Je souri largement et sincèrement à Mickey. J'adore notre façon de fonctionner, notre dynamique, cette affection qui me prend pour lui et dont je connais parfaitement l'origine: je parle, il m'écoute. Personne d'autre que lui ne sait le faire. Et puis je crois qu'on s'entend bien. Là par exemple, il viens de me demander de lui raconter en détail l'origine de cette cicatrice que maintenant tout le monde à vu, il viens de pencher la tête sur son calepin, près à retranscrire avec le plus grand sérieux du monde ce que je vais lui dire et la première chose à laquelle je pense quand je me demande par ou commencer, c'est à lui donner des noms d'accords successivement Cmsus2 - Cmsus2 - Cm - Cm, x4 B♭sus2 - B♭...J'attend juste quelques secondes le temps qu'il interprète mentalement les première notes de piano du générique des feux de l'amour avant de laisser échapper un éclat de rire qu'il faudrait pouvoir capturer et mettre sous verre tant c'est rare.

Ceci dit c'est pas drôle du tout. Et je reprend aussitôt mon sérieux pour ne pas manquer de respect à mon interlocuteur qui lui me fait l'honneur de ne pas me prendre à la légère. Je faisais juste une tentative pour détendre l'atmosphère avant de me lancer dans un récit qui n'a rien de comique. D'ailleurs je me suis légèrement replié sur moi même et je tente d'être concis.

"On a été élevés ensemble, mais nos pères respectifs sont deux frères qui ne se sont jamais entendus. Cette rivalité est descendu sur nous de manière héréditaire. C'était l'entente cordiale jusqu'à ce que mon oncle se remarie avec une pute arriviste qui leur a monté la tête pour que le testament de notre grand père soit modifié à leur bénéfice. Une histoire d'héritage banale qui a vraiment tournée à la guerre ouverte au décès de notre grand père. On avait fait un peu d'escrime ensemble mon cousin et moi, un jour on avait 18 ans je crois, en plein coeur de nos différents familiaux il m'a défié à l'arme réelle et je me suis pris une lame. L'avantage qu'il avait sur moi ? La colère, la haine même je dirais. Au dela d'une rivalité traditionnelle entretenu par nos parents dès notre plus jeune age, lui m'en a beaucoup voulu d'avoir été élevé dans un couple qui à jamais éclaté. Lui, sa mère est décédée quand il avait 15 ans et sa belle mère comme je te l'ai dit, n'était pas le meilleur modèle de substitution. Au final ils ont perdus leur bataille et ils ont déménagés en Crète. J'ai plus aucune nouvelle depuis. Mais je garde le souvenir d'avoir payé sa jalousie et son innaptitude à faire face. C'est pour ça que j'ai du mal a comprendre ce qu'il fout dans mon rêve. Si je devais monter une armée ou quoi que ce soit du genre, c'est la dernière personne que j'ai envie de voir sous ma bannière. Traitre à son sang. On est du même mais il a fait couler le miens. A une certaine époque c'était puni de mort et c'est exactement ce qui lui arrive dans mon rêve."

"J'ai quitté la Grèce il y a deux ans, alors que je suis profondément attaché à mes origines. Les rêves ont commencés quelques mois après mon départ seulement. Je pense que le fait que mon cousin ressurgisse de nulle part dans ce rêve, ou que je fasse partie de l'armée romaine dedans par exemple, c'est mon passé et mon déracinement qui s'expriment. Ma culpabilité aussi. J'ai laissé ma famille faire face seule à la crise pour aller a..."

Je pose un coude sur la table et je m'enfonce un peu plus dans mon fauteuil. Je m'arrête là parce-qu'à réfléchir avant de parler, je crois qu'on a fait le tour. Pas de tout, mais de l'essentiel.

"Ailleurs."

On s'en fou de la destination ou de ce que je suis allé y faire après tout. Avec Mickey j'ai découvert que je pouvais être bavard mais y'a des limites. La vie d'un expatrié ça ressemble exactement à l'idée que vous vous en faites: je vis dans un appartement parfaitement impersonnel dans une tour du quartier financier avec une vue imprenable sur la ville mais surtout avec vis a vis sur un panneau publicitaire et lumineux géant "Hyundai". Je met 5 minutes à descendre un ascenseur qui me souhaite une "bonne soirée Ithaque" quand je vais me chercher à emporter ou sur place chez un traiteur traditionnel et ensuite une fois par semaine je vais dans ce club apporter mes nouveaux morceaux mais je reste très très rarement sur place, généralement je remonte chez moi. En plus je parle pas la langue alors...non y'a pas à dire c'est particulièrement à chier.

"C'est difficile a dire, j'ai un rythme que je qualifierais d'à proscrire. Je vis la nuit et je dors le jour quand je suis véritablement épuisé du coup je m'endors sans problème. Je fonctionnais déjà comme ca en Grèce alors j'ai pas le souvenir d'insomnies particulieres avant le debut des rêves, j'ai jamais vraiment pu dormir."

