dagga + branca

Il est clair que j'étais bigleuse, vraiment car je n'avais jamais vraiment fait attention à cette 'salle de musculation' si tant est qu'on puisse l'appeler comme ça. Mais en dessous de ce préau, mis un peu n'importe comment, je ne pouvais pas savoir que ce bordel était utilisable, absolument pas. Alors après que Dagga m'en ait parlé, je suis allé en reconnaissance et en effet, elle avait raison. Des bancs de musculation, des tapis roulants et des rameurs, la totale pour se garder en forme ou entretenir sa musculature, au choix. J'avais cependant laissé la semaine passée avant de m'y rendre et puis, ayant passé une mauvaise nuit, j'avais décidé de faire un peu d'exercice, espérant que cela me fatigue assez pour me faire dormir rapidement cette nuit. Venant de terminer de ranger quelques affaires dans le dressing, je descends donc et me rends donc à cette salle de musculation où je commence tranquillement avec un tapis. C'est un peu bête, étant donné qu'ici nous avons largement assez d'espace pour courir mais je ne me sentais pas de soulever des poids dès le départ. Je suis encore seule, de toute façon, je doute que beaucoup se pressent ici et c'est tant mieux.

J’avais décidé que cette semaine-ci serait la semaine où je me mettrai à faire de l’exercice physique. J’en avais grand besoin. J’espérais que ça me permette de me défouler un peu, et puis il paraît que les endorphines c’est cool, et ça te fait te sentir super bien après coup. Mouais, autant dire que j’étais pas non plus extrêmement convaincue par tout ça, et je me doutais surtout que j’allais commencer par douiller à cause de mon absence totale de masse musculaire. Le but inavoué de cette expédition, c’était aussi que, vu que j’étais d’assez mauvaise humeur ces derniers temps, je craignais de me mettre à dos certains candidats et j’envisageais même d’être contrainte à en venir aux mains – et je ne souhaitais donc pas me faire massacrer trop facilement. Mais cette crainte-là, je supputais qu’elle avait quelque chose à voir avec cette paranoïa fermement ancrée dans ma personnalité, paranoïa qui contaminait tous mes raisonnements et sensations. Par sécurité, je ne me dirige vers le préau de l’école des garçons qu’en fin de soirée, préférant m’entraîner seule – j’allais sans doute faire pitié à voir, alors autant avoir le minimum de spectateurs possibles. Je déchante vite en voyant que quelqu’un est déjà là, mais mon visage s’éclaire de nouveau quand je reconnais la silhouette de Branca. « Salut ! » je lance à son intention, en m’approchant. Pas besoin de lui préciser ce que je viens faire ici, j’imagine, ma tenue, la bouteille d’eau que je tiens à la main et la serviette posée sur mes épaules parlent pour moi. Je prends place sur un banc de musculation, m'installant, les jambes croisées, retardant jusqu’au dernier moment le début de l’exercice physique. « T’as vu ? Je t’ai prise au mot : je viens mater les jolies filles qui s’exercent. » je lâche, nonchalante, et les yeux pétillants, en m’étirant comme une grosse pacha. J’avais vraiment pas envie de m’y mettre, en fait.

Mon effort est modéré, vraiment très modéré. En fait, je n’ai vraiment pas le cœur à faire du sport et encore moi ici, dans cet endroit miteux où on a empilé trois pauvres machines histoire de pouvoir appelé ça une ‘salle de musculation’. En réalité, j’ai l’impression que la modernité me manque, ici je suis comme dans une autre époque et rien ne va, rien ne tourne rond. Je crois que j’aurais encore préféré la déco rococo du château de la saison passé même si, au premier abord, j’aurais certainement vomi toutes mes tripes. A vitesse moyenne, je marche plus que je ne cours sur ce fichu tapis roulant, sans grand enthousiasme ni motivation. Ma nuit mouvementée s’impose encore à moi et il m’est difficile de penser à quoique ce soit d’autres. Sans parler de la tonne de frustration que j’ai emmagasiné dans la journée et que me rend irascible. J’entends alors qu’on s’approche et je suis parée au décollage d’un ‘Casse toi’ bien vigoureux avant de découvrir que la personne me tenant alors compagnie n’est autre que Dagga et lui dire ça serait malvenu. Avec d’autres, je ne me serais pas gênée. Elle me salut et sourit puis prend place, assise sur un banc de musculation. Je la regarde avec sa petite tenue, sa serviette et sa bouteille d’eau et elle me fait immédiatement penser à ces mannequins qu’on voyait à New York rentrer dans leur salle de gym hors de prix. Grande, élancée, Dagga est tout mon contraire et elle n’a pas vraiment besoin de faire du sport. Je lâche un « Salut » assez vite, sans grand enthousiasme encore. Faut vraiment que j’apprenne à être plus aimable. « Je pense que tu peux enlever le joli mais c’est gentil d’avoir essayé. » Putain mais qu’est ce que je fous là…

