DAGGA

La soirée programmée par Cupidon commence à toucher à sa fin. Les différents candidats se dispersent, jugeant sûrement avoir suffisamment fait acte de présence, malgré qu’un bon nombre soit encore présent pour profiter des coupes de champagne et de l’ambiance festive. Je me glisse l'air de rien à l'extérieur, non sans avoir au préalable pressé le bras de ma partenaire pour lui signaler avec politesse que je préfère m'éclipser de la pièce. Je passe la porte puis descends, mains enfouies dans les poches de mon pantalon, le sentier qui s'enfonce à l'horizon. Je passe par l’école municipale des filles pour pouvoir me débarrasser de ma tenue spéciale mercredi à thème et enfiler un simple jeans et t-shirt. En sortant, je n'ai pas besoin de faire un nombre incroyable de pas avant de tomber sur un banc et son occupante. Les cheveux roux m’arrache un grand sourire stupide et même un geste de main en croyant reconnaître Mads, mais plus j’avance vers la silhouette, plus je dois me rendre à l’évidence qu’il ne s’agit pas d’elle. Me sentant soudainement très, très bête, je juge que la meilleure solution ne serait sans doute pas de rebrousser chemin. J'adresse un sourire à distance à la jeune femme, pour qu'elle puisse anticiper mon invasion à venir. Si je ne suis pas d'une nature véritablement asociale, il faut avouer que fuir un groupe de personnes censées être vos nouveaux colocataires n'est guère le comportement le plus convivial qui soit, je n'ai pas envie de sembler plus envahissant et lourd que de raison. D’autant que mon attitude a déjà dû me caser dans la case des étrangetés de la nature. Arrivé à sa hauteur, je lui sers un nouveau sourire censé être engageant et non pas flippant dans le genre forcé, comme j’ai la cruelle impression qu’il est. « Est-ce que je peux m’asseoir ? Histoire de discuter un peu si ça te conviens. Tu te souviens de mon nom ? » je la questionne doucement, même si la réponse me semble plus qu’évidente. Un peu plus de trois jours à vivre ensemble, mais on ne s’est guère adresser plus qu’une ou deux salutations en se croisant dans le village depuis le début de l’aventure. Le nid d’amour est plus vaste qu’à l’accoutumée et cohabiter avec plus d’une trentaine de personnes s’avère moins évident qu’on peut le penser.

J’observe la jeune femme avec un sourire un peu figé, nerveux à l’idée qu’elle m’envoie royalement balader, tandis que je me suis planté devant le banc qu’elle occupe. On pourrait croire que lorsqu’on s’engage à venir vivre enfermé avec les mêmes têtes pendant plusieurs mois, on est membre du groupe des personnes assez conviviales et appréciant la compagnie d’autrui, mais non. Je suis dans le nid d’amour depuis pas plus d’une semaine, mais j’ai d’ores et déjà croisé des cyniques et des sarcastiques à la pelle. Sauf que cette fois-ci il n’en est rien, puisque la candidate m’adresse un grand sourire engageant et naturel, ou du moins si elle se force, elle se montre si crédible que mon visage s’éclaire de contentement sans se poser guère plus de questions. Elle m’invite à m’installer à ses côtés et je m’exécute en allongeant mes longues jambes face à moi, mains glissées dans les poches de mon jeans. « Moi de même, ça nous fait déjà un point en commun. » j’admets avec un sourire en coin, lorsqu’elle précise adorer discuter. C’est pas trop mal de trouver une rousse fervente de la conversation, ça me changera de Maddie qui pour le moment n’arrive pas à finir ses phrases quand j’essaye de la faire un peu parler. D’un côté, je ne me suis peut-être pas prit de la meilleure façon qu’il soit dès le commencement, mais je suis en voix de rédemption. Elle m’avoue ensuite d’une manière tout à fait prévisible ne plus se souvenir de mon nom. J’acquiesce d’un bref signe de tête, comme pour lui signifier que je m’y attendais et que ça ne me pose pas de problème. Même s’il demeure une bonne trentaine de personnes avec lesquelles on pourrait passer du temps, je pense qu’elle comme moi avons davantage tendance à rester coller aux même têtes familières, ce qui n’est pas forcément la meilleure solution qui soit pour se souvenir des prénoms du reste de nos colocataires. « Corto. » je réponds tout simplement à sa question. La jeune femme s’avère alors s’appeler Dagmar, ce qui me fait hausser les sourcils d’étonnement. Je le répète même du bout des lèvres pour moi-même, étranger à ce genre de sonorité à force de vivre en contré anglophones, ça sonne tellement étrangement dans ma bouche… Il faut avouer que c’est bien loin d’être très courant d’où je viens. Cela dit, de la part d’un corto, c’est peut-être un petit peu l’hôpital qui se fout de la charité. J’ai bien envie de la prendre dans mes bras et lui souhaiter la bienvenue parmi les dotés de parents aux goûts un peu trop originaux, limite douteux, mais j’ai peur que ce soit mal interprété. « Et tu viens d’où ? » je la questionne, pour essayer de grappiller quelques informations qui m’aideraient à comprendre l’origine intrigante de son patronyme, avant d’enchaîner avant même de lui laisser le temps de répondre : « En fait ne me le dis pas, je suis un peu devin sur les bords. » Je ferme les yeux et fait mine de me concentrer intensément d’une façon tout à fait mystique. « Dagmaw’, dagmaw’… » je répète avec une prononciation tout à fait horrible et incorrecte son prénom, avant de m’exclamer : « Autriche. NON, attend… République Tchèque ? » je lance tout à fait au hasard. Fail.

