@Sayid

Les yeux ronds comme des billes. Ils refusent systématiquement de coopérer et de se fermer. Comme si le repos était optionnel, alors que je me suis montrée extrêmement paresseuse la semaine dernière. Alors ce sera toujours comme ça? À croire que je ne suis tout simplement pas habituée à ne pas me courir comme une folle. Mon rythme de vie est actif et il m’a toujours plu ainsi. Mais c’est lorsque j’arrête enfin, que je suis enfermée ici dans cet émission, que je me rends compte à quel point je suis constamment en action. Je n’échangerais rien de cette vie qui me plait tant, mais cela fait un bien fou de pouvoir m’arrêter et de prendre un peu de temps pour moi. Par contre, par ordre de contradiction, j’en viens aussi à m’ennuyer de mes journées si chargées. Soupirant faiblement, j’ai bien conscience que je ne pourrai pas m’endormir dans les prochaines minutes, ni même les prochaines heures. J’ai terminé de lutter pour trouver le sommeil. Ce qui est bien, c’est que demain après-midi, je pourrai toujours faire une sieste et personne ne pourra me déranger lors de celle-ci. Enfin, j’espère. Doucement, je m’extirpe du lit, prenant soin de replacer la couette sur les épaules de ma partenaire avant de rendre à l’extérieur de la chambre. Je ne sais pas exactement où aller, comme si la grandeur de la maison en venait à me donner le tournis. Je crois que j’ai simplement besoin de prendre l’air. Marian disait toujours qu’il faisait du bien de s’aérer le cerveau. Ce qui est particulièrement ironique venant d’elle. Je grimpe donc jusqu’à la terrasse, me disant que tant qu’à sortir dehors, j’allais pouvoir admirer la vue que nous avions sur L.A. Par contre, je ne m’attendais pas particulièrement à avoir de la compagnie à cette heure de la nuit. Pourtant, ce doit bien être un classique de ce genre d’émission. Deux candidats, souffrant d’insomnie, se retrouve sur la terrasse du toit. Ouais, vraiment cliché. « Je dois avouer que j’avais la ferme impression que je serais la seule sur ce toit. » Mes yeux fixent Sayid malgré l’obscurité alors que j’avance tranquillement en sa direction pour venir prendre place à ses côtés. J’aurais certainement pu me déplacer vers un autre fauteuil et le laisser à sa solitude, mais ce n’est pas vraiment dans mon caractère d’agir ainsi. Et puis, qui sait, peut-être qu’il ressentira le besoin de parler. Et je serons donc présente pour lui. Je ramène mes cheveux d’un seul côté, tournant la tête en la direction du candidat. « Je crois que c’est le moment parfait pour parler de soi et de nos démons intérieurs qui nous empêchent de fermer l’œil, tu ne trouves pas? » La situation se prête très bien à cela. Pas que j’ai particulièrement envie de parler de moi, mais tant qu’à être ici. « Et mon petit doigt me dit que tu meurs d’envie de te confier. » Il a tellement une tête à ça… Pas vraiment en fait.

Il ne savait pas vraiment combien de temps il tiendrait ainsi, avec si peu de sommeil. Une journée ou deux passait encore, mais il n'avait plus vingt ans et plus que ça cela commençait à chiffrer un peu. Un peu trop, à en juger par les cernes qui commençaient à se creuser sous ses yeux rougis par la fatigue. Il n'arrivait pas à fermer l’œil pourtant, il avait pris l'air en fin de soirée en espérant que cela l'aiderait à trouver le sommeil mais après une heure à fixer le plafond de la suite Elvis il avait compris que ce serait peine perdue ce soir encore. Soupirant une énième fois comme si cela avait la moindre chance de changer quelque chose au problème il avait abdiqué, et finalement il s'était extirpé de sous la couette en tâchant de ne pas réveiller Claudia, cherchant à tâtons après son jean puis ses prothèses et les enfilant avec habitude, enfilant ses baskets en bâillant, comble ultime du mec épuisé qui ne trouvait pas le sommeil. Il avait trouvé son chemin dans la pénombre, commençant à connaître sans plus de souci les trajets les plus courants à effectuer dans l'hôtel, et hésitant un instant sur le palier de l'escalier entre descendre