candace

Je ne sais plus trop à combien de verre je suis rendu. Mais je regard la bouteille posé contre le bar, et ça doit en faire beaucoup puisque la bouteille qui était à peine entamé, est maintenant rendu à presque la moitié. Cette place à un mauvais effet sur moi, autant que je m’y sens attaché. En fait, depuis la dernière année, je crois qu’on peut me considérer à la limite de l’alcoolisme. Dans le genre, ce n’est pas un besoin nécessaire de boire de l’alcool, je ne me sens pas mal si je n’en prend pas non plus, mais c’est toujours un plus. C’est toujours ce qui me vient à l’esprit lorsque je suis seul et que je pense à mes emmerdes. Lorsque je pense à ma célébrité. Quelle célébrité ? Je soupire, le menton perché dans le creux de ma main, le regard particulièrement vide, particulièrement cliché comme image. Je l’assume, je suis un cliché ambulant. La porte s’ouvre je ne tourne même pas la tête pour remarquer qui vient me rejoindre. Je m’en fous. De toute façon, dans ce village, y’a pas moyen d’être seul lorsqu’on en a envie. Sauf que l’odeur de la personne qui se retrouve à mes côtés ne peut me tromper, même mélangé à l’alcool qu’elle-même sent. Parce que oui, il s’agit d’une fille. Oui, cette fille à but aussi. Et oui, je sais maintenant que c’est Candace. Je pousse la bouteille en sa direction dans un geste lent et peu contrôlé, réussissant tout de même à ne pas faire basculer celle-ci et gaspiller tout son contenu. « Je peux toujours compter sur toi pour me tenir compagnie. » Et c’est souvent vrai. J’ai l’impression d’avoir trouvé une personne qui manquait à ma vie, aussi stupide que cela peut paraître. Jamais je n’ai rencontré quelqu’un comme Candace. Et si elle semble se foutre de tout, moi je suis attaché à elle. Et je me fous un peu que ça ne soit pas réciproque de la même façon, elle n’est tout de même pas réticente à moi, je ne dois donc pas être un fardeau à sa vie d’ici. Enfin, je me fais peut-être de douces illusions aussi, je ne sais pas. Je tourne finalement la tête vers elle, la fixant. « Tu bois pour oublier, ou tu bois pour t’amuser ? » Je demande, même s’il peut y avoir cinquante milles autres raisons du pourquoi elle est saoule, même si c’est deux-là sont habituellement les principales. Moi je bois pour oublier. Oublier à quel point je suis un con.

Je me suis installée dehors, j'ai vidé tout le contenu de la bouteille de rhum que j'avais utilisé pour mes smoothies de l'après midi. Il est tard, le vent fouette mon visage pourtant je n'ai pas froid du tout. L'alcool ça tient chaud et j'ai l'impression que c'est d'autant plus vrai avec le rhum. J'ai la tête qui commence à tourner pourtant j'ai l'impression qu'il m'en faut encore. J'ai l'impression que c'est devenue vitale, ce soir du moins parce que je bois rarement pour me sentir bien. Je ne suis pas alcoolique, je connais trop les ravages de l'alcool pour me raisonner. Je bois beaucoup, très souvent aussi mais jamais au point de ne plus tenir debout. Ce soir c'est différent, j'ai commencé et j'ai beaucoup de mal à m'arrêter. Je m'apprête à attraper la bouteille pour la porter à ma bouche sauf que je me rends compte qu'elle est complètement vide. Je soupire. Il m'en faut une autre. Le bistrot semble être l'endroit idéal, il y a de l'alcool à foison. Alors je me lève, je mets quelques minutes avant de trouver un point d'équilibre. J'avance plus lentement que j'habitude, mais comme je suis sur la place j'y arrive rapidement. Je pousse la porte qui fait un bruit monstre. Un homme est déjà accoudé contre le comptoir. William, indéniablement. Je me dirige vers lui alors qu'il ne daigne même pas se retourner. Peu importe, je ne tarde pas à m'asseoir à ses côtés. Il fait glisser sa bouteille sur le comptoir et pendant un instant je suis presque persuadée qu'elle va se briser mais non. Je souris face à sa remarque et tourne la tête vers lui. «Et oui que veux-tu, j'ai beaucoup de mal à me passer de toi... » Je réponds légèrement sarcastique, bien que finalement je plaisante qu'à moitié. Je crois que je me suis attachée à lui, d'une certaine façon, à ma façon qui est loin d'être identique à celle des autres. En tout cas il ne me révulse pas. J'attrape la bouteille et la porte à mes lèvres. L'alcool qui devrait brûler ma trachée glisse sans la moindre difficulté. Il a remarqué que j'ai déjà bu, mais ça ne doit pas être un exploit puisque je sens sans doute le rhum fermenté. Agréable à souhait. Je ris. « Non, je bois pour palier l'ennui. Pathétique n'est-ce pas ? » Je n'ai pas besoin d'alcool pour m'amuser, même s'il est vrai que ça aide pas mal. Lui par contre, il n'a pas l'air dans son état normal. « Est-ce que ça va ? Tu as l'air tout triste tu me fais de la peine. » Je m'appuie sur le bar pour m'approcher de lui sans trébucher, je pousse un peu la bouteille et viens à caresser son visage, comme une mère pourrait le faire à son enfant qui éprouverait du chagrin.