J’acquiesce d’un léger signe de tête machinale sa remarque à propos du fait que je porte un prénom peu commun, mais je n’en ajoute pas plus. Maddie et Fantine ont déjà percé le terrible secret de sa traduction et c’est assurément déjà deux personnes de trop au courant. Sans grande surprise, je me suis royalement trompé sur les origines de la jeune femme –quoi que pour ma défense, Autriche et Allemagne c’est quasiment la même chose. Elle me retourne la question et ne prend pas trop de risque en avançant que mon accent n’a rien d’irlandais. J’esquisse un léger sourire amusé quand elle affirme que je ne dois pas être français, rapidement remplacé par un petit rire. « Loupé. » je m’exlame en arquant l’un de mes sourcils avec défi, avant de poursuivre pour lui donner quelques explications : « Mais j’te rassure, si théoriquement j’ai la nationalité, je ne parle absolument pas la langue. Ca ne m’intéressait pas de l’apprendre. » J’hausse les épaules d’un air égal, pour lui signifier que ça ne vaut pas la peine de se poser plus de question que ça à propos de ma vie étrange et compliqué. « Je viens du sud des Etats-Unis. » je finis enfin par lui confier dans un sourire. « Il fait toujours ce temps-là ici ? » Oui, je daigne lui parler météo, mais dans ma tête c’est la continuité des choses une fois avoir évoqué mon chez-moi. Chez-moi où il fait beau et chaud, même au mois de septembre passé les minuits. J’en rajoute un peu en faisant mine de frissonner d’une façon non naturelle.

Sans trop de surprise, j’ai piqué la curiosité de Dagga. C’est l’attitude habituelle des personnes qui se retrouvent confrontées à ma drôle d’enfance et situation familiale, je suis habitué. « Quand je suis né, mes parents vivaient déjà aux Etats-Unis depuis une vingtaine d’années et au bout d’un moment j’imagine remplacer sa langue maternelle par une autre vient naturellement. Cependant, j’ai tout de même hérité de leur nationalité française, mais comme tu peux le constater, on ne peut pas dire que je la mérite. » Bien qu’américain jusqu’au bout des ongles de mes orteils, les lois françaises font de moi l’un des leurs sans même que je connaisse la langue où vive sur le territoire. C’est assez ironique quand on pense à toutes ces personnes qui font des efforts pour s’assimiler et se faire naturaliser. Elle me confie après m’avoir lancé un regard remplit d’autant d’étoiles que le drapeau de mon pays compte, qu’elle rêve de ce dernier. Elle commente même le peu d’originalité de ce fait, mais je ne peux qu’hausser les épaules face à cette affirmation. D’où je viens, à moins d’être un républicain extrémiste, on est pas aussi accro. C’est même plutôt amusant, puisque justement la France et son fameux Paris est normalement dans toutes les têtes, surtout celles des demoiselles. Elle se met en rire en me faisant remarquer qu’il ne fait pas vraiment froid. Je ne sais pas ce qu’il lui faut, parce que personnellement j’ai l’impression de me transformer en glaçon, si bien que j’enfonce mes poings un peu plus profondément à l’intérieur des poches de mon jeans. Je soulève l’un de mes sourcils en la regardant d’une mine quasiment effarée lorsqu’elle m’informe qu’il s’agirait du coin le plus chaud de France. J’ose même pas espérer ce que ça donne un peu plus au nord. Je ris doucement lorsqu’elle me parle de l’Irlande et je rétorque avec un léger sourire : « Tu plaisantes ? Il ne doit même pas faire quinze degré… Ca me dépasse que tu puisses avoir chaud. » Quoi ? C’est presque une température d’hiver en Géorgie. Et même si j’ai beaucoup voyagé dans ma jeunesse, je dois me rendre à l’évidence que manifestement j’étais attiré sans m’en rendre compte par les destinations ensoleillées.