La fête foraine en journée est moins attirante que la fête foraine en pleine nuit, comme je l’avais déjà vu la semaine dernière avec Candace. La fête foraine était même carrément austère en pleine journée, un peu glauque avec les chaises dont les chaînes crissaient doucement à cause du vent et les allées vides entre les stands. J’avais l’impression d’être le dernier survivant d’une attaque nucléaire, de ressortir après des mois et des mois et de voir que la nature avait doucement repris ses droits sur les constructions humaines. J’ai une imagination débordante. J’étais en train de m’imaginer ce petit scénario quand je vis Raphaël au bout d’une allée, je cours vers lui. « Je ne suis pas seuuuuuuuul ! » M’époumonais-je, je pose mes mains sur ses épaules et le regarde comme si j’étais réellement surpris de ne pas être le dernier homme sur terre. « Merde t’es pas une femme, on va pas pouvoir repeupler la terre ! » Du coup je laisse retomber mes mains le long de mon corps, déçu. « Notre espèce est condamnée. » Ajoutais-je en secouant doucement la tête de droite à gauche. Promis, c’est pas Asmaa qui m’a nourrit ce midi avec un de ses spaces cakes.

Okay, Jared était un peu barge dans son genre. Gentil garçon, mais un peu barge. Parce que bon, il fallait bien l'être un tantinet pour débouler de la sorte, en hurlant comme pas possible, un peu comme s'il n'avait plus vu personne depuis des mois. Alors que des gens, il pouvait justement en voir au quotidien. Si même les solitaires comme Raphaël parvenaient à être plutôt bien entourés entre ces murs, nul doute que Jared devait bénéficier d'une certaine compagnie également. Quoi qu'il en soit, Raphaël ne manqua pas de sursauter comme un fou lorsque son camarade se dirigea vers lui en plaquant énergiquement ses mains sur ses épaules. Bon, il allait tâcher de survivre à ce brutal contact physique. Raphaël ne fut en tout cas pas capable de répondre quoi que ce soit, tandis que son camarade sembla pour le moins déçu de ne pas avoir à faire à une femme. Prévoyait-il sérieusement de se reproduire ? Remarquez, ça ne regardait pas le moins du monde Raphaël, qui fut pour le moins satisfait que les mains de son camarade laissent ses épaules tranquilles. Enfin, Jared ajouta que leur espèce était condamnée. Bon, ça faisait beaucoup là, non ? Est-ce qu'il avait bu ou manger quelque chose de particulier ? Allez savoir. Raphaël restait en tout cas pour le moins surpris par cette rencontre. « Moi j'ai plutôt l'impression que nous sommes un peu trop nombreux sur cette planète » articula-t-il alors, pensif. « Sais-tu qu'il n'a fallu qu'une dizaine d'années pour que la population mondiale passe de six à sept milliards de personnes ? Que la Terre devrait compter plus de neuf milliards d'habitants d'ici quelques décennies, alors qu'on peine déjà à nourrir tous ceux qui s'y trouvent à ce jour ? Et qu'il n'y aura bientôt plus assez de pétrole ni autres ressources essentielles pour survenir aux besoins de tout le monde ? » Oui bon, dit comme ça, ça avait peut être un certaine dimension apocalyptique, mais il n'y pouvait rien s'il lisait beaucoup les journaux. « Je suis désolé si je t'ennuie avec mes statistiques du futur ... » Parce que, clairement, c'était loin d'être la discussion la plus passionnante au monde. Il en avait conscience, heureusement.

