Si retrouver du confort est agréable, la chose qui n’a pas de prix c’est surtout de retrouver mes paquets de clopes –qui eux ont un prix bien réel. J’étais en sérieux manque de nicotine, tout le monde commençait à être à court la semaine passée et ça devenait un calvaire de trouver une âme charitable. Là je peux m’en donner à cœur joie. Paquet en main me voilà partie pour la clope digestive. Je distingue une masse de cheveux bouclés que je reconnais comme étant celle de Clotaire. En fait ce mec me suit partout. C’est simple j’ai l’impression de tout le temps l’avoir dans mon champ de vision, que ce soit au prime d’introduction, dans la cellule, au prime de dimanche dernier, dans la chambre ou … bah partout en général. Ah il m’obnubile ! « Elle est comment ? » je le questionne d’emblée en arrivant à son niveau, coinçant un bâton de tabac entre mes lèvres afin d’y porter la flamme du briquet avec plus d’aisance. Le premier jet de goudron injecté dans mes poumons m’arrache une légère grimace, comme d’habitude. « Ta femme je veux dire. » Ce sujet m’intéresse, j’étais déjà curieuse lorsqu’il m’en avait parlé la semaine passée mais je le suis d’autant plus que j’ai vu son profil défiler dimanche soir.

Un vrai jardin, ça change des murs affreusement gris de la semaine dernière. Je pense que je vais avoir besoin d'une semaine complète pour comprendre le changement de lieu et surtout oublier les lieux de la semaine dernière. C'est fou comment ça m'a secoué, merde. Mais là, je respire tranquillement, les mains dans les poches et je profite juste d'un bon temps qui va se faire rare, je le sens. Je capte près de moi Salomée qui allume une clope. Je respire plus fort, pour m'imprégner de l'odeur. En fait, c'était peut-être ça le problème de la semaine dernière, je n'en avais pas allumé une seule, alors que dieu seul sait que ma consommation frise l'absurdité en temps normal. Alors comme en position automatique, je me rapproche de la belle et je m'allume machinalement une clope moi aussi. Ca fait du bien. J'expire une bonne bouffée de fumée et un petit sourire tranquille me vient aux lèvres. Puis je lève les yeux vers Salomée quand elle me pose sa question. Je ne comprends pas tout de suite, jusqu'à ce qu'elle précise. " ah ouai, Lou. " Je ne réponds pas tout de suite, essayant de former une réponse cohérente dans mon cerveau. C'est toujours difficile pour moi de décrire Lou parce que ça implique donner les limites et les principes de ma relatin avec elle, et c'est toujours compliqué de les exposer à quelqu'un qui ne nous a jamais vu ensemble, évoluer ensemble. " Elle est brune, elle a des yeux sombres et elle joue la séductrice tout feu tout flamme. " J'ai les yeux dans le vague, je dois être ridicule de tendresse tout à coup, mais tant pis. " en fait, elle est insupportable. " j'ai un sourire en coin en me disant que j'aimerais bien que ces paroles atteignent ses oreilles, ça pourrait être drôle. Je l'imagine déjà vouloir m'égorger.

Clotaire tombe à pic. Encore une fois. Depuis le début je le sens : ça va être mon pote. Non en fait ça y est, c’est mon pote. Je l’ai décrété depuis le premier jour lorsque je n’avais personne à qui me rattacher et qu’on s’est retrouvés dans la même équipe par le plus grand des hasards. D’ailleurs on est toujours dans la même équipe mais ça, c’est un détail qui n’a plus grande importance. Je lui parle de sa copine et le mec a l’air de s’en battre les couilles, un peu comme si j’étais en train de lui parler de la colonie de roux qui nous a envahi. « Lou. » ma voix résonne comme un écho sournois, un sourire narquois répandu sur mon visage. Ca m’aide à imprégner de répéter. Sa description est un peu vague mais je crois que j’arrive à m’imaginer à quel genre de fille Clotaire peut s’intéresser. Ca me fait rire, dans sa formulation j’arrive à percevoir l’affection qu’il lui porte. C’est mignon. Jusqu’à ce qu’elle dise qu’elle est insupportable en fait. « Quoi ? » je laisse échapper par étonnement avant d’extirper à nouveau un petit rire. « Elle a l’air plutôt cool. » Pas ennuyante en tout cas, c’est limite si j’aimerais pas la rencontrer. « Je me doutais bien que t’étais un facile à vivre. En fait Lino avait raison. » J’hausse les épaules en référence au bilan peu flatteur de notre ancien leader. Lui aussi est toujours dans notre équipe d’ailleurs. Bref. En parlant de ça. « Au fait c’est sympa ce que t’as dit dimanche. Ca m’a touchée. Mais j’espère que ça sous-entend pas que je t’emmerde toi aussi sinon crois bien que je te l’enfonce entre les deux yeux. » Je le menace en désignant ma cigarette. Je crois qu’on a assez d’un indien en ces lieux, pas besoin de deux.

