@hugo

Son père lui joue beaucoup au golf, elle beaucoup moins, elle n’a jamais souhaité être initiée à ce sport. Elle se trouve déjà assez bourgeoise sans avoir à rajouter golf à toutes ses activités de petit new-yorkaise. Mais lorsqu’elle se trouve devant ce mini-golf elle se trouve bien bête de n’avoir jamais cherché à jouer. Elle est mauvaise, elle se trouve idiote avec son club alors qu’elle réussit à frapper la balle une fois sur dix. Heureusement, elle est patiente Agata, il en faut plus pour qu’elle abandonne. Et elle ne perdra certainement pas son sang-froid devant les caméras, elle ne donnera pas cette image-là, qui sait ce qui pourrait se dire sur elle. Ses parents doivent surveiller les moindre de ses faits et gestes. Elle s’applique, essaie de se placer correctement, mais sans grand succès. Il lui faut faire une pause, elle sera peut-être meilleure par la suite, même si elle en doute. Attrapant la bouteille d’eau qu’elle s’est amenée, elle remarque un jeune homme qui s’approche d’elle. « Salut, toi c’est Hugo, je me trompe ? » Elle espère être parvenue à retenir les prénoms des candidats correctement. Elle s’en voudrait de s’être trompée. « Tu sais jouer au golf toi ? Tu penses que tu pourrais m’apprendre ? Ou tu es malheureusement aussi mauvais que moi ? » Il est peut-être naturellement douée, ce que n’est pas Agata, malgré tous ses efforts pour mettre la balle dans un trou, mais ils lui résistent visiblement tous. Le golf ce n’est peut-être pas fait pour elle non plus.

Mon tee-shirt humide entre mes griffes, je quitte le terrain de sport et tout ce dont j'ai envie, c'est d'une douche. Une douche bien froide qui déliera mes muscles tendus, réveillera mes nerfs étourdis par l'effort, qui calmera la circulation d'un sang bouillant qui bat violemment dans mes veines. La fin du rituel, la fin du cycle et ce qui me permet de réintégrer mes activités habituelles et, en général, moins physiques. Pourtant, je traîne encore un peu, je déambule, j'amorce la redescende d'adrénaline, ne passant pas d'un état extrême à un autre état extrême - je me laisse vagabonder quelques minutes dans l'herbe, enchaînant des pas plus vifs et de longues absences, me faisant errer d'un air distrait. Sans tellement m'en apercevoir, mes pas me guident jusqu'aux abords du parcours de mini-golf, qui me laisse vaguement perplexe et qui, une fois encore, me tire une grimace méprisante, lorsque ma basket butte contre le rebord de l'une des pistes. Des sons presque parasites dans l'ensemble paisible et feutré d'un jardin désert me font redresser la tête, là où je me serais contenté de rebrousser chemin pour rejoindre l'hôtel, et je capte presque aussitôt la présence d'une longue brune qui s'amuse à rater encore et encore son frappé. Me retenant de ricaner, je m'approche silencieusement, l'observant s'acharner malgré l'évidence qui saute aux yeux : elle est complètement à côté de la plaque. Et du trou. Et probablement qu'elle en arrive à la même conclusion, puisqu'elle déclare forfait et fait mine de s'abreuver pour se donner contenance. Et là, malheur, elle me repère. Je hoche simplement la tête, sans prendre la peine de lui retourner la question. J'ai retenu les prénoms qui m'intéressent. Et elle, avec sa gueule connue - avec son nom de famille plus connu encore - elle m'intéresse. Je la connais et probable qu'elle me connait également, sans le savoir. Et elle enchaîne, alors et cette fois, je ne peux m'empêcher d'esquisser un sourire dont je ne cherche pas à censurer la raillerie. « Quoi, c'est si compliqué que ça, de frapper dans une balle ? » je soupire vaguement, le regard indolent dardé sur elle. Je joue au golf depuis que je suis en âge de tenir un club et d'obliger mon père à m'emmener avec lui lors de ses parties. Il s'est toujours bien amusé à m'enseigner tout l'art de ce sport. Après tout, qui fait un meilleur professeur que celui qui est le plus doué et qui possède le plus de sens de la pédagogie ? « Tu tiens mal ton club » je l'informe, prenant pitié et daignant lui faire part de mes observations. Je coince mon tee-shirt dans l'élastique de mon short et, à pas de loup, je la rejoins. Attrapant ses doigts d'une main et le club qui traîne de l'autre, je deviens maître de ses mouvements, la plaçant sur la plateforme de frappe, j'affaisse ses épaules, redresse son menton d'une pression de la phalange et enroule ses doigts autour du club, les serrant entre les miens. « Essaie plutôt comme ça » je souffle d'une voix chantante. Je la fais pivoter, le club virevoltant dans les airs avant de s'écraser contre la balle blanche parfaitement positionnée par mes soins. Elle s'élance dans une course calculée, traverse les obstacles pour finalement s'arrêter à une cinquantaine de centimètres du trou. Considérant qu'on est à deux sur un seul club, je trouve le score plutôt honorable. Je la lâche alors, me recule et me plante ostensiblement de l'autre côté de la piste, les bras croisés, l'observant, peu amène. « Ça ne m'étonne pas que ton père ne t'ait jamais appris, il est lui-même plutôt mauvais » j'avance d'un air parfaitement neutre, comme on évoquerait le temps qu'il fait.

