ARIANA

Je marche dans les couloirs en traînant les pieds sur le magnifique parquet en bois ou encore le sol en marbre de la demeure, comme si j'étais chez moi et non dans un château gigantesque, remplit d'une multitude de caméras qui n'ont de cesse de nous scruter jour après jour. A croire que j'ai réellement adopté le nid d'amour, malgré son nom quelque peu ridicule. D'un autre côté, entre plage et studio de musique, c'est loin d'être compliqué d'apprécier les lieux qui m'entourent. J'entre d'un pas lent dans le somptuaire du coin, la vaste cave à vin réunissant certains des plus grands crus, et hume l'odeur de cuir qui se dégage des fauteuils. Je referme la porte doucement et avec délicatesse, comme si j'avais peur de déranger le calme paisible qui règne dans la pièce si sereine. M'avançant à la hauteur d'étagères bien garnies, je laisse glisser le bout de mon index sur les bouchons tournés dans ma direction avec ravissement. Je tire une bouteille, puis une seconde pour en juger les étiquettes. Manifestement, je veux bien emménager ici à vie. Des pas viennent résonner dans le sous-sol, m'obligeant à tourner la tête pour jauger l'individu tout de boucles brunes affublé qui fait son entrée. Elle a quoi ? Guère plus d'une vingtaine d'années ? J'ai l'impression d'être si vieille parfois, bien que je sois encore loin d'être l'aînée de mes paires dans l'émission. Je retourne mon attention sur la multitude de bouteilles qui me font face, avant de déclarer un léger sourire aux bords des lèvres: « A ton âge, j'aurais été capable de me prendre une cuite avec un Château Latour 1988... » Je me demande même si cette opportunité ne s'est pas réellement déjà déroulée dans ma vie. Entourée de la jeunesse doré parisienne pendant mes études, j'avais jouis de certains scénarios de la sorte. « Tu bois ? » je la questionne en attrapant une nouvelle bouteille.

« Tu ne fais plus ça maintenant ? » Un léger sourire se dessine sur mes lèvres: « J'étais idiote et égoïste à dix-huit ans. Puis j'ai mûri, pris conscience de ce qui m'entourait. » je lui réponds d'un air pensif, tandis que j'étudis l'étiquette de la bouteille. Je ne crois pas m'être débarassée de mes défauts. Ils ont davantage tendance à persister tel de la mauvaise herbe, mais quand je repense à mon comportement lorsque j'étais majeur, il y a de quoi être rassurée. On ne faisait pas plus égocentrique que moi à l'époque. Elle décline mon invitation à prendre un verre. Je lui lance un regard un brin surpris, avant qu'elle ne poursuive: « Merci mais je ne bois jamais. » J'aurais dû être ce genre de fille. Mes parents en auraient été ravis, bien que je considère que je suis ce que je suis par l'éducation qu'ils m'ont donné. Trop laxiste. Trop absente. « Même pas un blanc ? » j'avance, pour être sûre. Le vin blanc, c'est bien le genre de boisson que prennent les institutrices ou ce genre de nanas bien sous tout rapport qui ne touchent qu'occasionellement à l'alcool. J'apporte ma trouvail jusqu'au comptoir en bois, sur lequel se trouve un tire-bouchon délaissé par la dernière descente que se sont fait d'autres candidats. « Il y a des bonnes bouteilles ? »[/i] J'esquisse un nouveau sourire. « Plutôt, oui. Mon grand-père se passionait pour l'oenologie, il aurait adoré flâner entre ses murs. Il a bien essayé de m'y initier, mais on peut dire que je faisais une bien piètre élève à l'époque. » Je lève la tête dans la direction de la jeune femme, la regardant avec intérêt. « Pour une non-buveuse, tu choisis très étrangement tes lieux de fréquentation. »

