge et elle ne répond rien, se contentant d'élargir son esquisse avant qu'elle ne l'attire contre elle dans un câlin mécanique, un peu rustre et qui a le don d'ancrer durablement son sourire sur ses traits de poupée. Clémentine la libère et Paloma l'observe du regard comme elle regarderait la petite soeur qu'elle n'a pas ; avec un mélange de douceur et d'affection. Parce que c'est ça qu'elle lui porte. De l'affection. Une affection un peu brutale qu'elle n'a jamais mesuré ou décidé mais qui est venue la frapper d'elle-même et qu'elle n'a jamais cru bon de chasser. Elle s'est attachée à Clémentine très vite et la considère sans doute bien plus proche qu'elles ne le sont réellement, mais ça ne fait rien. Souvent, elle l'envisage comme une petite soeur rêveuse, la petite princesse de la maison parfois capricieuse mais qu'on peut jamais blâmer parce qu'elle sait mieux que personne comment être attendrissante. Le reste du temps, elle est l'amie qui fait du bien, celle dont les bras accueillants apaisent la peine et celle qui sait aussi lui filer des coups de pied aux fesses même si sa sa dureté nécessaire lui file toujours le cafard, sur le coup. En tout cas, Clémentine lui est précieuse, c'est tout, c'est comme ça, ça se discute pas. Libérée de ses bras filaires, Paloma - loin de battre en retraite - s'installe en tailleur et s'amuse du temps de réaction de Clémentine qu'a bien du mal à se libérer des bras de Morphée. « Non c'est mon petit déjeuner, j'ai seulement décidé de te narguer » qu'elle lance le plus naturellement du monde de sa voix plus feutrée qu'à l'accoutumée pour ne pas réveiller les quelques derniers assoupis. Paloma et l'humour ça fait souvent beaucoup, son genre c'est la mélancolie, pas la plaisanterie alors généralement ses tentatives de blagues tombent toujours à l'eau parce qu'elles sont seulement un peu cyniques, pince-sans-rire et déclamées d'un ton égal que peu déchiffrent. « Il faut nécessairement une occasion ou une raison ? » qu'elle demande en haussant les épaules, un sourire toujours bien armé aux lèvres. Paloma aime bien faire plaisir, elle aime les petites attentions et préfère largement offrir que recevoir, c'est comme ça. « Aïe. Démasquée... » Paloma feint la gêne en esquissant une moue chagrinée mais ça ne dure pas longtemps parce qu'elle n'a pas à rougir des sentiments qu'elle porte à Clémentine. Ou à quiconque d'ailleurs. Clémentine s'empare immédiatement de son jus orange-mangue - quelle surprise ! - et Paloma, elle, décide de se servir en amputant le plateau d'une serviette et d'une crêpe au sucre. « On tourne vieux couple, tes habitudes n'ont plus aucun secret pour moi » s'amuse-t-elle. C'est pas faux, elle connaît nombre de ses rituels alors qu'elle ignore des tas de choses bien plus importantes, plus révélatrices. Ce qui est encore plus improbable, c'est que Clémentine et elle ne sont même pas un couple. Bien entendu, pas au sens charnel, mais même pas au sens du jeu. Elles ne sont pas partenaires mais ont simplement décidé de contourner les règles du jeu et Paloma aime bien penser qu'officieusement, c'est sa partenaire. « Je t'interdis de sortir dimanche Clémi » Paloma brise le silence une fois que Clémentine a fini de boire son jus. Elle est sérieuse malgré la douceur habituelle de sa voix. « Parce que si tu sors, t'auras aucune bonne raison de revenir » Alors que si elle reste, Hadrien la rejoindra dans une poignée de semaines et ils seront réunis. C'est un peu égoïste comme raisonnement, Paloma en a bien conscience, mais à ce stade du jeu elle a peur de perdre ceux à qui elle s'est attachée - trop sans doute. Elle a peur de pas avoir l'envie, la force, le courage de continuer si les gens qu'elle aime ne sont plus là pour partager ses journées. Et elle peut pas envisager d'abandonner avec son secret intact, ce serait un échec.