Bon, il fallait s’y attendre, Raphaël ne sembla pas ravi du tout que mes mains se posent si rapidement sur ses épaules alors que je commençais à partir dans mon délire de fin du monde et de derniers habitants sur terre. « Moi j'ai plutôt l'impression que nous sommes un peu trop nombreux sur cette planète » Tout dépend du point de vue, non ? Ca fait un peu parole de dictateur moustachu qui veut tuer tout le monde ça, non ? non aller je déconne mais je pousse pas le vice jusqu'à mettre des mots sur mes réflexions, pour sur il me détesterait. « Sais-tu qu'il n'a fallu qu'une dizaine d'années pour que la population mondiale passe de six à sept milliards de personnes ? Que la Terre devrait compter plus de neuf milliards d'habitants d'ici quelques décennies, alors qu'on peine déjà à nourrir tous ceux qui s'y trouvent à ce jour ? Et qu'il n'y aura bientôt plus assez de pétrole ni autres ressources essentielles pour survenir aux besoins de tout le monde ? » C’est intéressant, j’en avais effectivement déjà entendu parler mais c’est vrai que c’était intéressant… et effrayant. « Donc j’avais en quelque sort raisons, notre espèce est condamnée. » Fis-je en haussant les épaules. Evidemment que j’avais raison, tout dépend du point de vue, si il regarde assez loin et si on continue à vivre comme nous le faisions baaah, nous allions nous éteindre. « Je suis désolé si je t'ennuie avec mes statistiques du futur ... » Je secoue la tête. « Non t’inquiètes ! C’est juste que ce décor fait un peu un décor de ‘seul au monde’ et non pas le film. » Remarque il ne connait peut être pas. « Remarque, on est beaucoup mais c’est pas pour ça qu’on se sent pas parfois un peu seul. » Que quelqu’un me colle du scotch sur la bouche, je parlais trop, vraiment.

Excusez Raphaël, qui n'avait pu s'empêcher de ramener sa science au moment où Jared laissa entendre qu'il faudrait repeupler la planète. Évidemment, il avait bien compris que son camarade n'était pas sérieux, mais le fait est que Raphaël n'avait pas tellement d'humour, et donc qu'il répondit avec un sérieux assez déconcertant, alors que lui même préférait prendre tout ça au second degré, histoire de ne pas déprimer davantage. Après tout, il n'était pas encore temps de penser à ce que l'avenir réserverait à cette fichue planète. Imaginons que Jared dévie ensuite sur les théories abracadabrantes concernant une possible fin du monde en Décembre 2012, et ils ne seraient assurément pas sortis de l'auberge. Quoi qu'il en soit, et cela était assez surprenant, Jared ne parut pas tellement embêté par le petit récit de Raphaël. Pourtant, celui-ci avait été persuadé qu'il le ferait éperdument chier en lui faisant part de ce qu'il avait eu l'occasion de lire dans de récents journaux. La réplique de son camarade parvint en tout cas à faire sourire le suisse. Effectivement, dit comme ça ... « Notre espèce n'est pas faite pour perdurer éternellement » répondit-il alors, sans que cela ne semble l'affecter. Non honnêtement, il s'en fichait quelques peu. Que ce soit demain, l'an prochain ou dans des siècles, les humains disparaitraient. Mais ça, à la rigueur, tout le monde devait l'avoir compris. Il hocha ensuite doucement la tête suite aux paroles de Jared. Effectivement, c'était un peu désert par ici. Quant au film qu'il sembla mentionner, il ne comprit pas bien la référence. Mais vous savez, il ne connaissait que le vieux Cinéma, pas celui de notre époque hm. Il se contenta de sourire, histoire de ne pas avoir l'être plus bête qu'il l'était déjà. Jared reprit la parole, l'honorant d'une phrase tout à fait philosophique. Au fond, il avait terriblement raison. C'est bien ça le pire, hm. « Le solitude n'a effectivement rien à voir avec le fait d'être entouré ou non. C'est plus quelque chose d'intérieur, de psychologique. Quand on ne parvient pas à s'intégrer, à rentrer dans le moule, on se sent rejeté, et inévitablement, on finit par se sentir seul. » Il adressa l'esquisse d'un sourire à Jared. Au fond, ça l'aidait presque de dire tout ça. Parce qu'il va de soi qu'il se sentait terriblement seul, justement. « Tu te considères parfois comme une âme esseulée, Jared ? » demanda-t-il doucement, sans pour autant le forcer à répondre. Si cette question gênait, il la retirerait bien vite.