La plupart des gens s’imaginent que je suis grande et mince parce que j’ai de la chance, parce que je m’entraîne, j’ai de bons gènes ou une connerie du genre. La vérité, c’est que j’ai jamais vraiment mangé à ma faim, jusqu’à ce que ma faim s’adapte et décide de se montrer moins gourmande. Et puis j’ai toujours plus ou moins mangé sain. Ma mère était pas le genre de nana qui fait des frites à ses bambins tous les week-ends. On mangeait les légumes qu’on faisait pousser dans notre jardin, pareil pour les fruits – à quelques exceptions près, puisque parfois on récupérait ceux des voisins, qui en avaient trop, ou des trucs du genre. Si vous voulez mon avis, ma mère était presque trop saine. Psychologiquement, c’est quand même vachement important pour un gosse de goûter au moins une fois le McDo. Depuis que je suis arrivée au nid, je me suis pas mal rattrapée. Je me goinfre pas mal, mais ça m’écœure vite – forcément, je suis pas habituée. C’est juste que je me dis qu’il vaudrait mieux que je fasse des réserves, tant que c’est gratuit. Le sport, c’est pas tellement pour rester mince que je veux en faire. Je serais pas contre des cuisses un peu plus galbée, et un peu plus de rondeurs. C’est surtout que j’aime l’idée de maîtriser mon corps. Pourtant, arrivée sur place, je ne peux m’empêcher de tirer au flanc. Je regarde Branca, du coin de l’œil, avec la vague sensation de l’importuner. « Tiens, moi qui croyais que tu étais trop futée pour ignorer que t’étais plutôt agréable à l’œil… Faut croire que je me suis trompée. » je lâche, taquine, avant de me demander ce qui me prend : elle avait déjà pas l’air de bonne humeur, et j’en rajoute une couche avec mes piques à la con. Ou était-ce un compliment ? J’en savais fichtre rien. « Ok, désolée, je me tais. J’ai compris : tu voulais juste t’exercer pénard et j’arrive comme un cheveu sur la soupe avec mon enthousiasme de newbie, c’est gavant. Mais on n’est pas obligées de discuter. » je lui assure, en poussant mes affaires pour m’intéresser au banc de musculation, m’installant dessus un peu maladroitement en cherchant à comprendre comment ce truc fonctionnait. C’est clair que ça avait l’air plus complexe que de faire du step dans les escaliers.

