SAYID & @AGATA
jeudi 9 avril - 10:53

La chaleur de la matinée ne rivalisait toujours pas avec ce dont il avait l’habitude à Kinshasa, il en était même presque déçu tant il avait entendu de part et d’autre que la Californie faisait envie aux autres États américains pour son climat agréable. Pour autant il ne faisait pas mauvais non plus, preuve en était que le britannique s'était contenté d’un tee-shirt et avait même chaussé ses lunettes de soleil pour mettre le nez dehors, car en bon londonien qui se respectait il était tout sauf frileux. D’ordinaire lorsqu’il avait besoin de prendre l’air il allait faire un tour en forêt mais aujourd'hui il n’avait pas envie, et s'était contenté de marcher sans trop savoir dans quel but. Sans y réfléchir il avait atterri près du terrain de tennis, endroit qu’il ne fréquentait pour ainsi dire jamais, puisque pour des raisons évidentes le tennis ne faisait pas partie des choses qu’il pouvait pratiquer. Pas qu’il en ait envie, de toute manière. Agata en revanche semblait comme un poisson dans l’eau face au lanceur de balle, et Sayid avait observé un moment accoudé à la rambarde qui entourait le terrain, sans que l’on sache trop si c’était le jeu de la jeune femme ou la jeune femme elle-même qui l'intéressait le plus, et tandis qu’elle s'arrêtait enfin il avait lancé une question qui n’en était pas vraiment une « Tu joues souvent ? » parce qu’il était pratiquement certain que la réponse à cette question était positive, elle se débrouillait trop bien pour qu’il en soit autrement. Et dans un sens Sayid n’avait pas vraiment de quoi être étonné maintenant qu’il savait à peu près quel était le milieu social de la jeune femme. « J’ai entendu dire que c’était ton anniversaire. » à vrai dire il avait entendu le partenaire d’Agata en discuter la veille avec il ne savait plus qui, ce n’était pas important, sans quoi il n’aurait jamais été au courant. Surtout quand on savait l’importance qu’accordait Sayid aux anniversaires, c’est à dire presque aucune. « Je ne sais pas si tu le fêtes, mais dans le doute, bon anniversaire. » Elle n’obtiendrait rien de plus que cela de sa part, pas de ballon, de gâteau ou de cadeau, qu’il le lui souhaite était déjà un effort qu’il faisait, en s'éloignant de son principe voulant que l’anniversaire soit un jour comme les autres.

Même du temps où il en aurait eu la possibilité le tennis n’était pas un sport qui intéressait beaucoup Sayid. C’était pourtant le genre de trucs qui auraient pu avoir sa préférence, ce n’était ni un sport de contact ni véritablement un sport d'équipe au sens premier du terme, deux des rebutoirs principaux du britannique face à  la pratique de certains sports. Et même à regarder, ce n’était jamais quelque chose qui l’avait rendu curieux. Pourtant il était là et il observait Agata avec intérêt, sans trop savoir pourquoi. Mais le temps avait fini par lui paraître assez long pour qu’il n’en vienne à engager lui-même la conversation, fait rare. « Oui je joue assez souvent, j’essaie d’en faire deux fois par semaine. Ici je joue peut-être quatre fois. » Au moins une qui avait trouvé efficacement comment occuper ses longues heures d’ennui. Sayid lui cherchait encore, à vrai dire. « Ton boulot ne te manque pas trop ? » Il se trompait peut-être au fond, simplement à la manière dont la jeune femme lui avait présenté ce qu’elle faisait dans la vie la dernière fois il en avait conclu qu’elle était du genre bourreau de travail. Pas que ce soit un reproche, lui aussi vivait pour son boulot ... littéralement, puisqu’il vivait sur son lieu de travail. Changeant de sujet sans prévenir, pratique habituelle chez lui, il s'était senti obligé de lui souhaiter son anniversaire parce qu’il n’était pas socialement acceptable de ne pas le faire quand on en avait connaissance, et qu’Agata appartenait sans nul doute à la catégorie des gens socialement convenables eux aussi. « Oh, on est déjà le 9 ? » Il semblerait