DION

Ce soir là, j'avais décidé de me rendre à l’extérieur, pour profiter des joies de la chaleur, il est clair qu'en cette période, en France, il ne devait plus faire si chaud que ça, heureusement ici, le climat était totalement différent. Oui, il fallait en profiter d'autant plus que notre retour à la réalité se ferait certainement des plus brusques. M'étirant de tout mon long, je réussissais tant bien que mal à me dégager du transat sur lequel j'étais allongé depuis quelques bonnes minutes avant d'aller, d'un pas lent, jusqu'au banc faisant face à la cascade. C'était un décors totalement incroyable, presque irréel en y repensant. Jamais je ne pensais avoir l'occasion de profiter d'une chute d'eau comme celle ci, surtout pas là où j'habitais. J'avais d'ailleurs passé plusieurs minutes à la contempler avant d'emprunter le petit chemin menant à son bassin un peu plus bas. L'eau était glacée, je le savais puisque j'y avais fait un tour quelques temps plus tôt, je n'allais donc pas risquer à m'y aller, je n'aimais pas être enrhumé, personne d'ailleurs. D'autant plus que j'étais du genre plutôt fragile niveau santé. Attrapant un cailloux, je le faisais sauter quelque peu entre ma paume pour en jauger le poids avant de le jeter à plat contre la surface de l'eau, faisant trois ricochets.

Je m’étais levé assez tard ce matin, si bien que j’étais en pleine forme ce soir-là. Ne trouvant personne à qui parler dans la villa, sauf quelques uns qui étaient déjà en grande conversation les uns avec les autres, je décidais de sortir. La nuit était fraiche mais pas froide, et le léger vent venant de l’océan était atrocement agréable. Profitant du beau temps qui régnait en ces lieux, je me baladais à l’extérieur, contemplant avec émerveillement le panorama qui s’offrait à nous. Cette fois-ci je ne me rendis pas à la plage, alors que c’était mon lieu de prédilection, préférant visiter les endroits que je n’avais pas encore vus. J’explorais ainsi le jardin, me rassasiant de sa somptuosité. Je fus tout à coup saisi par l’image d’une cascade. Je me penchais pour admirer la chute de l’eau, lorsque je vis une personne en contre bas. Je plissais les yeux pour l’identifier, mais rien à faire, il faisait trop sombre. Je descendis donc jusqu’au bassin. J’y trouvais alors Alix qui faisait des ricoches avec un caillou. Je sifflais. « Waouh ! Mon père a toujours été très déçu de mon absence de talent en ricochet. » Je m’avançais jusqu’à lui, me postant à ses côtés, regardant vers le bassin. « Tu vas finir par croire que je n’ai aucun talent. » Je me tournais vers lui, lui faisant un sourire, signifiant par là que l’idée en elle-même ne me dérangeait pas. Enfin ... un peu quand même.

Trois ricochets ce n'était pas grand chose, d'ailleurs je m'étais toujours demandé quel était l'homme qui en avait fait le plus, marquant de ce fait un recors. J'avais appris cela sans l'aide personne, au lac du quartier lorsque j'étais gamin, rien de bien exceptionnel en soit, c'était à mes yeux un geste tout à fait naturel -que de tirer dans l'eau avec des cailloux, quitte à tuer quelqu'un au passage. Finalement j'entendis un bruit derrière moi. Me retournant, une silhouette sortie de l’obscurité, c'était Dion, qui s'était finalement avancé à mes côtés. « Waouh ! Mon père a toujours été très déçu de mon absence de talent en ricochet. Tu vas finir par croire que je n’ai aucun talent. » un sourire écorcha mon visage à ces dernières paroles « Si tu veux, je veux bien faire de toi mon apprenti. » dis-je en fixant l'eau quelques secondes avant de reposer mon regard sur le jeune homme « Je sais, ne me remercie pas. Haha. » Finalement, je m'accroupissais pour attraper un cailloux qui me semblait plat « Plus ils sont plats, plus tu as de chance de réussir, attends j'vais te montrer. » dis-je en passant derrière le jeune homme, saisissant délicatement son poignet pour y déposer le cailloux au creux. J'étais plus grand que Dion de quelques centimètres ce qui me permettait de pouvoir avoir une vue sur l'étendue d'eau « Et maintenant, tu jettes le caillou comme si tu voulais érafler l'eau, le plus près et le plus à plat possible. » un sourire enfantin se dessina sur mes lèvres.

