En fièvre depuis le matin, Deirdre trempait dans un délire à peine plus prononcé que d'habitude. Refusant tout aussi bien le repos que la moindre médication, elle souffrait d'un état second où, semble-t-il, elle se suffisait à elle-même plus encore que d'accoutumée. Submergée sous la douche, errante dans le jardin ou enchevêtrée, là, sous les couvertures, elle n'avait qu'à peine conversé avec ses comparses. Ils étaient là, ils défilaient et, quelques fois, quelques mots s'échangeaient sans trop porter à conséquence. De toute évidence, le chemin demeurait perceptible, et plus les heures filaient et plus l'état de Deirdre semblait s'enterrer dans l'imaginaire, l'indicible et plus simplement l'improbable. Elle était parfaitement consciente et, à lui parler, on se rendait compte qu'elle connaissait tout à fait les tenants et les aboutissants de son état... seulement elle savourait son déclin, sa souffrance et la maladie qui, bien évidemment, étreignait son corps avec force. Les mains tremblantes, elle exultait sommairement de sa propre faiblesse. Aucun d'eux n'avait besoin de savoir, et moins encore de comprendre. Non, elle était simplement là, noyée dans la crispation de ses muscles, la sueur perlant à son front et le chaos de ses songes obscurs. Désorientée et pourtant si lucide, elle se trouvait seulement recluse, délicieusement recluse. Même lorsque Blaise passa devant son lit, elle ne donna pas le sentiment de l'avoir vu. Il était là, il ne l'était pas. Qu'importe, et qu'importe le monde.

18h, mon estomac commençait tout doucement à se manifester, mais aucun n'habitant semblait vouloir s'ateler à la tâche de la préparation du repas... En desespoir de cause, je décidais - non pas de me mettre à cuisiner - mais à m'étendre sur mont lit en entendant qu'un léger fumet me sorte de ma torpeur.


▬ Si tu meurs, je peux prendre ton lit? C'est pas que Rusty m'emmerde mais elle laisse trainer des poils partout...


Penché vers l'habitante, je l'observais en attente d'une réaction. Il semblait qu'elle était restée quasiment toute la journée dans son lit sans bouger de son antre, était-elle souffrante? Possible... Celà m'intéressait-il ? Pas vraiment, mais je voyais là une opportunité à saisir.

Dans son indolence, la jeune irlandaise haussa comme un sourcil, ce qui, au demeurant, n'était pas tant le signe d'une surprise que d'une vague attention. Il s'adressait à elle, voilà ce qu'elle comprenait. Pourquoi, cela, elle l'ignorait. Et ça n'avait aucune importance. « Mes reins, mon foie et mon cœur, plutôt. Mais pas le lit. Le lit, c'est sacré. » Immédiatement, un sourire naquit sur ses lèvres. Au demeurant, ce rictus sembla pratiquement ironique pourtant, et parce que Deirdre méconnaissait grandement l'ironie, il s'agissait essentiellement d'une forme quelconque de malice. Ce n'était pas non plus de l'humour, juste... du cynisme. En vérité, on aurait dit du cynisme, en effet, et c'en était probablement. « Toi, tu ne devrais pas être là. » En se redressant doucement sur son oreiller, Deirdre put dévisager Blaise avec un peu plus d'avance. En effet, il n'avait absolument aucune raison d'être là. Une chose que, à l'image de ses camarades, elle avait tout à fait compris. Néanmoins, elle se moquait bien qu'il fût là ou ailleurs... seulement, non, il n'aurait pas dû être là.

▬ Qui voudrait avoir un coeur quand il peut avoir un lit?


Je soupirais, j'étais donc condamné à partager ma couche avec un autre habitant du moins pour le moment. Ce n'étais pas que Rusty m'était antipathique, au contraire, je la trouvais drôle... Mais j'avais tout simplement l'habitude de dormir seul et de pouvoir m'étendre de tout mon long ce qui bien sur ne m'étais plus possible.


▬ Toi, tu ne devrais pas être là.
▬ Si je te fais chier, autant le dire tout de suite.


J'arcquais un sourcil, ne voyant pas du tout où elle voulait en venir.

Étrangement, Blaise conservait des allures singulières. Sa différence n'était pas comparable à celle de Deirdre, loin s'en faut, puisqu'il disposait précisément d'une allure plutôt que d'une nature. Cela n'intriguait pas spécialement la jeune irlandaise qui, très honnêtement, lui prêtait autant d'intérêt qu'à chacun de ses comparses. Ils étaient là, tant mieux. Ils ne l'étaient pas, peu importe. Et rien de plus. Aussi ses remarques lui passaient-elle relativement au-dessus, à commencer par sa prompte répartie s'agissant de son lit. En revanche, et parce qu'il semblait avoir pris son pur constat avec une certaine distance, Deirdre sembla un peu mieux disposée à diffuser le fond de sa pensée. « Tu ne devrais pas être là, c'est tout. » Offenser ou vexer autrui, ce n'était pas un passe-temps qui intéressait réellement la jeune irlandaise. S'il n'était pas apte à se rendre compte de lui-même de son inadéquation, elle n'allait pas le lui répéter une fois de plus. « Tu es là. Tu ne l'es plus. Tu pars. Tu viens. Tu es libre... complètement libre. Libre de moi, en tous les cas. » Le disant, elle se rallongea dans un soupir.

