LEO
Je suis affalée dans l'une des canapés. Je croise mes fines chevilles en attendant une inspiration divine, ou une mission à accomplir afin d'occuper mon temps libre. Soudainement, mon asiatique préféré sous acide fait son apparition dans la pièce, pas trop théâtrale par contre, je me demande s'il n'a pas de la fièvre. Je le regarde, presque méfiance pendant une poignée de secondes avant de passer à autre chose. « Léo » je souffle alors de ma voix caressante, en battant avec exagération des cils pour capter son attention. J'incarne Bambi à la perfection je trouve. « Je m'ennuie » je lui fais part de ma voix la plus grave en le regardant comme s'il état le remède à cette maladie étrange qui me touche depuis quelques jours. Depuis le moment où j'ai décidé d'arrêter d'emmerder les autres. En tout cas, je sais que je me tourne vers la bonne personne, Léo adore assommer les autres de paroles, un peu comme moi d'ailleurs, j'imagine que c'est pour cela qu'il fait parti des rares qui ont grâce à mes yeux ici. « Montre-moi comment tu danses » je finis par lui demander, prise d'une inspiration soudaine. « Je vais t'apprendre comme cela tu pourrais toutes les faire tomber à tes pieds » je claironne en me levant soudainement plus animée qu'il y a deux minutes. Parce que oui, la plupart des femmes sont stupides, on esquisse deux pas de danse un peu hésitant, et elles sont sous le charme.  « Enfin, si tu t'abstiens d'ouvrir la bouche, bien sûr » je rajoute parce qu'il a l'habitude de débiter un nombre impressionnant de conneries à la minute, c'est fascinant.

J’ai oublié ma casquette dans la salle de bal et j’viens tout juste de m’en apercevoir. J’y viens que très peu, juste pour me prélasser dans les canapés moelleux et rien d’autre. J’suis pas un danseur et ça peut se voir directement dans ma dégaine. Les sportifs sont en général en meilleure santé que moi et ça s’voit rien qu’à l’œil nu. Avoir changé mon alimentation a beau m’aider à retrouver une santé, mon corps semble avoir abandonné toute notion de saineté, à commencer par mes poumons carbonisés par les collections de clopes que je grille chaque jour. Tranquillement j’entre dans cette salle qui malgré son contexte est plutôt sympa. Maha est apparue entre temps, se plaçant quasi au même endroit où je siégeai quelques poignées de minutes plus tôt. J’repère mon objet, prêt à m’en saisir j’me fais interpeler par la parisienne. « Hm ? » Mes yeux vrillent en sa direction quand la sentence tombe. Elle s’ennuie. Surprenant venant d’elle, je l’aurais imaginé trouver des stratagèmes plus créatifs que l’aveux pour s’occuper. « Tu peux venir ranger mon dressing si t’es vraiment dans la détresse. » C’est de la grande compassion là, puisque Mylah s’occupe que de ses affaires il faut bien que j’trouve quelqu’un pour moi. Quoi que ça m’dérange pas en fait mais c’est plutôt les voisins sur lesquels ça déborde que ça pose problème. En soi je m’en fou mais j’ai pas envie de retrouver mes fringues dans l’jardin m’voyez. J’récupère ma casquette non loin de la jolie brune, la vissant sur ma tête pile au moment où elle émet une requête difficile à réaliser. Moi, danser. C’est assez folklo dans l’genre. « Plutôt sensuellement en fait. » J’commence à me dandiner pour lui offrir une démo, les épaules tentant des trucs en même temps que le bassin. Bref du grand art. A part faire le minimum en boîte la danse ça m’connait pas trop. C’est tellement flag que même Maha la grande prêtresse veut m’enseigner quelques pas… attendez quoi ?! Ah elle a p’tete prévu de m’embrocher avec un escarpin en douce ou un truc du genre. « Merci c’est adorable t’es vraiment pas obligée. Tu sais à la campagne, j’veux dire en dehors de Paris, on a pas besoin d’ça. » J’adresse un sourire cordial à la petite parisienne qui m’fait face avant de le perdre immédiatement. « En fait j’dois subir tes instructions, la difficulté d’aligner un pied devant l’autre et tout ça en la fermant ? C’est difficile c’que tu m’demandes là j’espère que tu t’en rends bien compte. » Je l’accuse du regard, un sourcil légèrement rehaussé par rapport à l’autre. Bon allez. « Vas-y j’suis prêt. » Me redressant un peu l’air presque blasé, j’me sens prêt à affronter l’épreuve ultime : la danse.