J’espérais ne pas le déranger, certaines personnes de calme, de silence, de solitude, parfois. Je ne faisais pas partie de ces gens-là, mais je pouvais comprendre – avec difficulté certes – que certains en aient besoin. Je fus content qu’il ne me rejette, et qu’au contraire il m’invite à rester avec lui implicitement. « Vraiment ? » J’avais un grand sourire aux lèvres. Je lui donnais un petit coup de coude alors qu’il complétait sa phrase. J’allais d’ailleurs le remercier, simplement pour lui montrer mon enthousiasme, mais je n’en avais plus besoin maintenant qu’il m’avait devancé. Je le regardais avec attention prendre un caillou, déterminé à apprendre. Il fallait bien que j’y arrive un jour quand même ! Je me laissais faire, refermant mes doigts sur le caillou qu’il mit dans ma paume. Je me mordillais les lèvres. Je m’attendais déjà à être quelque peu humilié. Mais ce n’était pas grave, de toute façon Alix n’était pas le genre de personne à se moquer méchamment. « Mouai … Ca a l’air simple dit comme ça … » Je me concentrais, fronçant les sourcils. Je lançais le caillou en essayant de lui donner la trajectoire qu’Alix m’avait expliqué, et je réussis à faire un ricocher. Je me tournais vers lui, et lui déposais un bisou sur la joue. « J’ai le meilleur professeur au monde ! » Et ensuite, je songeais que lui avait fait avec facilité trois ricochets. Je grimaçai, conscient de ma nullité. « Bon, ce n’est qu’un début, hein, mais c’est mieux que rien … »

« Vraiment ? » me demanda le jeune homme en un sourire. Il semblait conquis par cette idée, ce qui me fit bien entendu plaisir. Finalement, après lui avoir montré comment s'y prendre, le jeune homme émit quelques doutes quand à ses capacités à réussir « Mouai … Ca a l’air simple dit comme ça … » un sourire se dessina sur mon visage, le truc, c'est que ça l'était. Bon je ne dis pas non plus que c'était la chose la plus aisée du monde, mais j'avais déjà connu bien pire. Finalement, je m'écartais du jeune homme, reculant de quelques pas pour qu'il puisse envoyer son caillou, qui s'écrasa sur la surface de l'eau, créant un ricochet. Le jeune homme réagit presque aussitôt. Pivotant sur lui même il déposa un baiser sur ma joue « J’ai le meilleur professeur au monde ! » dit-il avant de se reprendre « Bon, ce n’est qu’un début, hein, mais c’est mieux que rien … » un léger rire s'échappa de mes lèvres, il était tellement enfantin qu'il en était totalement craquant « Ca viendra en pratiquant. » le rassurais-je en me plaçant à ses côtés avant de lui sourire « De toute façon ce n'est pas comme si c'était la chose la plus importante du monde, d'ailleurs je suis certain que ça n'existe même pas, comme sport olympique. » cette pensée me fit quelque peu rire. « Ou du moins, je l'espère, sinon ils seraient tombé bien bas. J’imagine les bodybuilder se concentrer caillou en main pour le lancer de toutes leurs forces dans la marre. Ce serait quelque peu pitoyable. » dis-je en reposant les yeux sur le jeune homme en un sourire « Mais tout de même bien amusant ! »

Il était vraiment gentil. N’importe qui se serait moquer de moi et avec raison en plus. Mais lui me rassurait et je lui en étais reconnaissant. Je riais imaginant très bien les joueurs de ricochet aux jeux olympiques, avec leur mine grave, leurs gestes précis, et la concentration féroce qui se peignait sur leur visage. C’était atrocement hilarant. Et en même temps, pourquoi pas, hein ? C’était un sport pas du tout dangereux, que tout le monde pouvait pratiquer … « Oui, très amusant même ! » Je me penchais, prenais un autre caillou qui me ressemblait à celui qui m’avait donné, et réitérais l’expérience. Encore une fois il ne fit qu’un ricochet, mais je n’en espérais pas plus. Je me laissais tomber sur le sol. « Je crois que je ne suis pas assez patient pour pratiquer jusqu’à atteindre des résultats. » Et puis, de toute façon, j’étais résigné à ne pas y arriver. Sûrement que ce pessimisme ne me ressemblait pas, mais c’était surtout par paresse. Oui, j’étais assez paresseux quand les choses ne me tenaient pas vraiment à cœur. Je tapotais la place à côté de moi, les yeux rivés vers lui. « On a l’impression que tu es un géant vu d’ici. » C’était pour le pousser à venir s’asseoir à côté de moi.

« Oui, très amusant même ! » me répondit le jeune homme tout en lançant à nouveau un caillou sur la surface de l'eau, faisant de ce fait le même score que précédemment. « Je crois que je ne suis pas assez patient pour pratiquer jusqu’à atteindre des résultats. » un sourire écorcha mon visage. Je n'avais jamais été quelqu'un de très patient non plus, et je manquais parfois cruellement de tact, une association qui se révélait bien souvent dévastatrice. Finalement, Dion choisit de s'assoir à même le sol, tapotant de sa paume la place qui se trouvait à ses côtés tout en reprenant la parole. « On a l’impression que tu es un géant vu d’ici. » un sourire aux lèvres, je posais un instant mon regard sur le sol avant de rejoindre le jeune homme. Géant ? Je ne l'étais pas. Ou du moins il me semblait fait la même taille qu'à peu près tous les hommes de cette terre. « Dis Dion... » commençais-je sur un ton tout à fait grave, involontairement « J'ai envie de t'embrasser. » bon. Là on ne pouvait pas autant dire les choses plus directement. Disant ceci d'une façon tout à fait naturelle, mon regard s'était perdu dans les quelques remous que créait la cascade. Celle ci s'écrasait en un sourd bruit sur le bassin, créant des jets qui pouvait parfois avoir une taille phénoménale. Finalement, je tournais la tête en direction du jeune homme, déposant mon regard dans le sien.