Je ne sais pas si j’aurais préféré être seul, ou si la présence de Candace est une bonne nouvelle finalement. Bref, elle est là, et ce n’est surement pas moi qui vais lui demander d’aller ailleurs. Non, ça c’est certain. Je lui offre plutôt de partager ma bouteille, sans vraiment le lui proposer. Elle est sarcastique de saoule, parfait. « Arrête le sarcasme, je sais bien que tu dis la vérité ! » Je souris faiblement avant de finalement me tourner vers elle. Je la regarde boire avant qu’elle m’annonce la raison de sa dérape de ce soir. Je saisis de nouveau la bouteille aussitôt qu’elle la pause sur le comptoir, jouant avec celle-ci tranquillement, sans la lâcher des yeux. « Non… C’est une raison comme une autre. » Boire pour masquer l’ennuie, ce doit être moins pathétique que boire pour oublier à quel point on a gâché notre vie, non ? J’aurais bien envie de lui demander, mais je me retiens, puisqu’elle vient déposer sa main contre ma joue et je perd tout le focus, même s’il était très bas, que j’avais déjà. « Est-ce que ça va ? Tu as l'air tout triste tu me fais de la peine. » Moi, être triste ? Mais pas du tout. Y’a rien de crédible dans ce que j’ai envie de dire, puisque de toute façon, je ne pourrais certainement pas lui dire la vérité. « Non, je vais bien… Juste une petite déprime. Je crois que je réfléchis trop… On a juste ça à faire ici. Réfléchir aux conneries qu’on a faites dans notre vie. » Et dans le genre grosse connerie, on ne fait pas mieux dans mon genre. Je bois une longue gorgée d’alcool, avant de reporter mon attention sur elle, ma main se faufilant sur son épaule pour descendre contre son bras de façon naturelle et douce. Est-ce que je fais quelque chose de mal ? Je ne sais pas, je ne pense pas encore. « Est-ce que t'as des regrets dans la vie % ? Est-ce que tu changerais des choses si tu le pouvais ? » Tout le monde le ferais, je suis certain qu'elle n'est pas différente sur ce point. J'ai presque besoin de savoir que je ne suis pas le seul.