Leo me propose de ranger son dressing. J'affiche une moue presque désabusée parce qu'il sait pertinemment que cela n'arrivera jamais quoi ! « Ah non, je ne le fais que pour mon partenaire » je mens mesquine en souriant, lui rappelant sa faute de ne pas avoir utilisé son précieux ticket d'or. Oui, j'aurai été une partenaire aux petits soins avec lui, qu'on se le dise. Je me demande à quel moment réellement mon niveau de crédibilité a frôlé celui de la mer. Leo met sa casquette et tente de me montrer. J'attends un instant en espérant qu'il se foute de ma gueule, mais non, c'est malheureusement bien réel. « Ce n'est pas sensuel, tu fais peur » je me moque gentiment en le regardant, fronçant rapidement les sourcils lorsqu'il continue pendant quelques secondes. Il me répond. « Et si un jour une fille a pitié et décide de t'emmener à un gala ou je sais pas moi. Tu comptes simplement servir d'accessoire à son bras ? » j'exagère à peine. Ce n'est pas parce que c'est un campagnard qu'il ne doit pas savoir avec classe et distinction. Finalement, il accepte de se plier à l'exercice, je ne comprends pas à quel moment, il a pu penser qu'il avait le choix, en fait. « Cette dictature, je te jure » j'ironise alors en roulant des billes, oui, je suis un monstre avec lui, complètement. J'opte pour la valse en trois temps. « On va commencer par la posture, pour que tu fasses au moins illusion » je l'informe. Je tourne autour de lui pour mettre ses bras à la bonne hauteur. Le bout de mes doigts tapotent son dos pour qu'il se redresse parce que son dos est courbé. Il se voûte. Je finis par revenir lui faire face, l'observant, figé, c'est un peu ridicule, j'avoue. Je glisse une main dans la sienne et je fais en sorte que l'autre atterrisse au niveau du haut de mon dos. « Je sais que tu es honoré » je lâche avec une certaine prétention, un rictus narquois sur mes prunelles. Aller, je plaisante, c'est bon. « Je t'autorise à regarder tes pieds pour m'épargner » je concède alors parce que je sens que Léo ne sera pas doué, alors je préfère prévenir et éviter à mes pieds délicats de mourir sur le coup.

Maha s’ennuie donc j’lui offre en toute sympathie une activité ludique et utile ce qui est de nos jours plutôt rare. Pourtant elle refuse. La raison me ferait presque regretter ma principale erreur de début de parcours si je n’avais pas su à quel point elle est loin d’être vraie. Bien qu’en soi j’ai pas besoin de ça pour regretter tout court. « Comme tu es dévouée. » Tout autant que moi à la danse d’ailleurs. J’lui fais un petit show qui est, j’en ai parfaitement conscience, ridicule. A la base j’suis le genre de type qui se contente du minimum quand y a vraiment besoin et qui reste au bar le reste du temps car j’me sens clairement mieux le cul posé sur un tabouret à boire une bière plutôt qu’à aligner des pas sur le dancefloor ; si on peut vraiment appeler ça des pas. Bref selon Maha je fais peur et ça n’a rien d’étonnant, moi-même j’sais pas trop de quoi j’ai eu l’air sur ce coup là. « Ce serait déjà pas mal entre le costume et l’attitude ça fait déjà beaucoup de choses à maîtriser. » J’ironise parce que je m’imagine pas du tout dans le genre de gala qu’évoque Maha. Je ne suis pas fait pour ce genre de choses même si, admettons, quelqu’un m’y invite un jour. Dans ce cas-là un costume de pingouin et un comportement digne d’une personne bien élevée seront déjà assez dur comme ça à maintenir toute une soirée alors si en plus on y ajoute de la danse… Pourtant j’abdique et je la laisse m’enseigner son savoir. Ravi de jouer la poupée pour Maha, vraiment. « Parfois on en est pas loin. » Ca me fait doucement sourire parce que Maha c’est un numéro dans l’genre parisienne qui se donne des allures de grande prêtresse. J’sais même pas ce qu’elle compte m’enseigner comme danse mais quoi qu’elle dise j’saurais pas de quoi elle parle ou du moins mon idée n’en sera que trop vague pour que je visualise vraiment la chose. Mais bon. « Et qu’est-ce que tu m’enseignes là ? » Ca m’intéresse quand même, que je sache dire ce que j’ai appris à faire une fois à l’extérieur quoi. J’me laisse guider, comprenant quand même la posture qu’elle souhaite obtenir. Ca a tout l’air d’une valse mais comme tout se ressemble je suis même pas sûr d’avoir bon. Le regard planté dans le sien un rictus moqueur traverse mon visage. « Je devrais ? » Au final je sais même pas à qui j’ai à faire. Si elle sait danser ce genre de truc elle doit pas venir de n’importe où… c’est pas l’genre de danse qu’on apprend pour le plaisir, si ? « J’suis sûr de pouvoir y arriver sans trop t’abîmer. » J’préfère quand même suivre son conseil pour éviter la casse. Ils sont en place c’est bon. Remontant mon regard dans celui de Maha je tente de garder la posture. « Ca en jette là déjà ou pas ? Non parce que j’ai l’impression d’être pire que constipé comme si j’étais dans le corps de Mylah quoi. » C’est pas forcément agréable donc j’voudrais savoir si je passe déjà la première étape ou pas.

