Elliot

LUNDI 15 OCTOBRE ; 20H04
FÊTE FORAINE ABANDONNÉE

J'avais "frôlé" l'élimination la veille, et comptais bien profiter des semaines à venir au cas où une nouvelle nomination devait me tomber dessus prochainement, ce que je n'espérais pas, bien au contraire. Non content d'entreprendre une promenade de nuit dans les rues du village, mes pas me guidèrent bientôt jusqu'à cette fameuse fête foraine où j'avais déjà eu l'occasion de me rendre une ou deux fois depuis le début de l'aventure. Ce lieu, c'était... tout moi. Ces manèges, ces stands, ces illuminations à vous faire rêver. Pensant m'y trouver seul ce soir, je fus quelque peu surpris d'apercevoir non loin de moi l'une de mes camarades, la jolie Elliot. Je m'approchai d'elle tout en tenant fermement mon écharpe contre ma gorge, m'étant quelque peu enrhumé en fin de semaine dernière. J'hésitai à l'aborder, avant tout parce que ma gorge me faisait souffrir et que chaque prise de parole était douloureuse, et finalement je me décidai à faire entendre le son de ma voix. « J'adore cet endroit, aaaah... Parfois je me demande si je ne suis pas resté un enfant. Enfin, il est certain que j'en ai gardé l'âme,... et la maturité. » Vous peinerez à trouver dans ce village quelqu'un de plus immature que moi, de plus crédule et influençable également. Je demeurais assurément une proie facile pour les plus grands manipulateurs... Mais peut-être souffrais-je tout simplement du syndrome de Peter Pan, cette angoisse de devenir adulte, commune à certaines personnes de mon âge. Peter Pan, vous savez, l'enfant qui ne voulait pas grandir. Sauf que moi, je n'avais pas de petite fée secrètement amoureuse de moi à mes trousses, ce dont je n'allais pas me plaindre d'ailleurs... Mon enfance avait été joyeuse, et c'était une période que je venais effectivement à regretter et pour cause, dans ma vie, tout s'était gâté à l'adolescence. La perte d'un être très cher à mes yeux, le début des ennuis liés à une religion non acceptée par tous... Rien d'étonnant donc que je me plaise à me rendre dans des lieux comme cette fête foraine qui, malgré le fait qu'on la disait abandonnée, me replongeait dans un univers enfantin qui se voulait rassurant, et au sein duquel je me sentais bien. Mais je ne savais pas pourquoi je parlais de ça à Elliot, en fait. Peut-être s'en fichait-elle royalement, ou tout du moins, n'avait-elle pas grand chose à faire de mes histoires d'enfance et de maturité. J'espérais en tout cas ne pas être d'une quelconque gêne, et si c'était le cas, j'entreprendrais bien sûr de m'en aller. Si il y avait bien une chose que je ne supportais pas, c'était de déranger mon prochain. Aussi, Elliot n'avait qu'à me le dire, vraiment, j'étais susceptible de la laisser si ma présence était jugée indésirée.

Je me recouvre de ma veste en cuir. J'erre ça et là sans but, sans destination. Mon regard vagabond s'attarde sur des luisances lointaines. Brusquement, resurgissent ces souvenirs d'enfant qui vous bercent la nuit quand vous êtes seuls. A l'embrasure de mes lèvres, j'y loge une clope que j'allume en suivant les empreintes de pas au sol. Je balaie de mes yeux océan le paysage hypnotisés par cette lueur qui émane de loin. Les mains dans les poches, mes pieds me m'emmènent auprès de cette clarté qui obscurcit le ciel au-dessus de ma tête. Des illuminations, des couleurs par milliers, des effluves de sucrerie. La fête foraine, vestiges de l'enfance. Les lieux se parent de ses plus beaux atours pour accueillir les visiteurs dont l'étranger derrière moi. Je le sens qui s'approche. Je tire une latte. Ma tête pivote, mon regard rencontre celui de l'égyptien. Un sourire nait instantanément en voyant son visage. - J'adore cet endroit, aaaah... Parfois je me demande si je ne suis pas resté un enfant. Enfin, il est certain que j'en ai gardé l'âme,... et la maturité. A l'entendre dire, on dirait que c'est une tare alors qu'au contraire, je trouve cela formidable. Une fraîcheur et une innocence émanent de lui, un de ses enfants oubliés de l'Histoire. Un des enfants perdus du Pays imaginaire. Je hoche la tête, perdue dans mes pensées. Je réplique d'un air rêveur : - Je crois qu'au fond de nous-mêmes, nous avons tous garder une âme d'enfant. Chez certains, elle est enfouie voire même refoulée. Chez d'autres, cet esprit enfantin en est encore plus exacerbé. Moi aussi, j'ai gardé une part d'enfance. Je suis encore ce garçon manqué qui se battait dans la boue, qui montait aux arbres, qui se roulait parterre. Je ris. Chaque homme a une vision propre de leur enfance. Mon enfance à moi était empreinte d'odeur. L'enfance a ses odeurs. L'odeur des cigarillos de Papa, des vieux vinyles, de l'océan au crépuscule. - Comment était ton enfance ? Quand je parle d'enfance, je ne peux m'empêcher d'y penser avec une pointe de nostalgie, mais surtout de rêverie. Cela ne me paraît pas si lointain que cela. C'est comme si c'était hier ... Les fêtes foraines me rappellent les étés interminables, le 4 du mois de juillet, les feux d'artifices.

