J’aurais pas du boire autant, je crois. Dans la tête de quelqu’un d’autre cette phrase entrainerait toute une autre suite de phrases tournant autour du champ lexical de la beuverie et de la gueule de bois. Sauf que dans ma tête, rien de tout ça n’est cohérent. Quand je dis que j’ai trop bu, je veux simplement dire que j’ai trop bu, et la conséquence directe n’est autre qu’une furieuse envie de pisser, et la flemme monumentale qui me pousse à tester l’endurance de ma vessie. Je ne sais pas quelle heure il est, mais clairement pas celle de se lever. J’ai les paupières lourdes, l’haleine chaude, et les membres gourds. Autant d’indices plus ou moins directs sur l’heure précoce du jour. C’est ma vessie qui m’a réveillé, et c’est elle qui me tient éveillé. Je tente de me rendormir, plaquant mon bas ventre contre le matelas dans une feinte purement inutile, mais rien n’y fait, ça fait bien vingt minutes que je tourne. Il est hors de question que je me lève, que ce soit bien clair ! Hors de question que je sorte de sous ma couette chaude, tandis qu’il fait si froid dehors, hors de question que je me tape les trois bornes conduisant aux toilettes, surtout pas lorsque mon jean se trouve si loin de moi. Alors je me tourne, je teste la position foetale, puis celle de l’étoile de mer... Rien à faire. Je me lève. Je jette un regard noir à ma bouteille d’eau qui me nargue depuis le sol, puis tire doucement l’édredon coincé sous le bras de Sive. Il lui en reste deux, je ne la vole pas, mais celui-ci, j’en ai besoin. Je m’enroule dedans, récupère mon jean au sol, au milieu de la chambre, allez savoir pourquoi, et l’enfile avant de me trainer jusqu’au couloir. Le triomphe de la vessie sur l’esprit. C’est triste. J’ai froid aux pieds, j’ai froid aux mains, j’ai froid au nez. Je suis pas tout à fait réveillé. Je me frotte un oeil avec un bout d’édredon en poussant la porte des toilettes, et c’est là que tout s’enchaine. La porte s’ouvre, une autre lui répond, et une fille topless surgit à mes pieds façon gâteau d’anniversaire. J’pige pas. Je la regarde, elle me regarde, je regarde les caméras, y en a pas, puis la regarde à nouveau. J’pige toujours pas. « On peut la refaire ? » je lui demande très sérieusement. « J’crois que j'étais pas prêt psychologiquement. » Et je secoue les mains, comme un boxeur cherchant à se mettre dans l’ambiance. Cela dit, j’obéis et lui attrape son tee-shirt lorsqu’elle me le demande. « Tu fais ça souvent, ou bien c’était un accueil personnalisé ? » je lui demande en lui tendant son vêtement, avant de lui tourner le dos le temps qu’elle se vêtisse. « On pourra le refaire demain ? » j’hasarde, en observant le plafond.

C’est pas tous les jours qu’on est accueillit dans les toilettes par une jeune femme topless, déboulant à nos pieds pour nous offrir deux sphères sur un plateau. Bizarrement, c’est assez gênant, mais j’aime bien l’idée qu’un être suprême se soit décidé à me féliciter, voir m’encourager à, finalement, m’être levé si tôt pour aller pisser. Dans ce genre d’émission, on peut s’attendre à tout, et pendant quelques secondes interminables, je me demande s’il ne s’agit pas d’une mission dont aurait hérité la toute jeune candidate. Sauf que son air contrit me détrompe, et je comprends rapidement que rien de ceci n’était prévu au programme, surtout pas la vision de ses deux mamelles matinales. Je lui tends son vêtement, comme demandé, puis lui tourne le dos, m’interrogeant sur la suite de cette aventure qui débute à peine. Va-t-elle vouloir me crever les yeux ? Ou, au contraire, me passer sur le corps pour s’offrir une bonne excuse de m’avoir offert pareille vision ? Je tente l’humour, mais ça ne fonctionne pas. Ça ne m’étonne même pas, mon humour étant particulièrement vaseux, qui plus est au réveil. Drapé dans mon édredon, les cheveux perpendiculaires à mon crâne, et les paupières gonflés, je ne suis pas sûr qu’elle soit la moins présentable des deux. J’étouffe un bâillement, et me dandine légèrement, ma vessie s’impatientant. Je savais pas qu’on pouvait mettre autant de temps pour enfiler un tee-shirt. Y a moyen qu’elle accélère la cadence ? Lorsqu’elle me libère, finalement, et que je me retourne pour lui faire face, toute envie de pisser me quitte. Prostrée, son coude coincé dans une paume, elle a tout de la jeune fille en faute. Je me sentirais presque coupable de ne pas être aveugle. « Est-ce que tu pourrais oublier ce que tu as vu ? » me demande-t-elle, honteuse, avant d’apporter quelques précisions. J’ai le droit de conserver la chute en mémoire, mais pas la poitrine. Poitrine que seul un homme a vu avant moi. Elle insiste, quémande, supplie, et tente même de marchander... J’aimerais lui offrir ce qu’elle souhaite, mais... Je ne mens jamais. « Tu as bien conscience que ce que tu me demandes est absolument impossible, n’est-ce pas ? Je ne peux même pas te dire que je vais essayer, parce que plus je vais essayer de ne pas y penser, et plus je vais y penser... » Je suis pas sûr de parvenir à la rassurer, là. Mais je suis naze niveau réconfort, c’est pas nouveau. « Cela dit, je peux te promettre une chose. Tes... » je lui désigne sa poitrine d’un mouvement de menton, conscient qu’employer le terme la ferait rougir derechef. « Ils ne sont pas objet de fantasme pour moi... Je... J’y pense pas en ces termes, et... Dans un sens, t’as de la chance d’être tombée sur moi, parce que moi, tes seins, j’m’en fous complètement. » Je ne suis pas certain que c’est ce qu’elle souhaite entendre, mais au moins je me montre sincère. « Et j’ai pas l’intention d’oublier cette scène, simplement parce que c’est le truc le plus improbable qui me soit jamais arrivé... Maintenant, si tu veux bien m’excuser, faut que je pisse. J’en ai pour quelques secondes, on reprendra cette conversation après, et tu me montreras ton coude et ton dos... » Je finis ma phrase en refermant la porte du box dans lequel je suis entré, afin d’assouvir ce besoin pressant que je retiens depuis trop longtemps, un soupir de satisfaction s’échappant de mes lèvres. « Tu peux chanter pour couvrir le bruit, hein, si ça te gêne. » Oui, j’suis grand seigneur, aujourd’hui. Après tout, j’ai vu ses seins.