Je l'écoute distraitement, encore vaguement endormie. « Tu es bien trop gentille pour faire cela » je me contente de lui répondre d'une voix blanche, elle serait bien incapable de manger sous mes yeux, moi, avec ma clavicule qui menace de sortir et mon petit coeur frêle. Je pourrais très bien appuyée sur les faiblesses de coeur de Paloma. Sa remarque m'arrache un léger sourire. Mes prunelles azurés s'accrochent à Paloma. « Non, je suis encore un mystère pour toi» je me plais à dire d'une voix presque boudeuse, parce qu'on est pas un vieux couple qui connait tout l'un de l'autre, on serait bien trop ennuyante en réalité. « Par exemple, j'ai l'habitude qu'on me réveille en chanson et avec une fleur aussi ! » je précise alors, taquine en lui faisant part de mes exigences matinales que même Hadrien ne voudrait pas satisfaire en vrai. « Mais tu ne l'as pas fait, je te pardonne » je lui annonce de ma plus belle voix en posant une main affectueuse sur le sommet de mon crâne. Je me sers ensuite un verre de jus, en prenant attention à ne pas en mettre partout sur notre lit, pour ne pas tacher notre petit cocon. J'attrape un croissant que je coupe en deux, offrant l'autre moitié à ma partenaire. Elle m'interdit de sortir, comme si sa volonté pouvait changer le monde, c’est beau. « Cela ne dépend pas de moi !» je m'offusque alors e fronçant les sourcils, ce n'est pas moi qui vote ! Je subis, et je n'aurais pas le choix. Paloma me balance que je ne reviendrais plus ici. Je souris simplement parce qu'elle est mignonne tout en étant égoïste à la fois, parce qu'elle sait très bien qu'Hadrien me manque et que cela fait plus d'un mois que je dois vivre sans, à le savoir des kilomètres d'ici. « Tu considères que tu n'es pas une bonne raison pour nous faire revenir ? » je lui demande alors en posant mes grands yeux bleus sur la demoiselle, en esquissant un léger sourire. Je dis nous parce que si je sors, et que l'envie de rentrer en fin d'aventure me prend soudainement, je ne me vois pas y aller sans Hadrien. Et puis même, il n'y avait pas qu'elle, y a Mallaury, Percy, Adnan, Tilda, je pourrais avoir plein de raison de revenir ici. Clairement. « Pourtant je trouvais que tu avais un potentiel » suffisamment attractif pour m'obliger à revenir ici en cas de défaite. Je dessine une moue boudeuse sur mon joli minois avant de la contempler longuement. « Ce n'est pas comme si tu n'avais que moi ici, en plus » je souligne tout de même avec innocence, on a beau être proche, enfin, c'est l'impression peut-être alternée que j'ai de notre relation, tout le monde semble graviter autour de la jolie brune. Une attraction que les gens ne peuvent expliquer, elle dégage une certaine aura qui fait de nombreuses jalouses qui réclament simplement une petite part de l'attention que tout le monde porte à Paloma. Je suis sûre qu'elle ne sera pas seule si je viens à me faire expulser d'ici. « Je t'abandonne pas » je tiens à lui rappeler de ma voix d'enfant alors mes doigts s'en vont frôler les siens pendant une seconde, ce n'est pas moi qui veut partir, mais on n'a pas toujours ce qu'on veut dans la vie. A nous de composer avec.

Paloma conserve son sourire attendri quand Clémentine affirme d'une voix endormie qu'elle est bien trop gentille pour la narguer. C'est vrai, elle a raison. L'égoïsme n'est pas le genre de la maison. Elle n'est pas parfaite, Paloma, loin de là mais elle pense être quand même plutôt agréable avec les autres et quand elle blesse, c'est jamais volontairement. Ça lui arrive de faire du mal, faut pas croire, mais généralement ça vient d'une mauvaise appréciation, de décisions irréfléchies causées par le chagrin ou juste d'un malentendu. Alors Clémentine n'a rien à craindre, elle risque pas de lui manger sous le nez en la laissant dépérir sans intervenir. Par contre, faut pas non plus déconner, Paloma ne risque pas de lui chanter une chanson, une rose entre les lèvres et une oeillade conquise pour parfaire le tableau, faut pas déconner. « Je laisse la sérénade à Hadrien, faudrait pas que je le supplante dans la catégorie 'meilleur réveil' » Elle plaisante, bien sûr et sa voix qui chantonne délicatement comme celle d'un rossignol le prouve bien. Tout comme le sourire amusé qui ne manque pas d'éclore comme un bouton de rose sur ses lèvres. Mais elle dit pas le contraire, Paloma, derrière sa plaisanterie : elle sait bien que Clémentine reste un mystère à ses yeux. Elle connaît ses habitudes, ses manies, ses mimiques, des tas de choses qu'elle tente d'assembler mais son histoire lui échappe, elle lui glisse entre les doigts comme de l'eau claire. C'est pas grave, ça viendra. Elle apprécie de la découvrir parcelle par parcelle, d'admirer les facettes du prisme fascinant qui la compose. Quand elle la regarde, comme ça, Paloma est toujours ramenée à leur première vraie conversation et c'est marrant parce que l'avis loufoque qu'elle s'était forgée à l'époque ne s'en trouve qu renforcé. Clémentine, ça sera toujours son Antigone, la petite noireaude toute frêle qui veut tout, tout de suite, sans compromission. Elle pose sa