Cette fête foraine était un lieu propice aux rencontres, visiblement. À chaque fois que je m'y étais rendu, j'étais tombé sur une camarade. La première fois, ce fut Tris, la seconde, Nicole, et voilà maintenant que j'avais le plaisir d'accoster Elliott, à qui je parlais d'ailleurs de mon enfance, et de ce que j'en avais gardé, à savoir une âme et une maturité de gosse. « Je crois qu'au fond de nous-mêmes, nous avons tous garder une âme d'enfant. Chez certains, elle est enfouie voire même refoulée. Chez d'autres, cet esprit enfantin en est encore plus exacerbé. Moi aussi, j'ai gardé une part d'enfance. Je suis encore ce garçon manqué qui se battait dans la boue, qui montait aux arbres, qui se roulait parterre. » C'est amusant, je l'imaginais parfaitement dans ce rôle. Aussi, comme elle le disait si bien, elle avait gardé un petit côté garçon manqué qui faisait, à mon sens, tout son charme. « Comment était ton enfance ? » Évoquer mon enfance, une époque bel et bien révolue malgré le fait que je n'en étais jamais réellement sorti, me rendait un brin mélancolique. Pourtant cela avait été une période tout à fait plaisante - à l'époque je me sentais bien, je ne craignais rien. Tout avait changé quand j'avais pris conscience que nous évolutions dans un monde dangereux, où l'homme pouvait faire à son prochain les pires atrocités. « Ce fut la meilleure période de ma vie. Je ne pense pas être de nouveau amené à être aussi heureux un jour... J'avais tout : une famille unie, une innocence... » Et j'ai tout perdu du jour au lendemain. En cause, un attentat terroriste, et une fille s'étant jouée de moi au point de changer l'être que j'étais, et de déterminer celui que je suis devenu. Cette famille était toujours aussi unie, mais elle avait perdu son pilier, et demeurait désormais plus fragile que jamais. Quant à cette innocence, oula, il y a bien longtemps qu'elle avait disparu. « J'étais un gosse épanoui, je ne travaillais pas trop mal, j'avais plein de copains, des parents tentant de me gâter avec de faibles moyens mais dont l'amour qu'ils me portaient suffisait amplement... Nous n'étions pas bien riches mais ça nous importait peu, au moins nous étions heureux ma mère, mon père, mon frère et moi. » Mais ça... c'était avant. « C'est dingue comme à l'adolescence, tout peut changer. » Mon adolescence à moi rimait avec ennuis. J'avais encaissé, encore et encore, année après année. J'avais aussi quitté ce pays dans lequel j'avais grandi, et auquel je tenais tant. Ressasser tout ça me plongeait dans une profonde nostalgie, et je crois que cela s'entendait à ma voix, et se lisait sur l'expression de mon visage. Je reportai le regard sur Elliott, souriant difficilement. « Parle-moi de la tienne. S'il te plait. » Je cois que j'avais besoin qu'elle fasse la transition en fait, afin de ne pas en rester à mon enfance, à ces souvenirs que je me remémorais avec une certaine amertume, et beaucoup de regrets. Et j'étais toujours demandeur d'informations concernant mes camarades, Elliott étant d'ailleurs une jeune femme fort sympathique qu'il me tardait d'apprendre à connaitre d'avantage. J'espérais qu'elle avait elle aussi eu une enfance joyeuse, mais que contrairement à moi les choses ne s'étaient pas gâtées par la suite pour elle.