« Notre espèce n'est pas faite pour perdurer éternellement » Donner moi un flingue, que je me tue tout de suite. J’aime bien Raphaël, il est mignon, il est gentil, mais il est déprimant et ça ne colle pas du tout avec ma personnalité, j’ai envie de le secouer comme un arbre mort et de lui hurler de se réveiller, que la vie est belle, qu’il n’est pas souffrant ni mourant et que, donc, tout peut s’arranger. J’ai vraiment envie de lui remettre les idées en place mais je me retiens. Enfin, j’essaie. « Avec un raisonnement comme ça autant te tuer tout de suite. » Je lâche, morose. Bref, finalement je fais une petite réflexion sur la solitude. Il rebondit, évidemment. « Le solitude n'a effectivement rien à voir avec le fait d'être entouré ou non. C'est plus quelque chose d'intérieur, de psychologique. Quand on ne parvient pas à s'intégrer, à rentrer dans le moule, on se sent rejeté, et inévitablement, on finit par se sentir seul. » Je pose mon regard dans le sien, doucement avant de le détourner assez rapidement, je n’ai pas non plus envie de le mettre mal à l’aise en le regardant dans les yeux mais je pense que, comme tout le monde, j’ai compris que son être entier est un appel de détresse. Il a besoin d’aide, c’est indéniable. « Je… Désolé, je voulais pas te… enfin. » Lui rappeler à quel point il se sentait seul ? Oui, exactement. « Tu te considères parfois comme une âme esseulée, Jared ? » Bon bah finalement il n’était pas gêné lui. Je passe une main dans mes cheveux, mes doigts glissent jusque dans ma nuque et finalement ma main retombe mollement contre mon flanc. « Euh… Je… Et bien… » Dès qu’on parle de ressentis, y’a tout de suite plus personne. « Oui. Comme tout le monde je pense, mais plus souvent ces derniers temps. Je pense que ce jeu nous donne à tous cette impression… » Ouais, le jeu, bien sur.

N'en doutez même pas, Raphaël était véritablement l'être le plus déprimant au monde. Voyez un peu ce qu'il conclut des paroles de son camarade, qui au départ avait simplement voulu plaisanter au sujet d'une possible disparition de leur espèce : que l'espèce humaine n'était de toute façon pas faite pour perdurer de manière éternelle. Bon, d'un point de vue logique, il n'avait pas tort. Parce qu'il y aurait un jour où tout ce qu'ils connaissaient ne serait plus, n'existerait plus. Un jour où les humains n'en seraient plus, où le Monde n'en serait plus un. Ils avaient beau avoir le temps d'y penser - mais vu qu'ils seraient morts depuis belle lurette, ça ne les concernerait pas directement, hm - Raphaël n'avait pu s'empêcher de faire part de cette vérité peu réjouissante à Jared qui, en guise de réponse, lui fit savoir qu'à penser de la sorte, il ferait tout aussi bien de se flinguer dès maintenant. Raphaël aurait pu en rire, mais il fut plutôt embarrassé par de telles paroles. Il tâcha de ne rien en montrer, mais ça passait difficilement. Parce qu'autant la mort en général l'inspirait, autant le suicide était quelque chose d'assez particulier à ses yeux, quelque chose qui le gênait globalement. Sans doute parce qu'il y avait souvent songé, sans jamais avoir eu le cran de passer à l'acte. Oui, sans doute. Il se contenta alors de hausser les épaules, l'air de rien. Pour une fois, il voulait avoir l'air impassible et contrôler ses émotions. Disons qu'il continuait de faire des efforts. Mais après qu'ils aient parlé de la solitude, et du fait que cela se rapportait davantage à un état d'esprit qu'au fait d'être plus ou moins bien entouré, voilà que Jared se mit à s'excuser. Mais pourquoi donc ? Qu'estimait-il avoir fait de mal ? Oh, visiblement, il pensait avoir mis Raphaël dans l'embarras, vu que celui-ci était bien connu pour être un solitaire dans l'âme, là encore très psychologiquement. « Il n'y a aucun soucis, Jared » articula-t-il alors, dans l'esquisse d'un sourire. Il aurait été tenté de lui préciser que ses précédentes paroles - au sujet du suicide - l'avaient bien pu chamboulé que celles-ci, mais il n'en fit rien. Bien inutile cela aurait été, hm. Raphaël posa alors une question à Jared. Se voyait-il généralement comme une âme esseulée ? Allez savoir, peut être bien. Il écouta alors attentivement sa réponse. Il accusait le jeu. Oh, intéressant. « Tu sais quoi ? Pour nous tous ici, je crois qu'il a bon dos, le jeu » articula-t-il alors, se faisant compréhensif. « Si tu pouvais changer une chose chez toi, laquelle serait-ce ? » reprit-il, sans vouloir paraitre trop curieux. Il tâchait de le comprendre. Jared semblait cacher des choses. Et quand Raphaël ne passait pas son temps à se questionner au sujet de ses problèmes, il se plaisait à s'intéresser à ceux des autres.