Je préfère prendre le compliment de Léo au premier degré, j'ai une écoute sélective et une interprétation bien à moi. Je lui offre un sourire radieux, me faisant passer pour une sombre idiote. « Gekko me le dit souvent » je confirme alors avec des battements de cils à la Bambi. Enfin, c'est ce qu'il dirait s'il pouvait faire marcher correctement son cerveau j'imagine. J'extrapole pas, je suppose simplement. J'engueule vite fait Leo parce qu'il ne sait pas danser et que cela ne le perturbe pas plus que cela, je fais simplement cela pour l'emmerder, mais je suis sûre que Gigi serait d'accord avec moi, aucun doute. Leo continue à se plaindre, j'écarte ses contestations d'un geste impérieux de la main, sans trop en prendre compte. « Et dis-toi que toi, tu es dans mes bonnes grâces, alors imagine les autres » je lui dis pour qu'il prenne conscience de la chance qu'il a, de côtoyer ma lumineuse personne sans trop de contraintes finalement. Il devrait s'estimer heureux. Même honoré quoi. «La réponse est trop évidente pour que tu la dises, on va se contenter de cela » je laisse entendre en souriant, absolument pas perturbée. Il me demande de qualifier le résultat. Euh, c'est encore tôt pour se prononcer pour le moment. « Magnifique » je ronronne alors pour ne pas qu'il ne se rende compte qu'il a l'air ridicule, mais c'est normal, on passe par une phase d'apprentissage. Alors, j'estime que je lui mens pour son bien et voilà, il va faire avec. Il évoque pour la première fois Mylah, et je me retiens de rire, par solidarité féminine bien évidemment. « Elle est coincée ? » je demande soudainement en me disant qu'il annonce bien cela pour une raison.  « Ce n'est pas cool de balancer sur son partenaire tu sais » je sifflote rapidement ironiquement parce qu'il est de nature publique je suis allergique au mien, de partenaire. Je n'essaie même plus de lutter ou de faire des efforts parce que cela me coûte. « Tu lui dois fidélité, dévotion et tout ce bordel »  je lui lance, moqueuse, bien évidemment.

Maha dévouée c’est déjà une blague en soi donc Maha dévouée à Gekko… on frise la crise de rire. C’est tellement abstrait que j’arrive même pas à m’imaginer ce genre de chose sortir de la bouche du candidat. « On dirait pas comme ça. C’est un grand cachotier. » J’aime bien ce terme ça l’infantilise tellement alors que le mec se trimballe en costard cravate à longueur de journée. Il faudra que j’lui demande ce qu’il est venu foutre ici un de ces quatre. Remarque ça c’est un détail que j’ignore de la plupart des candidats, même Maha j’sais pas pourquoi elle est là. Et pourquoi elle est là à m’faire un cours de danse ça je le sais encore moins. J’ai accepté sans trop de méfiance mais j’aurais dû me douter qu’avec elle ce serait à la baguette. « Ca m’fait tout de suite me sentir chanceux. J’aurais de quoi aller m’vanter auprès des autres maintenant. » Combien de candidats rêveraient d’être à ma place ? Tous bien entendu. Blague à part j’aimerais quand même savoir ce que je m’apprête à réaliser, pour ma propre connaissance quoi. Selon Maha c’est évident, si ça l’est tant que ça j’me sens d’humeur à le prononcer par simple esprit de contradiction. « J’considère que c’est une valse alors. » Je tente de me concentrer sur la position qu’elle me force à tenir et j’ai plus l’impression d’avoir l’air d’un épouvantail que d’un mec avec de l’allure. J’réajuste mon port de tête et tout de suite j’me sens beaucoup plus classe, reste plus qu’à Maha de le confirmer. Son commentaire est beaucoup trop positif pour qu’il soit pleinement sincère et ne cache pas quelque chose mais je m’en contenterais puisque j’ai pas trop l’choix en fait. L’une de mes mains est maintenant verrouillée dans celle de Maha tandis que l’autre se pose dans son dos. Je tente de la tenir à plat mais mon poing risque de se refermer sur son gilet sous peu pour me rattraper d’une chute certaine. « Je dirais que c’est le mot qui la définit le mieux pour l’instant. Les autres font partit du même champ lexical… et oui, j’emploie aussi ce genre de mots parfois. » Qu’elle tire pas sa tête d’étonnée parce que je me souviens de la qualification d’un ensemble de synonymes même si moi aussi j’me surprend quand j’emploi ce terme. J’me contente d’un regard qui lui exprime le fond de ma pensée lorsqu’elle me sort une morale sur la solidarité entre partenaires. J’attends limite qu’elle se corrige elle-même parce que là ça se passe de mots. Ce qu’elle rajoute m’arrache un rire. « Commence déjà par respecter ces principes on verra pour moi après. Bon, tu me montres ? Même si t’aimes torturer les gens je vais pas tenir longtemps comme ça. » J’ai pas l’habitude de me tenir comme ça, c’est tellement contre nature que ça m’demande un effort qu’elle doit même pas estimer à sa juste valeur.