La petite chose s’est recroquevillée dans un coin, mal à l’aise face à cette sincérité qui m’empêche de lui servir un pieux mensonge. Je voudrais bien, mais ça ne me ressemble pas. J’ai trop souvent menti, ou détourné la vérité par le passé. Alors, aujourd’hui, je m’y refuse, tout simplement. Pourtant, j’ai tenté de la rassurer, en lui expliquant que, contrairement à d’autres, je n’allais pas baver sur sa poitrine et la faire défiler derrière mes paupières closes chaque fois que l’envie me prendrait de jouer avec mon joystick. Déjà, je ne joue quasi jamais avec mon joystick, et ensuite, non pas qu’elle soit déplaisante, j’ai, depuis un moment déjà, d’autres images en tête. Alors, bien que j’aimerais lui apporter mon soutient immédiatement, et assouvir ce besoin vital de chasser la rougeur de ses joues et la fuite de son regard, j’ai comme un petit truc de rien du tout à faire avant, et ceci nécessite un minimum de concentration. Je lui propose de chantonner pour couvrir le bruit, des fois que ça la dérange, mais vu le silence pesant qui s’abat sur nous, j’imagine qu’elle n’est plus à ça près. Comme promis, c’est rapide, et moins d’une minute plus tard, je sors du box pour prendre la direction des lavabos, la jeune femme toujours au sol. Elle entrouvre les lèvres, mais pas grand chose ne sort. Puis elle reprend, de manière plus efficace, cette fois-ci, et j’observe son reflet dans le miroir, tout en me savonnant les mains. J’ai noué l’édredon sous mon menton, pour ce faire, et je me trouve un petit look de super-héros qui me fait sourire. Super Feignasse, le super-héros narcoleptique. Je m’envoie un clin d’oeil, puis tente de reprendre le fil de la conversation. « Mais peut-être est ce que l’on pourrait éviter d’en parler ? Jamais ? Plus jamais ? » Parler de quoi, plait-il ? Oh, sûrement du fait qu’elle se soit retrouvée à mes pieds les seins à l’air, non ? Je n’ose pas lui poser la question, puisque ce serait en parler encore, alors qu’on ne doit plus jamais, jamais, jamais, en parler. Alors, je ne réponds rien. Mais de ma main humide de flotte, je mime le geste de verrouillage de lèvres, avant de lancer la clef imaginaire, et quelque gouttelettes au passage, au loin. On n’en parlera plus. Ni ensemble, ni avec d’autres. De toute manière, c’est pas vraiment mon style d’aller blablater dans le dos d’autrui. Elle semble satisfaite puisqu’elle enchaine sur son état physique, annonçant qu’elle n’a rien de cassé, et que tout ce qu’elle risque c’est de se changer en baleine pour le côté bleu de la chose... La perche est tellement imposante que je décide de ne pas la saisir. C’est insultant de me préparer mes vannes à l’avance. Je ne m’abaisserais pas à ça. Quant à son état physique, ce sera à moi d’en juger, quand je me serais séché les mains. C’est ce que je suis entrain de faire lorsqu’elle commence à s’interroger sur ma cape-édredon. Est-ce que j’ai l’intention de dormir dans les toilettes ? J’hausse un sourcil en l’observant avec soucis. « Trauma crânien... ? » j’hasarde, au vue de ses idées un peu jetées, mais peut être qu’elle est toujours ainsi, peut être qu’elle est juste... Naïve ? Elle comprend enfin, et s’excuse de je ne sais trop quoi... C’est elle qui marabouté ma vessie pour réduire le contenant et amplifié le contenu ? « Attends... Tu ne me reconnais pas ? » Je lui demande en m’approchant, feignant la surprise la plus totale. « Je suis Super Feignasse, le héros justicier un poil narcoleptique... Entre deux siestes, je vole... rampe ?... au secours des victimes de portes fourbes et de tee-shirt en fuite... » Ok, j’avais promis de plus en parler, mais techniquement, je parle pas forcément d’elle, là... Et puis on n’a ni micro, ni caméra sur le dos, alors ça ne risque pas grand chose pas vrai ? Tout ce que je veux, c’est la voir sourire, au moins un peu, au moins une fois. Alors, je lui montre l’exemple, tout en m’accroupissant pour me mettre à son niveau. « Tu veux bien me montrer ton dos, s’il te plait ? » je finis par lui demander de ma voix la plus douce, de mon timbre le plus chaud, celui que j’emploi avant de photographier ou dessiner des enfants en bas âge, pour les mettre en confiance et ne surtout pas les brusquer. Ça marche ?