Il ne me répond pas quand je parle qu’avec !une telle mentalité, il vaut mieux se tuer tout de suite. Je vais dans les extrêmes c’est sur mais je fais toujours ça pour montrer l’absurdité d’une théorie ou d’une idée. L’ironie, le sarcasme, c’est comme ça que je parle. Je ne sais pas si je le touche ou pas, il me parait plutôt impassible et la tristesse que je lis dans ses yeux n’est pas inchangée, ni plus intense, ni plus faible, elle reste la même. Quand je pense finalement avoir été trop loin ou trop dur avec lui, je m’excuse. « Il n'y a aucun soucis, Jared » Fit-il, je hoche doucement la tête mais ne répond rien, l’essentiel est que je ne lui ai pas fait se sentir encore plus mal qu’il ne l’est. La présence de Raphaël m’est aussi désagréable qu’il m’est sympathique, c’est paradoxal. J’apprécie le candidat mais j’ai toujours été plutôt empathique du coup sa détresse déteint sur moi et je me mets à penser de plus en plus à ce qui fait que ma vie pourrait ressembler à la sienne : une suite de jours plus tristes les uns que les autres. J’aimerais que ce soit l’inverse, qu’il soit lui toucher par mon optimisme et pas moi toucher par son pessimisme. « Tu sais quoi ? Pour nous tous ici, je crois qu'il a bon dos, le jeu » Encore une fois il tape pile dedans, on dirait qu’il a le don pour mettre les deux pieds dans le plat. « Certes. » Soufflais-je. « Si tu pouvais changer une chose chez toi, laquelle serait-ce ? » Je ne sais pas pourquoi, mais ce candidat m’inspire confiance et j’ai bien envie de lui parler même si il parait plutôt évident que c’est lui qui a besoin de mon aide et pas l’inverse. « Chez moi, dans ma personnalité ou dans mon corps ? Rien. Mais dans ma vie, pas mal de trucs ouais. » Fis-je en enfonçant mes mains dans mes poches. « Il y a des choses que je n’aurais pas du faire ou dire pour ne pas perdre certaine personnes… » Fis-je en posant mon regard sur le sien, doucement, comme on pose un objet en cristal sur un table, délicatement pour ne pas le briser.