Pourtant d’un naturel persévérant, elle aurait tendance à vouloir baisser les bras face à un club de golf. Elle ne sait pourquoi son club refuse de toucher la balle, ou du moins cela ne réussit que très rarement. Agata a horreur d’échouer, et de ne pas réussir ce qu’elle entreprend, et ne pas réussir à mettre ne serait-ce qu’une balle dans un trou serait un échec personnel. Un échec bien minime, mais tout de même ça l’embêterait de devoir renoncer. Elle garde son calme, comme elle le fait toujours, rien ne servirait de s’énerver devant les caméras, elle ne transmettrait pas une bonne image. Et l’image importe plus que tout. A temps arrive un candidat, qu’elle croit reconnaître comme étant Hugo. Il pourrait peut-être lui apprendre à jouer, pour peu qu’il soit plus doué qu’elle. A en juger par son sourire moqueur, il l’est. « Pour une débutante comme moi ça l’est. » Elle frappe les balles avec une précision millimétrée au tennis, mais visiblement le golf est une toute autre affaire. Veut-il bien l’aider ? Visiblement oui, elle tient mal son club. Elle ne dit rien, le regarde s’approcher et se laisse faire, docile comme elle est. Cela semble bien plus facile, maintenant qu’il est là pour l’aider, mais elle n’est pas certaine de pouvoir répéter ces exacts mêmes mouvements une fois qu’elle n’aura plus que ses mains pour diriger. Ses mains dirigées par les siennes, frappent la balle à l’aide du club, et elle regarde avec une certaine satisfaction la balle atterrir non loin du trou. Elle se tourne vers lui, un grand sourire aux lèvres. « Merci. Tu as l’air d’un vrai pro. Je ne suis pas certaine d’avoir la même réussite seule, certainement pas, mais j’aurais au moins eu quelques secondes la satisfaction d’envoyer la balle aussi loin. » Ce qui pour elle est déjà une réussite. Le sourire qui est apparu sur ses lèvres disparaît aussitôt lorsqu’il lui parle de son père. Elle est décontenancée Agata, ne comprenant pas le sens exact de ses paroles. « Excuse- moi ? » Pourquoi parle-t-il de son père comme s’il le connaissait ? Elle pose une main sur ses hanches, le toisant quelques secondes. « Tu connais mon père ? » Pendant quelques secondes elle essaie de se remémorer toutes les personnes qu’elle a vu dans sa vie, mais elles sont bien trop nombreuses. Toutes les semaines une centaine de nouveaux visages se présentent à elle. Pourtant, plus elle observe le jeune homme, plus son visage lui rappelle quelque chose. Elle l’a sûrement déjà vu, en personne ou pas, elle n’en a aucune idée. Mais quelque chose lui dit qu’elle devrait savoir qui il est. « On s’est déjà vu ? Ou je devrais savoir qui tu es peut-être ? Etant donné que tu sembles savoir qui je suis. » Il n’est certainement pas un fils de sénateur, sinon elle le saurait sans se tromper, mais peut-être a-t-il un rapport avec ce milieu, surtout pour avoir déjà fait une partie de golf avec son père. Elle a beau chercher, aucun nom ne lui vient en tête.