« Quelque chose a été à l’origine de ta prise de conscience ? » Je réfléchis, stoppant toute action pour me plonger dans mes pensées. La logique voudrait que je réponde positivement, mais très sincèrement, rien ne me vient. Aucune histoire dramatique à la clé, je fais partie de ces chanceux sans nom qui n'ont jamais eu à répondre de leurs actes. Une sorte d'intouchable du destin, en fait. « Même pas un blanc. » J'arque un sourcil, lui jetant un regard inquisiteur en biais. La première chose qui vient à l'esprit lorsqu'une personne se refuse à toute goutte d'alcool, c'est une éventuelle addiction passée. A moins qu'elle soit tout simplement de ses personnes au régime outrageusement sains. « Je pense que c’est le genre de choses que l’on acquiert avec l’âge. » J'acquiesce d'un bref signe de la tête, tandis que j'ouvre la bouteille d'une main d'experte, extirpant le bouton en liège d'un seul coup. « Je trouve aussi. Il y a des moments où on se dit que l’alcool aiderait bien. Mais comme je suis raisonnable, je ne fais que la moitié du chemin vers cet endroit béni dénué de tous soucis. » Je l'observe une énième fois avec intérêt, tout en cherchant l'endroit où sont planqués les verres à pieds. « Mais je peux tout à fait boire par procuration, si tu acceptes le rôle. » Je ris doucement, avant de reprendre sourire aux lèvres: « Ne me tente pas trop, sinon tu seras obligée de me traîner jusqu'à mon lit et ça ne risque pas d'être une tâche aisée vu le nombre de marches qu'il y a dans l'escalier. » Je supporte assez bien l'alcool par force d'habitude, mais pas au point de m'enfiler une double ration de vin incroyablement cher, pour aller le rendre dans les toilettes quelques heures plus tard. Je sais apprécier la qualité. « Je m'appelle Aria par ailleurs. » me dit-elle, si bien que je me sens obligée de lui donner mon nom. Adieu anonymat si précieux dans le nid si je finis complètement ivre suite à cette excursion. « Anouck. » Je verse le liquide bordeaux dans un verre, avant de porter celui-ci à mes lèvres. Bon. Même délicieux. « En venant à Fake Lover, je m'attendais plus à trouver des mélanges scabreux d'alcool fort, pas ça... » dis-je d'un air satisfaite. « Tu viens d'où ? »

« Je pense que je pourrais consentir à t’aider à grimper cette montagne. Mais avec un peu de chance je pourrais te convaincre de rester dormir ici quand tu auras bu toute la bouteille ! » Ou peut-être pas. Je deviens rapidement butée comme fille lorsque je suis ivre. Je me crois dotée de mes capacités intellectuelles et physiques normales, ce qui donne des discours improbables, mais également des décisions étranges telles que celle de courir avec un gramme d'alcool dans le sang ou d'autres choses qu'il vaudrait mieux éviter. « Peut-être que certains ont mélangés le vin à la vodka, on ne sait pas ! » Je plisse le nez d'une mine écoeurée. J'espère bien que non, ça serait un réel sacrilège de mélanger une bonne bouteille de rouge avec de l'alcool à quarante degré. Je bois lentement une nouvelle petite gorgée du liquide sombre, yeux dans le vague tandis que je me prête au jeu de l'analyse du goût de celui-ci, comme le font les grands connaisseurs. Oui, non finalement je suis meilleure buveuse, qu'experte de l'oenologie, c'est indéniable. « D’une banlieue de Dublin. Et toi ? » me répond-elle. J'ai donc affaire à une véritable irlandaise... L'émission a beau l'être également, je pense qu'on relève sûrement beaucoup plus d'étrangers que de personnes originaires du pays. J'ai l'impression que Fake Lover a beaucoup plus de succès en France au sujet des candidats à recruter. « J'habite à Paris » dis-je, ce qui s'avère être un parfait exemple de mes réflexions intérieures. « Si tu devais choisir un des garçons pour t’accompagner sur une île déserte ce serait lequel ? » Je lui lance un regard curieux, on ne peut pas dire que ce soit le genre de questions que l'on me pose tous les jours. Je n'ai ainsi pas la moindre réponse pré-fabriquée à lui servir, si bien que je prends le temps de peser le pour et le contre au sujet des divers prétendants au rôle. Loxias ? Non, vu le tour qu'a pris notre dernière conversation, il vaut mieux que j'évite de l'emmener sur une île abandonnée ou la musique de Cupidon nous empêcherait de nous entretuer suite à une discussion à propos de la politique. Mon partenaire Marvel, alors ? Peut-être, mais sa façon de prendre toute la place dans le lit conjugal commence à me taper sérieusement sur le système, même si en théorie, une plage de sable blanc reste atrocement gigantesque pour deux. « Je suis loin de connaître tous les candidats sur le bout des doigts, mais je pense que je prendrai Hamad. Je suis sûre que je ne m'ennuyerais pas à ses côtés... » Je lui sers un regard équivoque sur le genre d'activités que je pourrais partager avec le magnifique Syrien, avant de reprendre d'un air interrogateur: « Et de ton côté ? »