au jardin et monter sur le toit il avait opté pour la seconde solution, principalement parce que même sans s'y baigner la simple présence de la piscine illuminée la nuit lui paraissait apaisante. Tout comme la légère brise, c'était apaisant aussi, et pour un peu Sayid aurait presque pu se laisser bercer et trouver enfin le sommeil tant désiré ... Mais non, toujours pas. Ça en devenait aussi rageant que ridicule, à ce stade-là. Et voilà que quelqu'un débarquait sur la terrasse, c'était la cerise sur le gâteau de son insomnie, particulièrement lorsque Joey - puisqu'il s'agissait d'elle - avait commenté « Je dois avouer que j’avais la ferme impression que je serais la seule sur ce toit. » Évidemment, il était pour exactement la même raison, la solitude alliée à l'air frais, mais même au beau milieu de la nuit la solitude ressemblait à une denrée rare et inaccessible dans cet hôtel. Sayid était passablement agacé, inutile de se mentir, mais pourtant lorsqu'il avait répondu son ton n'était rien de plus que profondément neutre. Il n'avait pas le courage de se concentrer pour être autre chose que cela, neutre. « C'est ta manière à toi de me demander d'aller prendre l'air ailleurs ? » Parce qu'il était arrivé là le premier, en théorie c'était lui qui avait eu la primeur de l'idée de venir ici, alors ce n'était pas à lui de bouger mais à elle de trouver un autre endroit où ruminer son insomnie. Mais de toute évidence non, ce n'était pas ce qu'elle sous-entendait puisqu'au lieu d'autre chose elle était venue s'asseoir sur le fauteuil à côté du sien. Les choses auraient pu en rester là, Sayid aurait respecté silencieusement un délai raisonnable avant de prendre congé, afin de ne pas donner l'impression qu'il la fuyait elle, et il n'aurait pas eu à faire la conversation, mais Joey en avait semble-t-il décidé autrement « Je crois que c’est le moment parfait pour parler de soi et de nos démons intérieurs qui nous empêchent de fermer l’œil, tu ne trouves pas ? » Il avait arqué un sourcil, et tourné la tête pour poser un regard dubitatif sur la jeune femme. « Et mon petit doigt me dit que tu meurs d’envie de te confier. » Ahah. Parce qu'il n'était pas toujours à même de comprendre l'ironie même lorsqu'elle se voyait comme le nez au milieu de la figure, il n'était pas vraiment capable de dire si oui ou non cette dernière réflexion était faite de manière sérieuse, et au cas où cela s'avérait être le cas il s'était senti obligé de préciser « Ton petit doigt ferait un très mauvais conseiller. » Et puis est-ce que c'était vraiment important, de savoir pour quelle raison il ne parvenait pas à dormir ? Il n'était même pas certain de pouvoir l'expliquer même s'il en avait eu envie, c'était simplement ce genre de sensation qui ne s'expliquait pas. Le genre qui vous retournait un peu l'estomac et vous pesait sur la poitrine. « Je dors peu. » Pas seulement en ce moment, mais de manière générale. Il dormait mal aussi, c'était une vérité générale aidée par un rythme de vie un peu décousu et des douleurs fantômes qui revenaient de temps à autres, par vagues. Pourtant en cherchant une excuse plausible tout ce qu'il avait trouvé c'était « Il y a beaucoup de monde dans la chambre ... je ne suis pas habitué. » Ce n'était pas la raison principale, mais ce n'était pas entièrement un mensonge non plus. Partager son lit avec quelqu'un il pouvait s'y faire du moment qu'il avait un minimum confiance ou pas de trop mauvais pressentiment, mais partager une chambre avec une dizaine de personnes cela allait au dessus de ça. « Mais je t'en prie, j'ai hâte d'en savoir plus sur tes démons intérieurs. » C'était elle qui avait lancé l'idée après tout, non ? « Gigi m'a même appris le principe du câlin, si tu as besoin d'une épaule pour pleurer. » Il était possible, probable même, qu'il ne fasse mention de Gigi que pour amadouer Joey. C'est qu'il ne connaissait pas assez la jeune femme pour l'amadouer autrement, et malgré son ton un peu tranchant il n'avait pas envie qu'elle voit en lui un malotru.