bien, oui. « Merci à toi, c’est gentil. J’ai l’impression qu’il n’y a pas si longtemps que ça j’avais encore vingt-cinq ans. » Il ne savait pas trop comment interpréter le ton d’Agata, si c’était un regret dissimulé ou bien simplement une constatation sur le temps qui passait. Le fait que le temps passe n’était pas toujours un mal selon lui, mais enfin il voyait cela avec ses yeux d’homme qui ne retrouverait ses jeunes années pour rien au monde. « La Agata de vingt-cinq ans était déjà la même que celle d'aujourd'hui ? » Si elle ne voyait pas la différence c’était possible. Et puis il ne savait pas quel âge elle avait, mais ses vingt-cinq ans ne devaient pas être si loin que ça. « J’imagine que je ne dois pas compter sur toi pour me faire un gâteau. » Il avait été pris au dépourvu, par l’expression sur le visage de la jeune femme peut-être même encore plus que par sa réflexion, et voyant sans doute l'hésitation et le manque de réaction dont il faisait preuve elle avait du se sentir obligée de préciser « Je plaisante. » Elle plaisantait. Bien sûr, et une fois encore Sayid avait presque envie de se gifler. C’était tout de même problématique qu'après autant de temps et de pratique il ne parvienne toujours pas à déceler l’ironie là où pour d’autres elle devait être flagrante. « Oh. Oui, je sais. » Menteur. Et il aggravait son cas en niant l'évidence même, c’était peut-être le pire. « Tu ne fêtes pas ton anniversaire toi ? » Il ne savait pas comment elle en était arrivé à cette conclusion, il faisait son possible pour déduire tout ce qu’il pouvait des réponses des autres mais il n’avait pas toujours conscience du fait qu’il pouvait en être de même avec lui. Néanmoins il ne voyait pas l’intérêt de nier, aussi il avait secoué doucement la tête « Je n’aime pas ça. C’est un jour comme un autre. » Il n’aimait pas cela parce qu’il avait horreur d’être le centre de l’attention pour quelque raison que ce soit, cela avait tendance à le mettre mal à l’aise et à réveiller ses angoisses. Et puis c’était une fête de famille dans un certain sens, chose dont Sayid considérait ne plus être pourvu. « Mes collègues ne comprenaient pas non plus, mais maintenant ils ont retenu la leçon. » La réaction de Sayid la première fois les avait persuadés de ne pas renouveler l'expérience, surtout. « Tu trouves ça bizarre ? » Il ne saurait pas trop dire pourquoi elle posait la question, il ne changerait pas subitement d’avis si elle lui répondait oui. Mais il essayerait sans doute de trouver une meilleure justification à la chose, une justification qui entrerait dans les standards d’Agata.

Il avait cette vision forcément une peu surfaite de ce que pouvait être une journée de boulot lorsque l'on était quelqu'un comme Agata, quelqu'un d'important, quelqu'un qui avait sans doute toujours mille choses à faire, mille personnes à voir. Il imaginait la jeune femme se détachant mal de son rythme de vie et pour cette raison il peinait à comprendre réellement comme elle en était arrivée à venir ici, dans cette émission. Il était d'autant plus surpris par sa réponse « Non pas trop, ça fait du bien de faire une pause de temps en temps. » parce que lui ne vivait pas du tout la chose de cette manière, contre toute attente. Mais Sayid ne se contentait pas de vivre pour son boulot, il était son boulot, du moment où il ouvrait un œil le matin au moment où il trouvait le sommeil le soir, et même entre cela puisque comme ses collègues il dormait avec un talkie-walkie sur sa table de nuit. Une précaution supplémentaire depuis la dernière intrusion de braconniers dans la réserve, en pleine nuit. « Je suppose. » Il supposait en effet, que faire une pause puisse lui être bénéfique à elle si elle vivait à cent à l'heure, et si elle se sentait capable de prendre le recul nécessaire pour y parvenir. Lui savait qu'il n'y parviendrait pas à sa place, c'était déjà presque une torture de se retrouver ici et d'être à des milliers de