La fête foraine illumine de mille feux, le soir venu. Je contemple les illuminations, mon esprit voguant vers un temps révolu. Cela ne sert à rien de ressasser le passé. J'avoue éprouver une certaine nostalgie en repensant à mes souvenirs d'enfant. Parce que je n'ai l'impression d'avoir gagné en mature. Au fond de moi, je suis restée cette petite fille avec sa casquette sur la tête filant à toute à l'allure vers la mer. - Ce fut la meilleure période de ma vie. Je ne pense pas être de nouveau amené à être aussi heureux un jour... J'avais tout : une famille unie, une innocence... Je hoche la tête, puis tire une énième latte, recrachant la fumée par le nez. Je comprends ce qu'il veut dire innocence et famille unie. Mon enfance n'était que soleil et mer. Un soleil qui réchauffe le cœur et une mer qui vous enlace. Mon père était ce soleil qui vous grise, qui vous captive. Et nous, nous gravitions autour de lui tels des astres. Il était notre point d'ancrage, notre horizon à tout. Une famille soudée, qu'on pensait inébranlable sauf que le destin en a voulu autrement. Ma famille n'est plus ce qu'elle était. Elle a perdu de sa splendeur, de sa gaité. - J'étais un gosse épanoui, je ne travaillais pas trop mal, j'avais plein de copains, des parents tentant de me gâter avec de faibles moyens mais dont l'amour qu'ils me portaient suffisait amplement... Nous n'étions pas bien riches mais ça nous importait peu, au moins nous étions heureux ma mère, mon père, mon frère et moi. » Mais ça... c'était avant. « C'est dingue comme à l'adolescence, tout peut changer. Une enfance que tout bambin devrait avoir. Beaucoup d'affection, beaucoup d'amour. En somme, c'est ce qui constitue un foyer, un chez-soi. L'amour qu'éprouvent les parents envers ses enfants est incomparable et inaltérable. La richesse extérieure est futile. Le bonheur ne peut être corrompue, donc il ne s'achète pas avec des cadeaux hors de prix ou de jouets à la mode. Un câlin, un geste de tendresse, un regard affectueux suffisent. - C'est dingue comme à l'adolescence, tout peut changer. L'adolescence que je considère comme une coupure nette avec notre enfance. Nos corps changent, muent en un être pré-pubère fonctionnant qu'avec ses hormones et non ses neurones. L'adolescence, une des périodes les plus douloureuses de mon existence. - Parle-moi de la tienne. S'il te plait. Je le regarde, puis un sourire infiniment doux se dessine sur mes lèvres. Je tire une dernière bouffée avant de jeter mon mégot. Je réponds de ma voix éraillée. - Mon enfance, ce sont les baignades interminables, les siestes dans le jardin, les rires des enfants du quartier, les robes à fleur de ma mère, le drapeau américain qui flotte au gré du vent, le goût salé de la mer, les glaces à s'en péter la panse, les cigarettes de mon père, les câlins de mes sœurs. Je ris. - J'ai tellement de souvenirs que c'est difficile d'en sélectionner. Je sors une autre clope de ma clope puis l'allume sous ses yeux, la nicotine s'infiltrant doucement dans mes poumons. - Plus le temps passe, plus certains souvenirs s'effacent pour faire place à de nouveaux. Il ne faut pas que notre passé nous empêche de vivre. Je plante mon regard dans le sien. Cela ne sert à rien de s'accrocher désespérément au passé. On doit vivre au jour le jour, sans penser au lendemain. Tel est mon crédo.