crêpe même pas entamée pour attraper la moitié de croissant que Clémentine lui tend et le découpe sur le plateau pour le grignoter comme un moineau, petit à petit. Paloma mange comme elle est : avec délicatesse et des gestes précautionneux. Elle picore, en fait. Elle picore mais la dernière bouchée a du mal à passer quand Clémentine s'insurge que ça ne dépend pas d'elle. Parce qu'elle le sait, que ça dépend pas d'elle et c'est terrible cette incertitude. Le public est versatile, elle le sait. Il est capable de faire sortir une personnalité aussi captivante qu'Hadrien alors comment elle pourrait avoir confiance ? Paloma aimerait vraiment ne pas s'en faire mais la vérité c'est qu'elle s'en fait. Parce qu'elle a besoin de Clémentine dans l'aventure et même si la suite la rassure un peu et défroisse son coeur tout chiffonné, c'est pas suffisant. « Je n'ai pas dit ça. Disons... pas suffisante. » Elle gomme un peu ses propos et hausse les épaules en soutenant le regard azur de la demoiselle. Paloma sait bien qu'elle fait pas le poids, elle et même les autres, face aux retrouvailles avec Hadrien et à sa vie parisienne. A l'inverse par exemple, Paloma n'est pas certaine de revenir. Parce qu'elle sent que le retour va être compliqué avec une médiatisation dont elle ne veut pas, des questions, des regards insistants, des jugements sans doute, un passé étalé dans la presse... Elle a déjà convenu de ne pas rentrer tout de suite, de s'isoler quelque part le temps que le tout se tasse et qu'elle redevienne cette fille anonyme au milieu des autres. Paloma n'est pas ici pour la notoriété, elle la fuit. « Merci. » qu'elle glisse de sa voix de môme bien élevée quand Clémentine parle de son potentiel. « Si je devais partir de façon anticipée, j'sais pas si je reviendrais ici. Je crois plutôt que je me ferais toute petite jusqu'à ce que l'attention retombe » C'est dit. Clémentine lui rappelle qu'elle n'est pas seule, comme pour la rassurer, et elle lui porte un regard doux mais qui dure longtemps et Paloma doit s'faire violence pour pas baisser les yeux face à tous les sentiments positifs qu'elle lit dans les iris océans de Clémentine, limpides et aussi poétiques que la mer qu'elle adore tant. « Je sais » qu'elle rétorque mollement, sans vraiment y croire. Elle le sait qu'il lui reste des personnes de confiance, des amis sur qui s'appuyer. Percy, Ghika, Mallaury, par exemple. Mais tout de même de départ en départ, y'a son monde qui se délite et elle peut pas s'permettre de perdre Clémentine, qui est la seule à lui faire cet effet là. Paloma aime beaucoup Tilda et apprécie Gaëtane masi elle n'a jamais atteint - à son grand regret - avec l'une ou l'autre le quart de l'intensité des sentiments qu'elle nourrit pour la blonde. C'est comme ça, y'a des âmes qui se frôlent et se touchent sans plus d'explications, plus fort et plus vite que les autres. « Mais c'est pas parce que je ne suis pas seule que je t'aime moins pour autant » C'est vrai, c'est limpide et ses grands yeux de chat qui glissent sur sa peau de porcelaine pour retrouver les siens ne mentent pas. Clémentine clame qu'elle ne l'abandonnera et Paloma cesse de jouer distraitement de ses doigts fins sur la serviette qu'elle tient entre ses mains parce que ça lui plaît, ce qu'elle entend, et ça monopolise l’entièreté de son attention, jusqu'au muscle le plus insignifiant. Elle presse les doigts de la blonde entre les siens dans une caresse affectueuse. « J'espère parce que j'aimerais beaucoup que ça ne s'arrête pas, à l'extérieur. » Sa voix aussi douce qu'une caresse s'élance timidement, avec pidei. Ca y'est, elle l'a dit. Après tout, Paris a été sa ville pendant cinq ans, presque six, et Paloma l'a quittée précipitamment à la mort d'Antoine sans réfléchir. Elle a fui, parce que tout lui rappelait ce qu'elle venait de perdre. Chaque rue, chaque pont, chaque musée, chaque terrasse de café hurlait le manque de lui, dessinait sa silhouette au loin et lui crevait le coeur. Mais Paris est sa ville bien davantage que Toulouse qui ne fait office que d'un refuge temporaire, encore la France mais presque l'Espagne. C'est un repli, pas un salut et ce n'est pas là bas qu'elle se voit vivre. Paloma n'a pas réfléchi à cette question mais au fond d'elle, inconsciemment, elle sait. Ce sera Paris, ou l'Andalousie. La ville de son renouveau, de sa plus belle histoire, et les terres de ses étés presque insouciants dans la grande demeure familiale, avec une petite cousine qui prenait mieux soin d'elle que tous les autres réunis. Paloma ignore ce qu'en pense Clémentine, si pour elle les affinités dépasseront jamais le stade du nid mais elle ressent le besoin de dévier la conversation vers un sujet plus léger. Tout en se servant un verre de jus d'orange, elle cherche une question toute simple, mais qui ait tout de même du sens. « Si tu devais choisir qu'un seul moment ici, ce serait lequel ? » Le meilleur moment, le plus émouvant, celui qui résume son parcours, peu importe. Paloma pose avec douceur ses prunelles brillantes sur le visage de Clémentine, pressée d'entendre sa réponse.