Je sors un peu de ma bulle de tendresse quand Salomée rebondit sur mes propos. Et ça me fait sourire tout à coup, parce que je vois bien que je n'arriverai jamais à décrire Lou, parce qu'elle est trop de chose pour moi, des choses qu'on ne peut pas dire sans tout déformer, et que ça impliquerait de dévoiler trop de choses tout à coup, alors même qu'on ne se connait pas si bien. Mais l'image que doit se faire Salomée de ma femme me plait plutôt bien, même si elle est sommaire. " oui, je suis sûr que vous vous entendriez bien, en plus. " Elles ne se ressemblent pas tant que ça, mais je connais assez bien ma Lou pour savoir exactement ce qu'elle apprécie chez quelqu'un d'autre, et elle serait peut-être un peu distante avant d'entendre les quelques remarques bien sarcastiques que cette jolie fille peut sortir, et là elle fonderait, un grand sourire aux lèvres, et des répliques plein la bouche. Ce serait effrayant de les mettre dans la même pièce, en fait. " Lino est surtout un pur connard, oui. " je marmonne dans ma barbe, pas trop sûr de vouloir afficher tout de suite mes inimitiés alors que je connais à peine ce type. Il a encore le bénéfice du doute mais il va devoir se montrer particulièrement amusant pour se rattraper. J'ai du mal à avaler d'être un type à ses yeux aussi peu important. Bof, en somme. Insignifiant. Merde, quoi. " mais tu es insupportable, c'est ce qui fait ton charme, voyons. admets-le. " je me protège déjà le visage, ma cigarette comme arme.

Sa copine a l’air funky. Etrangement e n’aurais pas pu définir moi-même son type de femme, il a l’air d’être le genre de personne qui sait s’adapter à tout profil. Son expérience de barman sûrement, puisque Monsieur aime rester des heures à écouter ses clients geindre des flots de paroles alcoolisées. J’esquisse un sourire lorsqu’il évoque le fait qu’on puisse s’entendre. Sa description était courte mais elle m’a plu alors pourquoi pas. Enfin peu importe ce n’est pas comme si j’allais rencontrer la fameuse Lou un jour. Je laisse échapper un rire, amusée par le piquant avec lequel il a rebondit sur ma réflexion par rapport à Lino. Il n’a pas l’air d’avoir digéré le bilan de leur ancien leader. « C’est bon on s’en fou de son avis. » Je tente de le rassurer pour qu’il passe à autre chose. C’est nul d’accorder autant de crédit à l’avis d’un mec qui ne le connait même pas. Cela dit si ça le taraude vraiment j’ai une alternative sympa. « Si tu veux on ira retourner son lit et on mettra ça sur le dos du troublemaker et de son petit chien. Il faut bien honorer nos statuts après tout. » J’hausse les épaules tandis qu’un sourire narquois apparait progressivement sur mes lèvres. Il sera content d’avoir eu raison en plus, Lino. En plus il m’a paru sympa au premier abord, obnubilé par la victoire comme moi, mais ça ne fait pas tout. Je crois que Clotaire aussi veut passer dans le camp des personnes décevantes, là. Mes yeux s’écarquillent, un sourire amusé trônant malgré tout sur mon visage. Je ne suis pas insupportable d’abord. A défaut de le cramer avec ma clope et d’abimer son visage enfantin je lui frappe son biceps de crevette avec le semblant de force que j’ai. « Attention à tes propos Clotaire.» je lui balance ça comme un avertissement, comme si j’avais un quelconque pouvoir. Il me faut un argument, vite ! « Je te signale qu’on dort dans la même chambre. » Ca vaut bien le coup de scander à qui veut l’entendre que je ne suis pas une timbrée de plus à participer à ce jeu si c’est pour m’inventer un profil de psychopathe. « D’ailleurs ça se passe bien avec Enola ? » Je suis blasée de pas être tombée sur un mec comme lui, au moins ça aurait été fun. M’enfin ce n’est que le début, il faudrait aussi que j’y mette du mien.

