Lula

Ayant accaparé l'un des canapés du salon en y posant mes deux grosses Dr. Martens noirs directement sur le cuir, sans même éprouver la moindre gêne, j'étais étendu de tout mon long en me prélassant tranquillement. La pièce était toute à moi en ce dimanche soir, les autres candidats ayant improvisé une petite fête alcoolisée ou quelque chose dans ce goût là je ne savais trop où. Fidèle à moi-même, j'avais préféré m'isoler pour passer une soirée calme, plutôt que d'avoir à supporter toutes ces mondanités. J'avais pris soin d'arranger les environs pour mes propres petites fantaisies, disposant selon mes envies les coussins, de manière à pouvoir me détendre sereinement et j'avais également installé à mes côtés une table improvisée à base de vieilles bandes dessinés, surplombée par une tasse de thé vert, maintenant froide. La jolie Lula débarqua dans le salon et, sourcils haussés, je la regardais avancer par dessus ma vieille édition de DC Comics sur Superman, dénichée dans la bibliothèque du nid. « T'as vu ? je me met à jour ... » dis-je, en soulevant légèrement ma bande-dessinée pour qu'elle puisse en admirer la couverture, en référence à notre brève discussion à propos de celles-ci quelques jours plutôt. Me relevant légèrement, pour me retrouver en une position assise, qui était un tant soit peu acceptable dans un canapé. Tapotant celui-ci, je lui adressai un léger sourire en coin.

Ce fut une Lula bancale, un lourd plateau coincé entre ses deux petites mains, qui vint caler son postérieur à mes côtés. Machinalement, je m'étais légèrement décalé pour accueillir la jeune femme sur le canapé en lui accordant une place un tant soit peut acceptable pour "la reine de la semaine" comme elle avait été sacrée lors du prime, bien que l'espace offert ne sembla pas être nécessaire. Je lui jetai un petit coup d'œil bref, alors qu'elle regardait par-dessus mon épaule les dessins résumant les aventures de Superman. « Je savais que j'avais une bonne influence sur toi, au final. » Je levai les yeux au ciel, avant d'ajouter en ricanant : « Alors là, totalement. M'inciter à risquer de finir aussi désarticulé qu'un Kermit vieillissant sur un trottoir irlandais et troquer mes antiquités datant de Mary Shelley pour les abdos de Hulk, c'est une sacré influence que tu as là ! » m'amusai-je gentiment. Un rire sincère s'échappa de ma gorge en voyant la tasse de café fumante que j'avais amplement mérité à mes yeux, présentée d'une manière glorieuse par l'habitante. «Tiens, j'honore ma parole. » « Et j'en suis honoré, très chère. » Saisissant mon trophée symbolique non sans une certaine fierté qu'à moitié feinte, je ris silencieusement, avant de regarder avec curiosité le carnet que Lula tenait entre ses mains, s'apprêtant à y noter, dessiner ou faire je ne sais quoi avec. Ne sachant à quoi m'attendre, elle aurait commencé à faire de l'origami avec les feuilles jaunies que je me serais posé toujours autant de questions. « Tu es quoi, au juste ? Une artiste torturée en quête d'inspiration ? Parce que sincèrement, je me demande ce qu'une fille comme toi fais dans ce genre d'émission ... » la questionnai-je, fixant mes iris dans les siens, quelque peu intrigué.

Je trinquai joyeusement ma tasse de café contre le truc bourré de chantilly de Lula, en prenant garde à ne pas faire passer de liquide brûlant par-dessus les rebords. Je ne savais pas si c'était une si bonne idée que ça de boire un café qui était bien évidemment encombré de caféine, si tard dans la soirée. Malgré tout, je décidai de prendre le risque de garder les yeux ouverts durant toute la nuit, considérant que c'était mon devoir de siroter cette boisson de la victoire, que j'avais grandement mérité, bien évidemment. « Une fille comme moi... Et selon le vaillant Óskar, c'est quoi une fille comme moi ?... Parce que très sincèrement, tu me sembles tout aussi atypique dans ce contexte. » J'haussai les épaules, un léger sourire au coin des lèvres. Lula me ressemblait un peu ... Ou du moins c'est ce que j'en avais naïvement déduit de nos quelques dernières discussions et que je persistais à croire. « Tu as vu comment ils étaient tous habillé pour le prime ? Robe du style "salsa de jambon de parme" et tenue de pseudo gigolo ... Je sais pas, tu ne collais pas vraiment au paysage » me justifiai-je en haussant une nouvelle fois les épaules. Je ne savais pas vraiment comment qualifier ce que m'inspirait la candidate, si bien que je décidai de répondre à une question que j'avais considéré comme implicite au sujet de ma présence dans Fake Lover. « La faim justifie les moyens. Et puis ... ». Je me penchai dans sa direction, afin de lui confier dans un murmure: « Je suis en thérapie. » Lui souriant mystérieusement, je me relevai en en profitant pour chiper une touche de crème chantilly du bout de l'index, directement dans sa tasse. Savourant goulûment et malicieusement celle-ci, je désignai d'un coup de tête le carnet, avant de reprendre: « C'est pour quoi, ça ? Avoues, tu veux dessiner mon beau minois. »