Est-ce que je dis la vérité ? Ou suis-je réellement sarcastique ? C'est une question qui ne trouvera jamais de réponse. « C'est vrai, je déprime déjà en sachant qu'on va être séparé toi et moi... » Pas toute suite, mais bientôt lorsque l'un de nous quittera l'aventure. Mon ton est toujours aussi sarcastique, pourtant c'est un fait, je me suis habitué à la présence de William et son absence sera sans doute bizarre. Au début du moins. Je bois une gorgée d'alcool qu'il m'a gentiment proposé et repose la bouteille sur le comptoir et aussitôt il la reprend. Il me demande ce qui me pousse à boire. L'ennui. J'aurais pu tout aussi bien lire, mais non, à la place je bois. Il me confirme que ce n'est pas pathétique, mais moi je suis obnubilée par son regard. Son expression triste, j'ai tendance à être davantage obsédée par les détails lorsque j'en ai un petit coup dans le nez. Je caresse sa joue dans un geste totalement naturel et tendre. Je lui demande si tout va bien, tout en sachant pertinemment que la réponse est non. Il ne va pas bien. Il me répond, et je sens qu'il me ment. Je fronce les sourcils. « T'es trop jeune, trop riche, et trop séduisant pour avoir des regrets, ça c'est fait pour les loser qui n'ont rien pour eux. » Je caresse sa joue une dernière fois, et dépose ma main sur le bar. Je ne sais pas ce qu'il regrette et j'ai l'intime conviction qu'il ne me dira rien du tout. Il dépose sa main sur moi, il la laisse glisser sur mon bras, je la regarde puis m'empare de l'alcool pour m'enivrer à nouveau. Sa question me fait sourire bien malgré moi. Je le regarde, l'oeil brillant. « Non rien du tout. Je ne regrette rien, je ne regrette pas de m'être mariée aussi jeune, comme je ne regrette pas d'avoir couché avec toi. Si c'était à refaire, je referais les choses de la même manière. » Je réponds espiègle avant de me mordiller légèrement la lèvre inférieure. Peut être que finalement si j'avais été sensé, j'aurais sans doute agi différemment avec Callan, mais pourtant, j'ai bonne conscience de ce que j'ai fait, des choix qui m'ont conduit à agir comme je l'ai fait. Peut être que je ne serais pas là si tel n'avait pas été le cas. « Qu'est-ce que tu changerais ? » Il ne me répondra sans doute pas et je ne lui en tiendrais pas rigueur. Mes doigts glissent sur les siens alors que je lui rends à nouveau la bouteille.

C’est vrai que nous allons finir par être séparé elle et moi. Et je ne sais pas si c’est l’alcool qui me rend un peu plus émotif, mais je crois que cette idée me déplait terriblement. Je ne sais même pas si elle est sérieuse, ça m’étonnerait, mais mon dieu, cette fille a su se faire une place dans mon quotidien et je suis certain qu’elle me manquera. « Pas obligé d’y penser maintenant… puisque nous sommes encore ici… » Pour combien de temps, ça, je ne le savais pas. Mais il ne restait pas non plus une tonne de semaines à passer ici. C’est surement ce qui m’angoissait le plus, parce que je savais que la fin approchait à grand pas. Plus vite que je ne le voudrais. Et alors que nous nous rapprochons petit à petit, je me mets à parler de regret. Merde, si ça continue, l’alcool me fera dire des choses que je vais regretter demain matin. « T'es trop jeune, trop riche, et trop séduisant pour avoir des regrets, ça c'est fait pour les loser qui n'ont rien pour eux. » Je la regarde et souris. Un sourire remplie de tristesse pourtant. Et d’amertume aussi. Parce qu’être jeune, riche et séduisant, ça n’apporte rien de particulier finalement. Surtout lorsqu’on a l’impression que rien de tout cela n’est réel et censé. « Mouais… je crois que tu peux être loser tout en ayant la beauté, la fortune et la jeunesse… » Et qu’elle me croit, lorsque je lui dis cela. Je caresse son bras doucement, de façon distraite, comme si c’était la chose la plus naturelle du monde. Je ne sais pas pourquoi je suis aussi tactile avec elle, même après les limites que je me suis posé, et que je respecte depuis maintenant quelques semaines. J’attends qu’elle réponde à ma question en buvant un peu plus, ne la lâchant pas du regard. J’aurais vraiment aimé qu’elle m’avoue avoir des regrets, qu’il y aurait des choses qu’elle changerait si elle le pouvait. Mais ce n’est pas ce qu’elle fait, et dans le fond, cette réponse est un réponse digne d’elle. Fidèle à la Candace que j’ai apprit à connaître depuis mon arrivé ici. « Je ne regrette pas non plus que tu m’aies confondu avec ton mari, cette nuit là… » Je ris doucement en la regardant, ayant tout de même l’impression que cela fait une éternité que c’est arrivé. Oh et on a bien le droit d’en rire maintenant, puisque de toute façon, nous n’avions pas l’intention de recommencer. Je saisi la bouteille qu’elle me redonne, glissant par la même occasion ma main dans la sienne en la serrant légèrement. Je soupire. Parce que je ne sais pas quoi répondre à sa question. Je jette ma tête vers l’arrière dans un geste semi-contrôlé, perdant mes repères les temps de quelques secondes avant de reprendre contact avec son regard que je ne lâche plus. « J’ai le droit de répondre tout ? Non sérieusement… Je ne prendrais simplement pas le même chemin, les mêmes décisions. Je crois que j’aurais bien aimé aller à l’université. J’étais loin d’être un génie à l’école, trop préoccupé à composer des chansons, mais je crois qu’avec un peu de volonté, j’aurais bien aimé être médecin. Je sais, c’est complètement con, et je n’y serais surement pas arrivé de toute façon… » Je crois que je n’ai jamais dis ça à personne. De toute façon, c’est un peu un rêve stupide qui n’arrivera jamais, alors je peux bien dire ça, ça ne change pas ce que j’ai fait. « Sinon, j’aurais juste aimé partir, avec un simple sac-à-dos… parcourir le monde, me soucier de personne. Le genre de truc qui aurait tué ma mère d’inquiétude… » Je souris faiblement en pensant à elle, ma belle maman. Je bois encore, alors que je détourne le regard, la gêne me gagnant doucement. « Ok… Je parle trop là… » C’est embarrassant. Au moins, j’ai un peu détourné sa question, il me reste un peu de lucidité. Je vais boire encore dans ce cas.