kilomètres de ses animaux, de ses habitudes. Agata ne semblait à côté de ça pas faire attention au temps qui passait, n'ayant même pas fait attention d'abord à quel jour ils étaient, et assurant ne pas avoir vu le temps passer depuis ses vingt-cinq ans, comme si elle n'avait pas changé, depuis « Exactement la même, je ne pense pas avoir changé en six ans. » Est-ce que c'était une bonne ou une mauvaise chose ? Il n'en savait rien, cela dépendait de chaque personne probablement ... Si  Agata était déjà satisfaite de ce qu'elle était à vingt-cinq ans il n'y avait pas non plus véritablement de raison à vouloir changer. Il ne faudrait en tout cas pas compter sur Sayid, aujourd'hui, pour lui préparer une fête d'anniversaire surprise ou même un gâteau orné de bougies ... Elle s'en lamentait avec amusement, le britannique assurant avoir compris qu'elle plaisantait quand en réalité il n'en était rien « J’ai connu bien meilleurs menteurs que toi, il va falloir que tu fasses des progrès de ce côté-là. » Pinçant ses lèvres, honteux d'avoir été ainsi pris sur le fait, il hésitait entre continuer de nier et aggraver son cas, ou admettre simplement sa bêtise. « Je ne mens pas toujours aussi mal. » S'était-il en fin de compte contenté d'assurer, parce qu'en réalité chez Sayid le mensonge se situait surtout là où on ne l'attendait pas. Néanmoins rassuré par l'air engageant de la jeune femme il n'avait rien ajouté de plus, se contentant de baisser les yeux le sol tandis qu'il était maintenant question de lui et de son choix de ne pas fêter son anniversaire, chose à laquelle même ses collègues ne se risquaient plus « Je peux savoir ce que tu leur as fait ou ça ne me regarde pas ? » Il avait grimacé légèrement, se contentant de répondre « Ils ont simplement eu un aperçu de ce que je suis dans mes mauvais jours. » sans intention de donner plus de détails que cela. Mais cela ne répondait sans doute pas à la question d'Agata, et parce que la tradition des anniversaire était séculaire il était même fort possible qu'elle trouve son refus de s'y plier un peu bizarre « Non je ne trouve pas ça bizarre, triste plutôt. C’est aussi un moment pour retrouver les personnes que l’on aime. Mais c’est ton choix, et s’il te convient alors tant mieux. » Le plus triste restait peut-être de se rendre compte, dans certains cas, que l'on n'avait pas grand monde avec qui le fêter ... ou envie de le fêter, simplement. Et Sayid s'épargnait au moins cette constatation annuelle. « Je peux te demander pourquoi tu es parti au Congo ? » Ça en revanche elle pouvait, bien que la réponse ne soit du point de vue de Sayid pas spécialement intéressante. Le travail ce n'était jamais une explication palpitante, du moins Sayid aurait du mal à la dépeindre ainsi à quelqu'un qui ne partageait pas son attachement et son intérêt pour les animaux qu'il étudiait « Pendant mes études je travaillais comme stagiaire au zoo de Londres. J'ai fait quelques stages à l'étranger, aussi, mais toujours dans des zoo ... et à force j'ai fini par comprendre que c'était pas ce que je voulais. Ce dont j'avais envie c'était de voir les animaux là où ils sont le mieux, en liberté. » Il ne crachait pas sur les zoo pour autant, certains défenseurs des animaux dénonçaient la captivité mais les zoo permettaient de continuer à faire vivre des espèces qui dans la nature auraient fini par disparaitre, parce que l'extinction faisait partie du développement des espèces. « Et je voulais être utile. Une personne de plus ou de moins, dans un zoo, elle ne fait pas la différence. Là où je travaille, oui. » C'était peut-être égoïste, comme explication, mais Sayid n'était de toute façon pas du genre à ne pas assumer son égoïsme, ainsi que ses autres défauts. Et puis c'était un terrain d'étude privilégié, de pouvoir observer ces gorilles habitués à la présence et à l'interaction avec l'homme, mais pourtant attachés à leur indépendance et à leur vie en pleine nature.