Je vois se former sur son visage ce sourire narquois et j'y réponds presque instantanément par un sourire en coin, qui brille de malice et d'un brin d'insolence. Un peu comme si je n'avais jamais arrêté d'être ce type en cours qui est capable de répondre à son prof et de faire des crasses par derrière juste pour le plaisir de montrer qu'on pouvait le faire et que c'était amusant. Effectivement, je n'ai jamais arrêté d'être ce gamin là, c'en est presque exaspérant, en fin de compte. Mais j'avoue que la proposition de Salomée est plus qu'alléchante dans ce contexte, et si elle y tient vraiment, je suis même prêt à faire pire, juste pour voir la tête de ce mec se décomposer. Je vais finir par croire que je suis susceptible et qu'en plus je suis rancunier. Mais c'est faux. Je crois avoir mal vécu le fait d'être jugé aussi insignifiant, un peu discret et gentil, ce que je ne suis pas et ne veux pas être, merde. " mais t'en as des bonnes idées, dis donc, ma belle. chiche de le faire. " Je lui sers un petit clin d'oeil gratuit avant de bien rire quand elle s'offusque de mes paroles sur elle. Mais qu'elle est mignonne. Comme si je pouvais avoir peur d'elle, voyons, soyons réalistes deux secondes. " et ? tu vas me sauter dessus c'est ça ? " j'ai failli ajouter 'coquine' mais ça faisait un peu trop tout à coup. On n'est pas assez proche pour que ces paroles passent bien dans la conversation sans m'afficher comme le type franchement bizarre et déplacé. Ce que je suis. " ça se passe bien avec elle, elle est très cool. et jolie. " je lève un sourcil bien graveleux, gratuit celui l) aussi. Je ris pour montrer que je ne suis pas totalement sérieux, mais tout de même, elle est très jolie. " et toi alors avec ce prince charmant ? " ironie.

Je suis surprise de constater que Clotaire est partant pour aller mettre Lino en rogne, ou tout du moins essayer. Qu’il soit rancunier est une chose mais il est plutôt surprenant comme garçon. C’est vrai que la première semaine je l’ai un peu catalogué de gentil malléable, il ne m’avait pas l’air difficile et pas imposant, un peu le genre de mec à bien s’entendre avec tout le monde sans trop grincher. Pourtant à chaque fois que je discute avec lui j’ai l’impression de me rendre compte à quel point il cache bien son jeu. Son allure ne représente pas du tout ce qu’il est, du moins c’est ce que le peu d’infos que j’ai sur lui m’indiquent. Je lui adresse un sourire à sa réponse, renchérissant. « Chiche. C’est parfait. » Il n’y a plus qu’à se caler un petit moment, disons celui où la victime s’y attendra le moins. Suite à ça Clotaire me défie donc je le frappe, normal. Je suis obligée de passer aux grandes menaces pour lui faire peur puisque je n’ai pas envie de parler pour rien et d’entacher la crédibilité de mes mots. « Tout de suite. Non. J’ai mes secrets bien gardés. » Je trouverai une idée d’ici là. Tirant une taffe, je le questionne un peu à propos de sa partenaire avec qui tout à l’air de bien se passer. Je laisse échapper un rire lorsque son sourcil exprime mille et un sous-entendus. « Elle a l’air ouais, c’est cool. » que je constate à mon tour avant de m’injecter une nouvelle fois du goudron dans les poumons. Bah tiens, passons donc au mien de partenaire. Il est comique. Je laisse entendre un « Ah-ah. » de mauvaise fois avant d’ajouter « C’est le prince charmant d’une autre. » sur un ton désolé, effectivement je suis vraiment désolée pour moi-même de ne pas être tombée sur LE mec qui me correspondrait. Et comme si Cupidon ne se plaisait déjà pas à former des paires de candidats de façon aléatoire il faut en plus qu’il actionne sa musique. Ca j’ai retenu, il faut s’embrasser. C’est tellement racoleur. « Oh c’est casse-couille. » Je soupire saoulée. Pile quand on parlait de sa fiancée, c’est vraiment mal venu et de mauvais goût. « C’est gênant, j’espère que Lou ne m’en voudra pas. » J’ai pas envie de me prendre une sanction, pas déjà, alors je m’active et je pose rapidement mes lèvres sur celles de Clotaire. Pas besoin d’épilogue, c’est bref mais fait.