Très honnêtement, il aurait été grandement préférable que Jared évite d'insinuer que Raphaël ferait bien de se tuer si c'était pour penser d'une telle manière. Certes, il était d'un pessimisme impensable et cela devait assurément en agacer plus d'un autour de lui, mais le fait est qu'il ne fallait pas non plus lui conseiller de se donner la mort, parce qu'il était suffisamment crédule et sensible pour vous prendre au mot. Bien sûr, il ne passerait probablement jamais à l'acte, dans la mesure où il avait eu mille occasions de se suicider mais qu'il n'avait encore jamais eu le cran pour le faire, mais le simple fait d'entendre de telles paroles de la bouche de Jared avait eu tendance à le peiner. Mais il tâcha de ne pas trop montrer ses émotions, parce qu'il commençait honnêtement à penser que c'est à force de se montrer aussi faible, aussi émotif, qu'il poussait les gens à s'éloigner de lui. Et Raphaël n'avait assurément pas besoin d'être plus seul encore qu'il l'était déjà, hm. Mais sans doute son camarade rêvait-il présentement de l'abandonner ici, tellement il devait lui taper sur le système avec ses répliques déprimantes et son air de chien battu. Il n'y avait qu'à voir à quel point il perdait en enthousiasme au fil de la conversation. De quoi faire terriblement culpabiliser Raphaël, qui en venait logiquement à penser qu'il ferait tout aussi bien de se taire, puisque visiblement tout ce qui pouvait s'échapper des lèvres n'était que déplaisant. Pour autant, Jared sembla enclin à se confier à lui. En effet, à la question de Raphaël, il laissa entendre qu'il changerait volontiers quelques petites choses dans sa vie. Voilà qui était plutôt intéressant. Peu gai, mais intéressant. Jared précisa sa pensée en disant cette fois-ci qu'il avait fait et dit des choses qui lui avaient valu de perdre certaines personnes. La mine de Raphaël s'attrista davantage. « Est-ce que ... est-ce que tu penses avoir besoin d'en parler ? » demanda alors le suisse, en tâchant de lui montrer qu'il pouvait tenter d'être une oreille attentive s'il en avait besoin. Après tout, les gens d'ici prenaient bien souvent le temps de l'écouter, comme Jared l'avait d'ailleurs fait il y a quelques temps. Alors il pouvait bien tenter d'inverser la situation, hm. « Toutes les choses que tu aimerais dire, tu peux les dire maintenant. Je t'écouterai, et je ne répéterai rien. Tout restera entre nous. Je ne te force pas à te confier, mais sache que tu le peux, si tu le veux. » Il gardait cet air qui témoignait de sa profonde empathie pour Jared. Il n'estimait pas être quelqu'un de confiance. Simplement, il était bien placé pour savoir que certaines choses avaient parfois besoin de sortir.

« Est-ce que ... est-ce que tu penses avoir besoin d'en parler ? » s’enquit le jeune homme. Je voyais bien dans cette demande qu’il voulait vraiment m’aider mais je n’étais pas le genre de type qui se met à parler ouvertement aux gens qu’il connait à peine, à vrai dire je ne parle même pas de mes problèmes aux gens les plus proches de moi. Peut être parce qu’ils sont trop proches ? Peut être qu’il est plus facile de parler aux gens qui ne sont pas des amis ni de la famille ? Car on ne les reverra plus. Je pense que c’est pour ça que beaucoup de gens se confient à des psy, c’est plus simple. « Toutes les choses que tu aimerais dire, tu peux les dire maintenant. Je t'écouterai, et je ne répéterai rien. Tout restera entre nous. Je ne te force pas à te confier, mais sache que tu le peux, si tu le veux. » Je soupire. « Tu sais que ça ne restera pas entre toi et moi, que des milliers de personnes pourront voir ça mais… Je crois que ça me ferait du bien d’un peu en parler… » Dis-je en passant une main dans ma nuque, ce n’est pas évident de déballer comme ça ses sentiments et ses ressentis, il faut être bien plus fort pour le faire plutôt que pour tout garder pour soit, du moins c’est l’impression que j’ai. « Si je suis dans ce jeu c’est principalement pour me changer les idées, parce que l’homme avec qui j’étais en couple depuis des mois a décidé de me quitter, du jour au lendemain, comme ça… » Je déglutis difficilement, mes lèvres se pincent, je ne suis absolument pas sur le point de pleurer non, ça ne m’arrive jamais, ou presque, mais je sens de nouveau cette douloureuse pique en plein cœur. L’expression ‘avoir le cœur brisé’ ne m’a jamais semblée être aussi vraie qu’en ces instants où je repense à ce que j’ai perdu. Je fronce doucement les sourcils. « Je pense que j’aurais été mieux si j’avais eu une explication. » Parce que je n’en ai jamais eu, il a juste décrété du jour au lendemain qu’il n’était plus intéressé par moi, qu’il ne m’aimait plus et je crois qu’il ne s’est même pas rendu compte de la portée de ses paroles, de toute manière. Finalement je balaye mes confessions d’un geste de la main. « J’aime pas en parler, je préfère oublier. » avouais-je en fronçant à nouveau doucement les sourcils, oublier ou faire comme si ça ne m’atteignais pas, afficher un sourire constant, donner l’impression que rien ne m’atteins jamais, être optimiste, toujours, envers et contre tout.