Comme pour illustrer les propos de la demoiselle, je posai négligemment mes deux énormes chaussures sur la table-basse, avec un naturel déconcertant. Certes, celles-ci pouvaient jurer au milieu des tenues tès "bon chic bon genre" des autres candidats, néanmoins, sur le nombre de propriétaires de Dr. Martens que pouvait compter le monde, je ne faisais pas si extravagant que ça. Je possédais le simple modèle noir classique, alors qu'il en existait dans une multitude de déclinaisons: couleur zèbre, rose métallique, décoré du drapeau d'Angleterre... Bref, mes chers colocataires pouvaient s'estimer heureux de ne pas être tombés sur bien plus hors normes que moi. « Quel genre de thérapie pourrais-tu t'imposer... Allez sois mignon, donne moi un indice. Voire la réponse d'ailleurs. » Comme je l'avais prévu, ma phrase avait attisée la curiosité de la jeune femme. Un sourire se dessina sur mon visage, qui évolua rapidement en éclat de rire, face au manège de Lula, qui se souhaitait attendrissante et adorable. « Tu as déjà obtenu un buzz gratuit, je ne vais pas non plus te mâcher le travail ... » Je lui lançai un nouveau regard malicieux. Parler de thérapie était déjà un indice en soit, je ne voyais pas comment faire mieux sans me compromettre plus que je le faisais déjà. Partant du principe que si j'étais dans un jeu télévisé c'était pour jouer, ça ne me dérangeait pas tant que ça d'aider les autres dans leurs investigations, en particulier quand "les autres" était Lula. « Wow, tu as loupé une grande carrière, on dirait que tu as fait ça toute ta vie. » Doigt encore enfourné dans la bouche, j'arquai l'un de mes sourcils, comprenant sans grande difficulté à quel genre de profession elle pensait. Une lueur presque perverse au fond des yeux, je répondis en me faisant le plus sérieux du monde: « Pourtant c'était pas les propositions qui manquaient ! Dis-moi, tu as l'œil pour ces choses là. Une vrai experte ... » Je ris doucement, en la regardant s'obstiner à manger sa montagne de crème chantilly d'une manière décente. « Tu préfères dessiner les lapins nains ? » me moquai-je gentiment, bien que je comprenais parfaitement ce qu'elle voulait dire à propos de dessiner des modèles. Il suffisait de se promener dans une rue touristique pour constater que ceux qui posaient pour des caricatures étaient plus souvent insatisfait par les résultats que le contraire. J'écoutai silencieusement ce que m'expliquait Lula quant à l'utilisation de ces fameux carnets. J'arquai de nouveau un de mes sourcils, avant de me faire rappeler à l'ordre: « ...ne fais pas cette tête. » J'hochai de la tête en même temps qu'elle terminait sa phrase. Me laissant quelques secondes de réflexions, je finis par déclarer: « En faite, tu es relativement masochiste comme fille... A moins que tu ne rêveS de poney roses pour aller avec les lapins nains , ... » Je lui lançai un regard taquin. « Pour ma part, je ne préfère pas me rappeler de ce que mon subconscient endure pendant la nuit ... » confiai-je en haussant à mon tour les épaules. Malheureusement pour moi, ce dont je me souvenais relevait plus souvent du cauchemard que du rêve ... Finalement, la technique de l'habitante n'était peut-être pas si mal que ça: se souvenir de tout pour retenir le meilleur ...

Les doigts de la jeune femme glissèrent le long des lignes colorées qui se mêlaient les unes aux autres sur mon bras, me procurant un bref frisson que je ne pouvais que qualifier d'agréable. Un sourire satisfait brava mes lèvres en entendant l'habitante avouer qu'elle n'avait pas l'habitude de ne pas être totalement fixée sur une personne. « Si tu me le permets, je préfère avoir la quasi-exclusivité dans le domaine du "rendant perplexe Lula". C'est très jouissif. » ajoutai-je avec un léger regard suggestif, alors que je virai ses doigts d'une petite pichnette. Je l'écoutai, avec une certaine fascination, me dresser une plus ou moins apologie de l'anti-anthropocentrisme. Ma mère avait suivit un cursus sur l'histoire de l'art quand je n'étais encore qu'un gamin, si bien que même si je n'étais pas un grand expert, certaines notions continuaient à persister au fond de moi, à force d'avoir grandit au milieu d'oeuvres picturales. Ne sachant pas vraiment quel argument donner pour poursuivre cette discussion sur les formes de l'art, j'haussai à mon tour les épaules, me passant de faire le malin en ajoutant tout commentaire, pour une fois, et je la questionnai implicitement, yeux brillants d'une pointe de curiosité: « Tu es donc bel et bien une artiste torturée. Les influences révèlent souvent beaucoup sur une personne ... ». J'haussai les sourcils, en attente d'une réponse, tout en passant mes bras derrière ma nuque d'un air décontracté. « Quel genre de rêve atroce peux-tu bien faire pour ne pas vouloir t'en rappeler ? ». Sentant les iris de la demoiselle plonger dans les miens, je soutins son regard pendant quelques secondes, juste avant de détourner les yeux, commencant déjà à chercher un moyen de me dérober à la question. « Je plaisantais, en réalité je rêve de Scarlett Johansson, Megan Fox et Lula de Fake Lover, je te laisse deviner ce qui s'y passe... » mentis-je, sans même essayer de jouer le jeu pour paraître dire la vérité, en lui adressant un sourire mutin.