Certainement, la solitude était une denrée rare dans cette maison. Mais j’ose croire que si l’on désire être seul et que l’on supporte bien mal la compagnie d’autrui, on ne vient pas s’enfermer dans une émission de télé-réalité. Cela vient de soi, non? Pourtant, je ne me permettrai pas de juger les motifs de Sayid, puisque je ne les connais pas. Étrangement, je ne m’entendais pas à une autre sorte de réponse de sa part. Vu son ton, on dirait un robot qui a délivré sa réplique toute sa vie. Sans émotion. Je reste capable de percevoir que je le dérange. « Non. C’était ma manière à moi d’émettre ma surprise. » Aucune arrière pensé ne m’était traversé l’esprit. Seulement de la surprise. Et donc, pour prouver que ça présence ne m’importune peu, je viens prendre place à ses côtés. Je crois que je viens de me donner un nouveau défi personnel. Percer la carapace Sayid. Parce qu’il s’agit bien d’une carapace, non? Je tente d’aborder le tout avec une touche d’humour et de légère ironie, puisque j’ai bien compris qu’il n’allait pas se confier facilement. Mon petit doigt est un bien mauvais conseiller. Ah non mais je ne suis pas d’accord! « Mon petit doigt est surtout très sarcastique. » je réponds souriante, levant mon auriculaire fièrement, pour ajouter à la connerie du moment. Je ne m’attendais pas à avoir droit à tous les états d’âme du candidat, mais je ne comprends pas pourquoi il ne pourrait pas s’exprimer sur son manque de sommeil de la soirée. Parce que vous savez, la beauté de la chose de côtoyer toutes sortes de personne ici, c’est de tomber sur des gens bien qui ont une bonne écoute. Mais j’ai le droit à une nouvelle information. Il dort peu. Et ce petit bout de phrase, aussi court soit-il en révèle beaucoup sur une personne où ses habitudes, non? Je reste silencieuse, détectant qu’il est sur le point d’ajouter autre chose. L’excuse facile. « C’est vrai qu’il y a beaucoup de monde. » je réplique, voulant mettre toutes les chances de mon côté pour accéder à une discussion encore plus profonde. Je ne sais précisément ce que le fait de connaître des détails de la vie du candidat m’apportera réellement, mais je tente du mieux que je le peux. Même si le monde ne me dérange pas moi. Je laisse un doux rire franchir mes lèvres, me doutant bien que la question rebondirait. « Si je commence maintenant à te raconter mes démons, on devrait s’en sortir d’ici la fin de l’émission… » Je plaisante. Presque pas. Vaut mieux en rire. Cette expression m’a toujours fait grincer des dents. Le brun parle de Gigi. Ah cette Gigi, elle est sur les lèvres de tous ici. « Si c’est Gigi qui t’as montré, tu dois maintenant être un expert du câlin. Je tenterai peut-être éventuellement. » Bien que l’idée du câlin ne me met pas plus à l’aise qu’il ne le faut. Pas qu’il serait désagréable, je ne peux juger de la technique de Sayid, ou de Gigi, peu importe. Simplement, cela ne me viendrait pas naturellement avec l’homme comme cela arrive pourtant souvent avec d’autres. « Mon cœur de maman est inquiet. Je pense à mes enfants, qui sont entre bonnes mains, mais voilà… C’est plus fort que moi. De m’inquiéter, de me demander s’ils ne manquent de rien… » Et à cette simple idée, mon cœur se serre. La dépendance entre eux et moi est grande. Ils sont tout pour moi. « Tu as des enfants, Sayid? » C’est un point qui m’intéresse, oui.

Il y en avait pour qui la solitude ressemblait à une punition, Sayid lui ne comprenait pas trop comment aux yeux de certaines personnes la solitude pouvait être une tare et le silence une maladie ... Alors que l'association des deux était surtout tellement reposante. Assez pour qu'il ne soit ce soir pas le seul à la rechercher, et s'il prenait la mouche assez facilement pour avoir sans doute mal compris les intentions de Joey en faisant part de sa surprise, c'était en revanche lui qui se sentait un peu stupide lorsqu'elle avait répondu « Non. C’était ma manière à moi d’émettre ma surprise. » lui prouvant ainsi une nouvelle fois qu'il voyait parfois le mal partout. Surtout parce qu'il oubliait qu'ici ce n'était pas comme dehors, qu'ici les gens étaient obligés de faire preuve d'un minimum de gentillesse - aussi hypocrite soit-elle parfois - pour espérer ne pas dégager au bout d'une semaine. Pas qu'il ne pense Joey hypocrite, il ne l'avait pas encore assez fréquentée pour ce faire le moindre avis à son sujet, mais il n'en oubliait pas l'impression qu'il avait eu en arrivant ici : tout était un peu hypocrite, dans ce jeu. Lui y compris. Pas qu'il n'ait la moindre intention de