L'heure du ménage de printemps à sonné. Je m'arme d'un balai et de produits nettoyants. Il y a encore du boulot pour restaurer les habitations abandonnées. Surtout qu'à la clé, il y a un trésor à trouver. Je retrousse mes manches et hop, au boulot ! Je débarque et je vois qu'une des maisons a vraiment besoin d'être rénovée. Je soupire et j'entre dans l'une des pièces, mon tourne-disque portable sous le bras. Je le pose dans un coin. Je l'allume. La musique se diffuse dans la pièce. The Passenger, de Iggy Pop. Je commence à balayer le sol. Je rencontre un obstacle de taille. Une taille en bois qui a l'air lourd. Une personne fait son entrée. C'est Joshua. Il tombe bien. Je lui demande d'une voix enjouée : - Tu viens m'aider s'il te plaît ? J'ai envie de bouger cette table que je trouve un peu encombrante. Il m'aide à le soulever pour la placer dans un coin de la pièce. Une fois la tâche accomplie, j'enlève la poussière dans mes mains et lui gratifie d'un sourire de remerciement. - Merci d'avoir soutenu Dagga lors du prime. Ces deux-là ont l'air proche. Je suis ravie de voir que la jeune femme est tout de même bien entourée. Il faut qu'elle se sente apprécier de ses paires. Elle a tendance à ne pas avoir confiance en elle. Elle doute constamment de tout alors qu'elle est appréciée par la plupart des candidats. Sa montée dans le classement le montre clairement. Je suis fière de son ascension. - Alors, parle-moi un peu de toi Joshua. Mine de rien, je ne connais rien du gars. Je sais juste qu'il a été en couple avec un certain Sven mais c'est tout ce dont je suis au courant. En même temps, il est assez mystérieux et dévoile très peu de choses de lui. Normal que j'ai envie d'apprendre à le connaître. Je suis curieuse de connaître un peu de son histoire.

A force de répéter les mêmes gestes au fil des semaines qui passent, j'en suis arrivé à côtoyer inlassablement toujours les mêmes lieux. C'est bête, d'un côté. Ce village regorge de coins sympathiques en tout genre et qu'est-ce que je fais, moi, pour honorer tout cela ? Je squatte le dortoir, la salle de bains, la cantine et la salle de musique a longueur de journée. Motivé à découvrir ou plutôt redécouvrir le nid, j'entame ma promenade. Le ruisseau ? Check. La cabane en bois ? Check. Tandis que j'arrive vers les habitations abandonnées, je perçois un bruit. The passenger. Quelqu'un occupe déjà la pièce. Qui que ce soit, il a bon goût. Elle a bon goût. Tandis que je fais doucement grincer la porte, je découvre Elliot, balai en main. « Tu viens m'aider s'il te plaît ? » Je hoche simplement de la tête et l'aide à soulever la table en bois qui l'importune dans son ménage. La jeune femme ramasse les poussières à l'aide de ses mains. Je la regarde, un sourcil arqué. Quelle idée de s'adonner aux tâches ménagères dans un lieu tel que celui-ci ? « Merci d'avoir soutenu Dagga lors du prime. » Mon regard s'oriente vers elle. « Tu n'as pas à me remercier pour ça. » J'esquisse un maigre sourire. Je n'ai aucun mérite. « Alors, parle-moi un peu de toi Joshua. » Parler de moi ? Ah oui, ce truc que je fais depuis le début de l'aventure. Je n'aime pas tellement évoquer ma vie privée, mais sa demande est légitime. On vit ensemble depuis sept semaines et mise à part mon nom, je doute qu'elle sache grand chose de moi. Je m'assois sur la table en bois- cette même table que je l'ai aidée à soulever un peu plus tôt-, puis plonge mon regard dans le sien. « Joshua, vingt-deux ans, sans emploi et musicien à ses heures perdues. Originaire de Paris, vit désormais à Bruxelles. » A force de répéter cette phrase à tout bout de champ, j'ai fini par parfaitement la mémoriser. J'émets un léger rire, puis reprends mon sérieux. « J'ai pas grand chose à raconter. Pas d'exploits, pas de grandes choses d'accomplies. » Je porte mon pouce à ma bouche et me mets à ronger l'ongle de ce dernier. « Et toi, Elliot. Si tu me parlais un peu de toi ? », renchéris-je en enlevant le doigt de devant la bouche.