Elle galère, ça se voit à trois kilomètres. Si je m'écoutais, je soufflerais probablement une remarque sexiste. On n'en voit pas beaucoup des nanas, sur les cours de golf. Mais le mini-golf, que je pensais déjà plus adapté, n'est visiblement pas beaucoup plus facile pour certaines. « Ça vient avec l'entraînement. » j'assure avec la courtoisie et le sourire, mais sans la moindre modestie. Le calme de cette nana est presque agaçant. Mais pour une fois, je m'exhorte à la décence, avec plus ou moins de succès. Je concède à lui filer un coup de main, même si je ne peux contenir de vagues moqueries qui la laissent de marbre. Tant mieux pour moi, car elle peut m'être potentiellement utile. Pas ici. Ici, je ne compte que sur moi. Même Olivia qui est pourtant ma partenaire, n'obtiendra pas ma confiance de sitôt. Je me fiche bien qu'elle sache mon secret. Je me fiche bien qu'on soit liés dans les nominations. Non, je parle de l'extérieur. De l'après. On traite de politique de temps à autres, dans la famille, mais rien de vraiment officiel, on agit sous la surface. La première véritable coalition entre nous et les dirigeants se réalisera grâce à moi. Grâce à mon union avec Grace, qui est la fille d'un sénateur. Probable que Agata la connaisse mieux, elle. Ils doivent certainement tous être liés d'une façon ou d'une autre, entre eux. Probable qu'elle connaisse mieux aussi ma mère, qui est plus issue du monde du show-biz, de l'acting et de la mode que celui des affaires. Je me contente de hocher la tête lorsqu'elle évoque à son tour son père. Je le connais, en effet. J'ai déjà joué une partie avec lui, en effet. Mais pas la peine de me regarder de cette façon, on n'est pas les meilleurs amis du monde. Je ne l'ai jamais rencontré qu'une fois, à vrai dire. Le reste du temps, c'est avec mon père à moi qu'il fait ses affaires. J'imagine que c'est toujours intéressant pour un politique d'avoir les milliardaires du pays parmi ses alliés ou, au moins, dans son carnet d'adresses. L'esquisse d'un sourire insondable étire les commissures de mes lèvres, alors. Je pourrais me vexer qu'elle ignore, mais ça fait mauvais genre. L'humilité ou ce qui fait office d'humilité, en tout cas, est une vertu qu'on apprend très tôt. Parce qu'il y a toujours plus gros poisson que nous. Toujours. « On ne s'est jamais vus, ou pas que je me souvienne. » je précise. Histoire de remettre les pendules à l'heure. On ne s'est encore jamais adressés la parole, et si on s'est peut-être déjà aperçus au loin, dans le journal ou à la télévision, nous n'avons jamais eu directement affaire à l'autre. Je sais qui elle est simplement parce que je me dois de connaître tout le monde. C'est mon job. Et si elle est fille de sénateur, alors il était inévitable que je retienne nom et visage, au moins.  « Mais nos pères respectifs se connaissent bien. » Et ceux que mon père connait, je les connais également. Je suis l'héritier de toute sa fortune, de toutes ses affaires, ou presque, de ses relations, de son business - je suis obligé d'être incollable sur ceux qui régissent le pays. Et même le monde. « Diamantini. C'est mon nom. Et le sien. » Si elle est attentive aux affaires de son père, ça lui dira quelque chose. Mais peut-être est-elle complètement ignorante de son quotidien ou qu'elle ne s'y intéresse pas le moins du monde. Ça me semble difficilement probable, puisqu'il est rare qu'un puissant laisse sa progéniture loin de son héritage, mais pas totalement impossible non plus. Je me contente de l'observer une seconde avant de diriger mon regard vers la balle. « Tu sais que tu n'as pas encore gagné, là. » j'indique, insolent, parce qu'au fond, ça n'est franchement rien, ces histoires avec son père. Elle y attache bien trop d'importance, comme s'il était impossible qu'il ait des relations en-dehors du cercle privé qu'elle connait. Moi je m'y suis fait assez vite. Les gens connaissent mes parents. C'est comme ça.