Soyons clairs, Raphaël ne prétendait pas le moins du monde qu'il était la personne idéale pour écouter les autres parler de leurs problèmes, de ce qui les tracassait et leur faisait du mal. Étant lui même un être pour le moins torturé, il n'oserait assurément pas insinuer que tout le monde ferait bien d'aller se confier à lui, vu qu'il avait déjà du mal à faire avec ses propres problèmes. Il n'était donc pas certain du tout qu'il soit fort bien placé pour écouter les autres parler des leurs. Pourtant, à cet instant précis, il avait envie de faire savoir à Jared que, si celui-ci le souhaitait, il pourrait lui parler de ce qu'il avait sur le cœur, un peu comme s'il jouait le rôle d'un psychiatre, sachant qu'il était suffisamment sensible et empathique de nature pour comprendre la peine ressentie par autrui. Mais naturellement, il ne forcerait pas Jared à s'adresser à lui si celui-ci ne le voulait pas réellement. Son but n'était aucunement de lui mettre la pression, ni de l'inciter à faire quelque chose qu'il ne ferait pas de lui même. Vous vous doutez bien que ça n'était tout simplement pas le genre de la maison, hm. Lorsque Jared insinua qu'en plus de Raphaël des milliers de personnes seraient mises au courant, le suisse grimaça légèrement. « Oui, cela va de soi. Mais à cet instant précis, il ne faut pas penser à eux, ni à qui que ce soit d'autre que nous. » Le principal étant probablement qu'aucun candidat n'assiste à cette conversation. Parce qu'à la rigueur, que le public soit au courant, ça n'était peut être pas si dramatique que ça. Aucun téléspectateur n'utiliserait probablement les confessions de Jared contre lui, étant à l'extérieur du jeu. Et puis, il fallait espérer que le jeune homme ne soit pas aussi paranoïaque de nature que l'était Raphaël, qui pour le coup se moquait presque de lui même lorsqu'il insinuait qu'il ne fallait pas craindre le public. Quelle blague. Finalement, Jared se confia à Raphaël, commençant par dire qu'il était ici parce que l'homme qui partageait précédemment sa vie l'avait quitté. Raphaël afficha une mine désolée, sans pour autant que cela puisse apparaitre comme de la pitié, parce que ça n'en était clairement pas. Il trouvait simplement cela triste. L'amour, il ne l'avait personnellement jamais connu. Mais il préférait voir ses semblables le savourer plutôt que le perdre. Surtout que Jared disait maintenant n'avoir même pas pu bénéficier d'une explication. Voilà qui était désolant. A le voir, il semblait gêné, et probablement assez peiné aussi. Il conclut en disant qu'il préférait oublier. Raphaël resta silencieux un court instant, le temps de l'observer faire comme s'il pouvait faire avec. « C'est toujours très dur de perdre quelqu'un, que ce soit parce qu'il a décidé de partir ou parce qu'il n'a pas eu le choix. » Son père, comme l'ex petit ami de Jared, avait décidé de partir. Sa mère, par contre, était morte. C'était différent, mais aussi douloureux, au fond. « Votre histoire s'est terminée brutalement, tu n'as pas eu l'occasion de comprendre pourquoi, et tu n'en as pas fait le deuil. Je suppose que tu l'aimes encore, que tu aimerais qu'il revienne. » Ou alors il se trompait complètement, mais cela paraissait peu probable tout le même. « Est-ce que tu penses qu'il a pu partir ... pour quelqu'un d'autre ? » se risqua-t-il à demander, très hésitant. Il se reprit alors aussitôt. « Je suis navré. Tu viens de dire que tu n'aimais pas en parler, et moi je ... excuse-moi, je suis très maladroit quand il s'agit de ce genre de choses. » Et pas que de ce genre de choses, au fond.