Depuis toute petite, j'ai toujours été hyperactive. J'étais inépuisable. Je devais sortir, bouger, dépenser toute mon énergie jusqu'à l'épuisement. Là aujourd'hui, vous avez encore la preuve de mon hyperactivité. Je m'ennuyais en début de matinée. Je me suis dit "Pourquoi pas rénover une des habitations abandonnées, hein ?". Dans mon ambition folle de grand nettoyage, je n'ai pas pensé que la tâche allait être ardue. Je me ramène avec mon ridicule balai alors qu'il reste des tas de choses à faire. Comme par exemple, déménager les meubles. La table se trouvait là, isolée des autres meubles. J'ai demandé de l'aide au jeune homme qui acceptât gentiment. Après l'avoir bougé, il vient s'asseoir dessus. Nos regards se croisent. Je lui souris. - Tu n'as pas à me remercier pour ça. Cela me tenait à cœur de le remercier parce qu'il a été là pour ma partenaire Dagga au moment elle avait besoin de soutien. Je suis reconnaissante à la jeune femme car elle s'est sacrifiée à ma place. Bien sûre, je lui retournerai l'appareil tôt ou tard. Pour le moment, je suis ravie de voir que des gens l'apprécient et lui apportent tout le soutien qu'il lui faut. Ca peut paraître excessif, mais je tiens à ma partenaire. Je le regarde s'asseoir sur la table. - Joshua, vingt-deux ans, sans emploi et musicien à ses heures perdues. Originaire de Paris, vit désormais à Bruxelles. Lorsqu'il a dit qu'il était musicien, je n'ai pas pu m'empêcher de sourire. Encore un autre musicien. Nous avons un point commun, c'est déjà ça. - J'ai pas grand chose à raconter. Pas d'exploits, pas de grandes choses d'accomplies. Ça n'a pas d'importance. Je ne lui demande pas une liste d'exploits. En général, les gens exagèrent lorsqu'ils parlent de leur expérience personnelle. Les détails de leur vie sont parfois embellis et mettent avant l'extraordinaire là où il n'y en a pas. J'aime les gens ordinaires et simples. - Et toi, Elliot. Si tu me parlais un peu de toi ? Je ne vais pas entrer dans les détails. Je dis juste l'essentiel. - Elliot, vingt-quatre ans, critique de musique indépendante. Originaire de Los Angeles, vit toujours à L.A. Je remarque qu'il se ronge aussi les cuticules. Je ne peux m'empêcher de commenter : - On devrait former le club des rongeurs d'ongles. Regarde. Je lui montre mes ongles déchiquetées. Je ris. - Alors, tu joue de quel instrument ? Si on part dans une discussion autour de la musique, je ne vais pas pouvoir m'arrêter. Et ce n'est pas une bonne idée parce que je peux en parler des heures.