Curieux, j'observais l'habitante, elle était intriguante mais à la fois elle m'était relativement antipathique. Je n'arrivais pas vraiment à saisir son mode de pensée où même d'agir.


▬ Et mis-à-part faire des constats philosophique et te laisser mourir tu sers à quoi dans la vie? Répliquais-je simplement sur le ton de la conversation.


Je restais donc silencieux à ses côtés attendant sa réponse... Si du moins elle dédaignait me répondre car elle ne semblait pas très portée sur la conversation...

Blaise, arrivé récemment au sein du nid et déjà seul à seul en compagnie de Deirdre, il allait se faire dévorer tout cru. Leone se devait d’être présent, néanmoins il ne savait pas de quel côté pencher. Regarder le nouveau se prendre au piège dans le jeu ténébreux de la Poète ou tenter de limiter les dégâts, le préservant encore un peu ?

« Moi je peux faire de toi mon prisonnier si tu veux, promis je ne te laisserai pas mourir. » Murmura-t-il un brin ironique à l’oreille de son colocataire, en réponse à ce que la demoiselle venait de dire à propos de sa liberté.

Le jeune Américain passa juste derrière Blaise pour finalement s’allonger aux côtés de la fille d’Apollon. Elle le qualifierait peut-être encore de voleur, cette fois effectivement c’était intentionnel. Il plia l’oreiller de Camille sous sa tête, se sentant étrangement bien.

Pendant quelques secondes, Deirdre s'accorda le droit de sonder le regard d'un Blaise fort... improbable. Oui, le personnage semblait incongru en lui-même. En attendant, elle fût essentiellement capable de hausser les épaules, accusant davantage l'indifférence que l'ignorance. « Faire parler. » Puisqu'il semblait s'en servir de la sorte. Et, d'ailleurs, elle faisait souvent parler d'elle sans avoir rien demandé. Si Blaise en faisait partie, grand bien lui fasse, ce n'était pas elle qui allait faire quoi que ce soit pour accroître ou résorber cet état de fait. A plus forte raison parce que ce fût au tour de Leone d'intervenir et d'y aller de son commentaire. A l'encontre de Blaise, et de Blaise seulement. Dans ces cas-là, Deirdre savait se faire oublier et sanctifier son absence, plus encore quand il semblait exister une sorte... d'intimité quelconque. En attendant, elle l'accueillit en toute quiétude quand il vint s'allonger à la place de Camille. « Voleur. » Cette fois, elle lui avait rien pris à elle. Cela ne changeait rien à la sorte d'affection furtive qu'elle avait pour Leone. Il était certainement l'un des rares habitants dont elle s'accoutumait volontiers de la présence. Cela ne signifiait pas qu'ils avaient d'enflammées discussions de fond l'un sur l'autre... Juste qu'elle aurait pu se complaire de silence en sa présence, ce qui était loin d'être acquis pour beaucoup. « J'ai de la fièvre, lâcha-t-elle après un moment. J'aime cette sensation. » Blaise était là, ou Blaise ne l'était pas, le constat demeurait.

Alors que j'attendais veinement une phrase de la part de l'habitante comportant plus qu'un simple verbe-sujet-complément, un autre habitant fit son entrée dans la pièce... Il avait été l'un des agiteurs lors du dernier prime et je me souvenais de son visage, pas de son nom bien sur.


▬ Moi je peux faire de toi mon prisonnier si tu veux, promis je ne te laisserai pas mourir.
▬ Je ne suis pas le genre d'animal qu'on peut mettre en cage. Répondis-je du tac'o'tac.


Apparement, La brune et lui était amis, ou du moins assez proche pour qu'il puisse se permettre de se coucher à côté de celle-ci... En quelques secondes, il obtint plus d'information de sa part que moi en cinq minutes... Exaspéré je lançais.


▬ J'espère que t'es plus bavard que ta pote, parce que là j'ai l"impression de parler à un mur... Enfin, un mur un brun philosophe...

« Dieu aima les oiseaux et inventa les arbres. L'homme aima les oiseaux et inventa les cages. Toi tu me donnes envie de réinventer la laisse. » Répliqua-t-il avec humour, aucun sous-entendu bien sûr.

Leone s’approcha davantage de la demoiselle puis posa délicatement le revers de sa main sur son front. Pas convaincu, il l’embrassa ensuite au dessus des deux yeux. Effectivement Deirdre devait avoir un peu de fièvre, elle avait sûrement pris un petit coup de froid.

« Tu pourrais aller humecter un gant de toilette d’eau froide s’il te plaît ? J’aimerais lui rafraichir le visage. » Demanda-t-il poliment à Blaise.

De toute évidence le nouvel arrivant n’avait pas l’air enchanté par la compagnie de la fille d’Apollon, autant qu’il se rende utile. Leone s’était toutefois redressé prêt à rejoindre la salle de bain lui-même. D’après son comportement lors du prime, Blaise ne semblait absolument pas dévoué et tourné vers ses camarades. Néanmoins, la première impression n’était pas toujours la bonne.