J'avais été un gosse heureux, ayant bénéficié du soutien, de la compréhension mais surtout de l'amour de mes parents. Et puis j'avais eu un frère avec lequel j'avais tout vécu, tout enduré. Un lien fraternel était plus fort que n'importe quel autre lien. Quand je pensais à mon frère, je pensais automatiquement aux deux gamins surexcités que nous étions, incapables de tenir en place. Après avoir fait part de mon enfance à Elliott, je demandai à la jeune femme de me narrer la sienne, dans les grandes lignes. « Mon enfance, ce sont les baignades interminables, les siestes dans le jardin, les rires des enfants du quartier, les robes à fleur de ma mère, le drapeau américain qui flotte au gré du vent, le goût salé de la mer, les glaces à s'en péter la panse, les cigarettes de mon père, les câlins de mes sœurs. » Elle s'arrêta un instant, se mettant à rire tandis que j'esquissais un fin sourire - je trouvais que son enfance avait une dimension magique que la mienne n'avait pas. « J'ai tellement de souvenirs que c'est difficile d'en sélectionner. » C'était aussi mon cas. Ces souvenirs, aussi nombreux eurent-ils été, resurgissaient les uns après les autres tandis que mes pensées s'embrouillaient presque. « Plus le temps passe, plus certains souvenirs s'effacent pour faire place à de nouveaux. Il ne faut pas que notre passé nous empêche de vivre. » Comme c'était bien dit. Notre passé ne devait pas nous empêcher de vivre, effectivement. Ça, Elliott l'avait bien compris. Moi, en revanche, il me restait encore à l'assimiler. « Je suis bien d'accord. J'ai hélas trop tendance à regarder derrière moi, ce que j'ai laissé, ce à quoi je n'aurai plus droit, ceux que je ne reverrai plus... Il faudrait que je parvienne à faire comme toi, regarder droit devant moi, vivre dans le présent, et accepter le fait que l'enfant béat de Shubra El-Kheima a laissé place au vendeur de matelas de Londres. » La vie que je menais actuellement en Angleterre différait en tous points de celle menée bien des années plus tôt en Égypte. Les années avaient passé, et il était grand temps de tenter, puis de parvenir à laisser derrière soi tous ces souvenirs qu'il était certes préférable de garder à l'esprit, mais sur lesquels il ne fallait pas pour autant constamment se reposer, comme je le faisais. « Cette question va probablement te paraitre dénuée de tout sens logique au vu de notre conversation,... mais désires-tu devenir mère, un jour ? » Ce n'était pas un piège, juste une interrogation comme une autre. Pour tout vous avouer je voyais bien Elliot à la tête d'une fratrie nombreuse d'ici quelques années, mais ça je me gardais bien de le lui dire... Imaginez un peu qu'elle m'eut affirmé n'avoir aucun instinct maternel, j'aurais eu l'air malin moi. Mais cette question m'était venue à l'esprit en repensant aux sœurs d'Elliot. Les personnes ayant grandi au sein d'un foyer composé de plusieurs enfants avaient parait-il d'avantage le sens de la famille, et étaient donc tout à fait susceptibles de donner lieu à une progéniture. Je crois que c'était mon cas, bien que rien ne laissait présager que je puisse devenir père prochainement. Pourtant j'adorais les enfants, alors je tendais à penser que peut-être, un petit Malik junior verrait le jour sur cette planète, un de ces quatre. Restait à savoir si l'expérience de donner la vie - merveilleuse selon ma mère - branchait Elliot, ou pas du tout.

Parler de mon enfance m'a fait revenir à des années en arrières. Des années que j'aurai voulu oublier car elles me rappellent ces moments où ma famille ne s'est pas encore déchirée. Où on était encore tous ensemble. Où mon père était encore en vie. Me ressouvenir de tout ça me fait mal. C'est douloureux de revoir ces images de mon père. Je n'ai pas réussi à faire son deuil. J'ai peur de l'oublier en passant à autre chose. Mais je me dis qu'il le faut. Pour avancer, pour aller de l'avant. - Je suis bien d'accord. J'ai hélas trop tendance à regarder derrière moi, ce que j'ai laissé, ce à quoi je n'aurai plus droit, ceux que je ne reverrai plus... Il faudrait que je parvienne à faire comme toi, regarder droit devant moi, vivre dans le présent, et accepter le fait que l'enfant béat de Shubra El-Kheima a laissé place au vendeur de matelas de Londres. Il habite désormais à Londres ... Loin des siens. Cela n'a pas du être facile d'être séparé d'eux. Il avoue être resté coincé dans le passé, oubliant de se fixer un but dans la vie. De se recréer et de vivre surtout. Vivre chaque instant comme si c'était le dernier. C'est ce que je fais. C'est ce que j'ai toujours fait. J'espère qu'à son tour, il fera de même. Ce n'est jamais bon de ressasser le passé. Cela en sert à rien. Cela ne changera rien à la situation actuelle. Je lui souhaite de trouver sa voie surtout. Je ne suis pas la mieux placé pour donner des leçons de moral. Moi, j'ai passé ma vie à fuir. Mon passé, mes relations sans lendemain, mes proches. J'ai tout laissé derrière moi pour l'aventure. Au final, cela n'a rien changé dans ma vie. Là, j'apprends à me construire. A trouver d'autre choses pour combler le vide dans mon existence. - Cette question va probablement te paraitre dénuée de tout sens logique au vu de notre conversation,... mais désires-tu devenir mère, un jour ? Mon visage s'illumine. La question ne se pose même pas. Je hoche la tête, puis lui souris. - Je veux devenir mère. Je veux un petit tribu et j'adore les enfants. C'est mon rêve pour plus tard. Je suis encore jeune. Quand j'aurai fini de voyager, quand j'en aurai marre de mon train de vivre, je me poserai et me marierai peut-être. Pour ça, il faudra trouver l'homme idéal. Et c'est pas gagné. Je ris. Je me vois mal en épouse dévouée. Mais pourquoi pas. Avoir des enfants, ce serait le plus beau des cadeaux de ma vie. - Je t'imagine bien en père de famille. Il ferait un très bon père à mon avis. Un père attentionné et aimant. - Tu crois au mariage ?, lui demandai-je en tirant une latte.