J'estime ne pas mériter son "merci". Ce mot n'a peut-être pas de grande signification à ses yeux, mais personnellement, il a beaucoup d'importance aux miens. On remercie quelqu'un quand il a fait quelque chose de bien. Je n'ai pas sauvé Dagga d'une mort certaine à ce que je sache- quoiqu'en fait, en comptant l'épisode des thermes..-, je l'ai juste soutenue. Plus parce que j'en avais envie, que parce qu'elle en avait besoin, en fait. Parce que si j'étais parti de ce second raisonnement, je me serais montré attentionné à l'égard de chacun des candidats nominés, chaque semaine. Ce qui n'a pas été le cas. Et c'est mal. On devrait tous se soutenir entre nous, en fait. Nous sommes comme une grande famille, maintenant, après tout. Non ? Non. Je m'assois sur la table, me demandant bien de quelle manière je vais pouvoir me présenter à elle. J'opte finalement pour la facilité en ne faisant pas original du tout. En deux phrases, je lui donne mon nom, mon âge, mon emploi- ici, en l'occurrence, non emploi- et lui dévoile ma plus grande passion: la musique. Rien de bien extraordinaire, en somme. Je lui retourne ensuite sa question. En y repensant, je ne connais pas grand chose sur elle, non plus. « Elliot, vingt-quatre ans, critique de musique indépendante. Originaire de Los Angeles, vit toujours à L.A. » Je secoue la tête de haut en bas pour lui montrer mon admiration. Critique de musique indépendante à Los Angeles, rien que ça. J'ai à peine le temps d'ouvrir la bouche qu'elle reprend la parole. « On devrait former le club des rongeurs d'ongles. Regarde. » Mes yeux s’exécutent. Effectivement, on est pareils à ce niveau là. « D'après ma mère, ça m'aura valu une appendicectomie. » Je ris légèrement, me remémorant ce fameux dicton de ma génitrice, puis lui montre l'état de mes ongles aussi. On évoque ensuite un tout autre sujet- commun à nos deux personnes, lui aussi-, la musique. « Alors, tu joues de quel instrument ? » Je lui adresse un maigre sourire. « Piano, guitare, et pourquoi pas prochainement de l'harmonica ? » Oui, ça vient de me prendre comme ça. J'ai toujours désiré apprendre d'un nouvel instrument. « Tu joues d'un instrument, toi ? » Je suppose qu'elle n'a pas choisi de travailler dans le secteur de la musique pour rien. Elle doit forcément savoir jouer d'un instrument. Donc, ma question est quelque peu rhétorique, oui.

Il s'est assis sur la table. J'étais quelque peu réticente à l'idée de s'asseoir dessus. J'ai peur que la table cède sous poids et qu'il se fasse mal. Il a ses fesses dessus depuis quelques minutes déjà. La table a l'air plutôt solide malgré sa vieillesse sans doute avancée. Je lui dis rapidement qui je suis en entrant pas trop dans les détails. Je n'aime pas trop raconter ma vie dans un monologue interminable. Je préfère qu'on me pose des questions toutes simples auxquelles je répondrai en toute honnêteté. Je lui montre mes ongles monstrueuses. Je vois que les siennes ne sont guère meilleures. Oui, on devrait vraiment former un club. - D'après ma mère, ça m'aura valu une appendicectomie. J'imagine très bien ce que c'est une appendicectomie. J'en ai vue une à la télévision une fois, dans une chaîne du câble. Un documentaire montrant les chirurgiens en pleine action. Je me suis toujours rongée les ongles. Et ça depuis que je suis toute gamine. J'ai tout essayé pour arrêter, mais il y a rien y faire. A cause de la clope, ça s'est empiré. Maintenant, c'est devenu presque un tic. Il m'a révélé qu'il était musicien. Encore un autre point commun que nous avons. Il me répond : - Piano, guitare, et pourquoi pas prochainement de l'harmonica ? C'est déjà pas mal. L'harmonica, ça c'est une bonne idée. Mon père en jouait quand il était plus jeune. Moi, je n'ai jamais su en jouer correctement. Je manque un peu de souffle peut-être. - Tu joues d'un instrument, toi ? J'acquiesce, je lui souris et lui répond avec enthousiasme : - De la guitare aussi. Je joue du ukulélé en plus. J'ai toujours eu une affection particulière pour les instruments à corde. - Tu n'as jamais voulu passer professionnel ? Ou en faire ton métier carrément ? La musique est avant tout une passion, avant un métier. Mais je sais que certains aiment en vivre. Ils ne peuvent pas s'en passer, donc c'est devenu leur métier. J'ai toujours su que j'allais travailler dans la musique. Devenir musicienne, ça n'a jamais été un de mes grands rêves. Moi, je préfère produire la musique, dénicher de nouveaux talents.