Je tournais la tête vers lui alors qu’il s’asseyait près de moi. J’étais bien là, le bruit de la cascade en arrière fond, à côté de lui, sous la lune. C’était vraiment une nuit agréable. Je le regardais avec curiosité alors qu’il prononçait mon prénom. Il avait l’air d’avoir quelque chose d’important à dire avec cet air sérieux. La suite me surprit grandement. Je ne m’y attendais pas. J’avais les yeux écarquillés, et une légère rougeur prit place sur mes joues. Au fond, je n’étais pas contre, mais voilà, j’avais la sale habitude de me faire des films, et ce qui finalement était simple, devenait atrocement compliqué dans ma tête. C’était juste un baiser après tout, pas besoin qu’il y ait de signification derrière. Lorsqu’il tourna son visage vers le mien, je n’essayais même d’interpréter son expression faciale qui me semblait impénétrable. Je prenais sur moi, arrêtant d’agir comme une fillette qui n’a jamais embrassé personne. « Euh … si tu veux … tu peux … » Je me mordillais les lèvres, vraiment pas à l’aise dans cette situation, mais pas non plus contre l’idée. J’étais même friand de ce genre de contact en temps normal, mais d’habitude je savais exactement pourquoi la personne le voulait : soit juste comme marque d’amitié, soit pour plus. Mais là, je ne savais pas. Bon, je me doutais que ce n’était qu’une envie passagère.

Je savais que cela allait surprendre le jeune homme, une telle annonce ne pouvait que le surprendre, oui. Il faut dire que je n'avais clairement jamais été monsieur tact et que ces paroles aux allures plutôt sèches n'étaient au final que le fruit de mes désirs, aussi étranges puissent-ils être. Il semblait réellement gêné, essayant pourtant de prétendre le contraire. Lorsque mes yeux se posèrent dans les siens, un léger rouge teinta ses joues. Je n'arrivais à penser à rien, ce qui était tout aussi perturbant que la situation en elle même, concentrant uniquement mon regard sur ses lèvres qui s'ouvrirent pour articuler quelques paroles « Euh … si tu veux … tu peux … » le voulait-il vraiment ? J'en doutais, mais au final peut être que tout cela n'était qu'un gêne, mais là encore, j'en doutais. Alors, glissant délicatement ma main dans la sienne, d'un geste tout à fait candide et enfantin, j'approchais mon visage du sien en un sourire qui se voulait rassurant. Je ne savais pas réellement comment cela allait être, ni même ce que j'allais pouvoir ressentir, non, tout n'était qu'un essai, une envie soudaine. Mes lèvres se déposèrent chastement sur les siennes, choses que je n'aurais jamais imaginé en rencontrant le jeune homme, ni même en arrivant dans cette aventure. Un frisson parcourut alors mon corps alors que nos langues dansaient pendant quelque seconde un ballet des plus délicats. Finalement, je me retirai tout en ouvrant grand les yeux, ne quittant pas le jeune homme du regard « Je... suis désolé si je t'ai mis mal à l'aise. » et je l'étais, réellement. Mes pensées se mirent à fuser dans tous les sens, créant un brouhaha absolu dans mon crâne, oubliant de ce fait que ma main était toujours glissée dans la sienne.

J’essayais de contrôler mon malaise, de ne pas paniquer pour si peu, d’arrêter de me faire des films plus bizarres les uns que les autres. Je ne me savais pas aussi nerveux, en fait je me rendais compte à quel point je pouvais m’angoisser tout seul comme un grand, et c’était pitoyable. Je le laissais donc faire, totalement amorphe, attendant la suite, me demandant d’ailleurs si suite il devait y avoir. Je réussis à mettre de côté toutes mes pensées effrayantes de côté lorsque ses lèvres se posèrent sur les miennes et que le baiser s’approfondit quelques instants. C’était agréable. Et finalement, pas si effrayant que ça. Si bien que lorsqu’il s’excusa, la main toujours dans la mienne, mon premier réflexe fut de lui sourire simplement et de resserrer sa main. Je déposais un petit baiser sur ses lèvres, sans signification. « C’est rien, j’ai l’habitude de me faire des films tout seul, et de paniquer … En fait, c’est juste que … Bah je me demande pourquoi tu voulais m’embrasser … » Je détournais mon regard de son visage me plongeant dans la contemplation de la cascade. Il n’était pas obligé de me répondre, évidemment, même si j’étais avide de savoir. Et puis, s’il n’y avait pas d’explication, ce n’était pas un souci non plus. En fait, ce serait même mieux.