Même si j'ai lancé tout ça à la blague je pense que ça va être bizarre d'être séparé de lui. On a tissé un lien, un lien que je n'ai avec personne dans ma vraie vie, un lien qui semble reposer sur des bases solides. Même si je suis certaine que ça ne durera pas lorsqu'il découvrira la vérité à mon sujet, mais j'y suis habitué après tout. Je m'en fiche. « Et puis peut être qu'on se reverra puisque tu es devenu le meilleur ami de Callan. » Je lance particulièrement amusée, j'ai du mal à croire à tout ceci, mais à la limite Callan est un homme bon, William est un type bien, ils sont fait pour s'entendre malgré tout. Parce qu'ils sont semblable sur certains points. Rapidement, on se rapproche l'un de l'autre, et on se met à parler de regrets. Lui surtout. Je n'ai jamais compris qu'on puisse éprouver des regrets mais je ne suis pas comme tout le monde. Je lui fais savoir qu'il ne devrait pas avoir de regrets, il a une vie qui fait envie, bien que je ne connaisse rien de sa vie finalement. « T'es pas un loser William, les loser me répugnent... » Je crois que je bois trop puisque je me mets à faire des confidences que j'aurais gardé pour moi dans un cas habituel. Lui il est loin de me répugner, premièrement parce que je ne serais pas là à l'heure actuelle mais aussi parce que je ne laisserais pas être aussi tactile avec moi. Comme maintenant alors qu'il me caresse le bras, je le laise faire parce que ça ne me dérange aucunement, c'est presque naturel, et je pense que l'alcool n'a rien à voir avec ça. Pourtant, on est pas mal alcoolisé tous les deux, et on ne cesse pas de boire. Il en vient même à plaisanter au sujet de notre nuit ensemble alors que je lui ai avoué n'avoir aucun regret. Je me mets à rire. « La confusion n'a duré quelques minutes tu sais... » J'ai l'impression que c'est arrivé il y a une éternité, dans une autre vie peut être et à cette pensée, j'éprouve une pointe de nostalgie, je me mors d'ailleurs la lèvres inférieure et soupire avant de boire une nouvelle gorgée. Je lui tends la bouteille, il attrape ma main. Mes doigts caressent le dos de sa main naturellement, alors qu'il se confie à moi. « T'as pas vraiment le physique d'un médecin, t'as plutôt le physique d'un avocat, d'un homme d'affaire à qui tout réussi... » Lui parle trop et moi, je raconte n'importe quoi, alors je me mets à sourire. Je pose ma tête contre son épaule, j'ai la tête qui me tourne un peu, pourtant je vais continuer de boire. « Il n'est jamais trop tard pour changer de vie William, avec toute la bonne volonté du monde, on est capable de tout... » J'ai des étoiles pleins les yeux, je relève la tête, j'embrasse son cou furtivement et me détache de lui, pas totalement puisque nos mains sont toujours liées. Je l'observe un instant, avant de rire à nouveau. « Tu vas me manquer, je le sens ... » Je lui chiper la bouteille que je porte à nouveau à mes lèvres. Elle est presque vide.