Il y a des moments où je me déteste à être si tranchante, si incisive, si brute sans faire attention aux sentiments des gens. Jamais on n'a fait attention aux miens pendant longtemps et c'est certainement pour ça que j'ai cru que c'était ainsi la normalité. Sauf que ça ne l'est pas et ça, je ne l'ai compris que récemment alors j'ai encore besoin de temps pour faire les réglages et comprendre comment tout ça fonctionne. Je ne promets pourtant pas de changer du tout au tout, je ne serais jamais une guimauve, c'est impossible mais je peux au moins essayer d'être plus agréable aux gens que j'apprécie. Et Dagga en fait partie, ici tout du moins. Alors je m'en veux un peu d'avoir été sèche, dans ma tête, ça sonnait mieux mais ma bouche elle, est encore trop habituée à renvoyer chier les gens. Je la reprends sur l'utilisation du terme 'joli' et elle me reprend avec humour ce qui me fait sourire. « Je suis futée mais pas prétentieuse, nuance ! » D'autant plus qu'on m'a longtemps qualifié de beaucoup de choses mais pas souvent de 'jolie'. Je souris, essayant d'adoucir la conversation même si je me rends bien compte qu'elle ne se sent pas à l'aise. « Non t'inquiètes pas, tu ne me déranges pas. Excuse moi je pensais à... autre chose. » Pas besoin de savoir le pourquoi du comment, je n'ai pas envie de l'emmerder avec mes pensées irritantes. Je la regarde, alors qu'elle s'installe sur le banc de musculation. Ok, elle ne sait pas ce qu'elle fait, ça se voit et surtout, c'est amusant. Alors je la regarde, la laissant faire jusqu'à ce qu'elle commence à vouloir attraper les poids... Elle va se tuer, c'est pas possible. Je descends alors de mon tapis et m'approche d'elle, posant ma main sur les poids pour l'empêcher de faire plus de bêtises. « Tu sais qu'à ce rythme, tu risques de te faire très mal ? » Ça serait con. « Déjà, t'es mal mise et surtout, faut choisir tes poids avant, tu crois vraiment pouvoir soulever 50 kg comme ça ? » Personnellement, j'en doute. A moins qu'elle ait une forme surhumaine. Et ça aussi j'en doute.

Sa remarque me fait sourire, je la trouve un brin paradoxale en soi : elle affirme qu’elle n’est pas prétentieuse mais dans le même temps elle prétend tout de même être futée. Ou le terme prétentieuse n’était-il ici qu’à associer avec la beauté physique ? « Admettre que t’es jolie c’est pas de la prétention, c’est du bon sens. Enfin, de mon point de vue en tout cas. » je lui réponds, toujours sur ce ton un peu taquin. Honnêtement, les gens qui se trouvaient beaux ne m’avaient jamais dérangée. C’est bien de s’assumer, d’assumer ce qu’on pense de soi. Enfin, je crois ? Certes, je ne peux pas m’empêcher de trouver ça un peu pathétiques quand des filles pas franchement gâtées par la nature se comporte comme si elles étaient de vraies bombes, mais ce qui est dérangeant alors c’est simplement le décalage entre la réalité et l’idée qu’elles se font d’elles-mêmes. De la même manière que je trouve ça gênant quand des personnes que je trouve rayonnantes ne sont pas satisfaites de leur apparence. Mais bon. On va pas s’éterniser là-dessus non plus. Branca m’assure que je ne la dérange pas, et j’incline légèrement la tête sur le côté, un peu soucieuse, quand elle dit qu’elle pensait simplement à autre chose. « Si jamais tu as envie de… parler de ce ‘autre chose’, je suis là, hein. Bien sûr, je ne veux pas me mêler de ce qui ne me regarde pas et tout, mais je tiens à ce que tu saches que si jamais tu as besoin de quoi que ce soit… Et bien je suis là, tout simplement. » Je me sens un peu niaise de lui sortir tout ce blabla, mais je crois que j’avais besoin de lui dire, même si ma formulation me semble maladroite. Après tout, quand elle me dessinait un cerisier dans le dos, elle était bien là pour moi et mes pensées un peu égocentrique que j’avais besoin de partager, alors il me semblait important qu’elle sache que c’était réciproque, que je pouvais prêter une oreille attentive à ses soucis personnels moi aussi. Je commence à m’installer sur ma machine de torture, un peu gauchement il faut le dire, quand Branca arrive et m’interrompt et je redresse avec un regard interrogateur. Elle m’explique alors ce que j’ai fait de travers, et j’observe mes poids, incrédule. Ok, qui c’est l’abruti qui a mis cinquante kilos là-dessus, aussi ? « D’accord. Il vaut mieux que je mette quel poids, à ton avis ? Et je m’installe comment ? » J’ai un peu l’impression d’être arriérée, ou de repasser par la case maternelle, mais mon ego devrait survivre. « Tu as l’air d’être habituée à ces machines… Tu es plutôt sportive alors ? » j’ajoute en l’examinant sommairement. Elle avait beau faire une tête de moins que moi, j’étais convaincue que si on devait en venir aux mains toutes les deux, elle me battrait à plate couture en deux temps trois mouvements. Non pas que c’était au programme, bien sûr.