s'épancher à ce sujet ceci dit, et ce malgré la volonté du petit doigt de Joey, dont il n'avait là encore pas compris l'ironie « Mon petit doigt est surtout très sarcastique. » A Sayid maintenant de se sentir vraiment stupide, assez pour préférer ne rien rajouter à cela au risque d'aggraver encore son cas. Il s'était donc contenté de garder le silence et de pincer légèrement ses lèvres tandis que la jeune femme venait prendre place à côté de lui. Qu'elle n'espère pas pourtant persuader Sayid de se montrer plus loquace simplement avec cela, même les raisons pour lesquelles il ne trouvait pas le sommeil il préférait encore les garder pour lui, et pour cette raison il lui avait sorti l'excuse la plus bateau qui soit, qui même si elle n'était pas entièrement un mensonge n'était que peu pertinente également. « C’est vrai qu’il y a beaucoup de monde. » Elle constatait, mais cela ne semblait pas la déranger. Sayid se demandait comment faisaient ces gens qui n'étaient pas gênés par la promiscuité ou l'accumulation de personnes dans un endroit clos comme celui-ci. A lui cela lui donnait le tournis, et cela l'angoissait aussi même si cela il ne l'avouerait pas. « Et ça ne te dérange pas ? » Il n'avait en fin de compte pas pu s'empêcher de poser la question, peut-être en espérant qu'elle l'éclaire à ce sujet, afin qu'il puisse s'en inspirer. Même s'il ne s'agissait que de feindre, pour donner le change. Pour ce qui était de parler de ses démons intérieurs en tout cas, puisqu'elle avait elle-même lancé l'idée il était bien tenté de la laisser commencer, parce que lui ce n'était pas vraiment son truc, ni avec une quasi-inconnue ni avec personne à vrai dire ... Ce n'était simplement pas son truc. Et puis c'était trop difficile, de trouver des mots à mettre sur ses impressions. « Si je commence maintenant à te raconter mes démons, on devrait s’en sortir d’ici la fin de l’émission … » Il avait donc affaire à quelqu'un qui racontait sa vie facilement, et qui peut-être avait des soucis plus profonds qu'elle ne le laissait paraitre. Il ne parlait pas beaucoup mais il apprenait, tout du moins concernant Joey il en apprenait un peu. « Si c’est Gigi qui t’as montré, tu dois maintenant être un expert du câlin. Je tenterai peut-être éventuellement. » Il avait fallu tous les efforts du monde à Sayid pour retenir le grognement qui avait failli s'échapper de ses lèvres, parce que s'il avait lancé l'idée en l'air comme ça, pour tenter de faire la conversation, la vérité c'était que les câlins étaient aussi peu sa tasse de thé que le fait de raconter sa vie. Ce n'était pas quelque chose qui lui venait naturellement, jamais. Quittant des yeux la noirceur du paysage devant eux il avait reporté son attention sur Joey, comme pour la pousser à parler si c'était vraiment ce dont elle avait envie. « Mon cœur de maman est inquiet. Je pense à mes enfants, qui sont entre bonnes mains, mais voilà … C’est plus fort que moi. De m’inquiéter, de me demander s’ils ne manquent de rien … » C'était un peu comme si elle lui parlait chinois. Parce qu'elle devait bien se douter, en le regardant, que les enfants ce n'était pas vraiment son rayon à lui ... « Tu as des enfants, Sayid ? » Ou peut-être pas. Et déglutissant avec hésitation le britannique avait eu un moment de latence, avant de se décider à répondre d'un ton peut-être plus froid qu'il ne le souhaitait « Non. » Laconique, et de nature à laisser penser à Joey qu'il n'avait du coup que faire de ce qu'elle pouvait avoir à dire à propos de ses propres enfants. Et certes, si elle espérait une oreille experte elle ne frappait pas à la bonne porte, mais si elle cherchait juste une oreille et rien d'autre il y avait peut-être moyen qu'il fasse un effort « Tu n'as jamais été séparée d'eux, avant ? » En réalité il était peut-être même intrigué, par ce modèle de la mère qui se souciait de sa progéniture avec intérêt, et que lui avait plus l'habitude d'observer chez ses animaux que chez les personnes qu'il côtoyait. A moins qu'ils aient tous compris que parler de famille avec Sayid revenait à s'engager sur un terrain glissant. « Dis toi que c'est plus difficile pour toi que pour eux. Les enfants ont moins besoin de leurs parents qu'eux ne le pensent. Et puis ils peuvent te voir à la télé. » Sayid manquait cruellement de tact pour ce qui était de réconforter les gens, et à vrai dire il n'avait même pas conscience du fait que ses paroles puissent être tout sauf réconfortantes dans le cas présent. Mais il essayait, et compte tenu du bonhomme c'était déjà beaucoup.