Je ne sais pas trop ce qui m'avait poussé à lui poser cette question. Elliot était comme moi issue d'une fratrie de plusieurs enfants, alors tout naturellement je m'étais demandé si l'envie de devenir mère, un de ces quatre, se faisait ressentir de son côté. « Je veux devenir mère. Je veux un petit tribu et j'adore les enfants. C'est mon rêve pour plus tard. Je suis encore jeune. Quand j'aurai fini de voyager, quand j'en aurai marre de mon train de vivre, je me poserai et me marierai peut-être. Pour ça, il faudra trouver l'homme idéal. Et c'est pas gagné. » J'étais persuadé qu'elle finirait par le trouver, son homme idéal, le père de ses enfants. Pas forcément ici - hm, quoi que... -, mais un jour, dans quelques années, elle aurait les enfants qu'elle désirait, et l'époux dont elle rêvait. Oui, c'était à mes yeux une évidence, car elle le méritait amplement. Elle méritait de connaitre et les joies de la maternité, et les joies du mariage. « Je t'imagine bien en père de famille. » C'est drôle, parce que je m'imaginais moi aussi assez bien dans ce rôle. Sans doute parce que j'adorais les enfants, et que je rêvais de fonder une famille nombreuse. « Tu crois au mariage ? » J'avais déjà pensé au mariage. L'insouciance des jeunes années peut parfois vous pousser à envisager bon nombre de choses, croyez-en mon expérience. « J'avais prévu de me marier. Je pensais avoir trouvé la femme de ma vie, mais j'étais trop jeune, trop naïf. Je me demande d'ailleurs si de ce côté-là j'ai évolué... » J'étais un éternel crédule, tout le monde le savait maintenant. « Mais j'y crois toujours. Je me dis que, m'étant fait duper, je trouverai bien un jour celle avec qui passer le restant de mon existence. Dans ma famille, le mariage a quelque chose de sacré. Mon frère est passé par là récemment, et ma mère attend de moi que je fasse la même chose. Seulement je préfère ne pas me presser... De toute façon, cela n'adviendra pas avant un moment je pense, car il me faudra retrouver l'amour, et je ne fais rien pour depuis plusieurs années maintenant... » Allez savoir, j'étais peut-être passé à côté de la femme de ma vie, en esquivant une conversation dans un bar, en préférant ne pas recontacter une demoiselle avec laquelle j'avais pourtant passé une bonne soirée... Cela ne m'étonnerait tellement pas. Et pour le coup je ne pouvais m'en prendre qu'à moi-même, car j'étais probablement le type le moins entreprenant de cette planète, sans rire. Mon ventre se mit soudainement à gargouiller, ce qui me poussa à jeter un coup d’œil à ma montre - ah la vache, vingt heures passées. « Je te propose de rentrer, nous dinerons ensemble si tu veux. » En tout bien tout honneur, bien entendu. Vu l'heure, il fallait effectivement penser à diner, et puisque le destin avait voulu que nous nous retrouvions ce soir tous les deux dans cette fête foraine, pourquoi ne pas poursuivre cette conversation autour d'un bon repas ?...