Pendant très longtemps j'ai essayé ou plutôt je me suis fait une raison et je passais mes nuits à déprimer sévèrement, et quand j'ai compris que ca allait me rendre fou je me suis fait une raison, puisque je ne dormirais jamais normalement autant que je m'occupe la nuit jusqu'à ce que mon cerveau se mette tout seul en veille. En ce moment dans le nid, j'ai du mal à occuper mes nuits, je suis forcé d'observer un rythme plus ou moins normal et le résultat n'est pas forcément une grande réussite. Je poursuit, avec la deuxième question de Mickey, qui m'étonnes car je n'y avait jamais pensé...des années à vivre dans le déni de l'existence d'un membre de ma famille, on peux pas dire que j'ai été ouvert à une éventuelle reprise de contact.

"Non j'ai jamais eu de nouvelles. en admettant que mon rêve soit une sorte de message pour me dire qu'il ne vas pas bien et qu'il souhaite reprendre contact avec moi pour une raison X ou Y je pense pas qu'il soit assez con pour le faire."

Et puis assez parlé de lui. il y a toute la deuxieme partie de lon reve que j'aimerais tirer au clair, celle qui me concerne vraiment pour le coup. Et puis cette conversation manque d'un reel échange. je parle de moi et moi et moi, et Mickey ? J'ai envie d'entendre son point de vue non pas sur l'interprétation de mes rêves, mais sur ce qu'il s'y passe vraiment. Je l'observe en silence un instant, puis je me décide à lui poser une question. C'est pas trop tôt. Self concious, self absorbed...j'ai pas beaucoup de qualités pour équilibrer tout ça.

"Dis...à ma place tu aurais pris qu'elle décision ? Tu aurais levé le camp pour sauver ton armée ou comme moi tu aurais attaqué la ville avec ce qu'il en reste ?"

C'est pas annodin comme décision, faut etre serieusement fracasser pour décider de tout sacrifier par vengeance contre des enemis qui n'en sont que parce-qu'il a été décidé que c'était le cas, mais qui dans le fond n'ont rien demandé. Je trouve ca vraiment moche mais en meme temps, j'ai déjà evoqué ma fascination pour les sanctions de grande envergures.

« Attention Ithaque, un tel rythme de vie peut être nuisible à ta santé, sur le long terme. ». Je n'ai pas la prétention de dire que je connais Mickey, c'est surement loin d'être le cas après si peu de temps après notre première rencontre, mais j'apprend à le connaitre. Une semaine plus tôt j'aurais considéré son conseil comme venant de la part de quelqu'un d'obsédé par l'ordre des choses et peut être que c'est le cas, mais je décèle pourtant chez lui quelque chose qui me pousse à hocher la tête pour lui signifier que je sais, et que je suis d'accord, une inquiétude réelle. Je suis en face de quelqu'un qui s'inquiète surement de son sort avant le sort des autres, mais quand il le fait c'est très sérieux et je ne peux que le remercier pour la façon dont il se comporte avec moi. Je suis d'accord avec ce qu'il viens de me dire, mais c'est pas pour autant que je vais suivre ses conseils. Pas par esprit de contradiction, mais parce-que je ne peux pas. Peut être plus tard.

J'absorbe la réponse qu'il à eu à ma question. Il aurait fait comme moi, donc. Enfin, comme moi. Il aurait pas lâché le morceau et il aurait embouti les mecs d'en face quoi, c'est pas dit qu'il l'aurait fait de la même façon, venant de lui je ne suis pas certain que l'idée de retourner le charnier pour dégager les cadavres et les envoyer aux autres par voie aérienne l'aurait percuté. Mais la finalité aurait été la même. Il l'aurait fait par individualisme, parce-qu'il pense à lui avant de penser aux autres. Fair enough. Moi si je le fait, c'est parce-que je sais que je suis en train de sombrer et que mon idée fixe est de ne pas sombrer seul, je dois entrainer les autres avec moi. C'est pas la victoire que je cherche, c'est ma défaite sur tout le monde.

Je lève la tête, tiré de mes pensées par sa dernière question. J'arrive pas a changer le cours des choses non, je suis conscient que je rêve mais je n'en suis que le spectateur impuissant de mes propres actes, de ma propre façon de fonctionner que je ne cautionne pourtant pas. Je suis prisonnier de l'intérieur.

"Je suis conscient que je rêve, mais je ne suis pas lucide. J'ai déjà lu quelque chose sur les rêves lucides, il paraît que c'est une des plus belles expériences qui soient mais qu'elle n'est pas recommandée aux personnes à tendance dépressive et j'avoue que je ne sais pas comment je vivrais le réveil si pendant que je rêve j'ai la possibilité de faire absolument tout ce ce que je veux. Devenir dépendant à quelque chose d'irréel c'est tout à fait mon genre, et puis j'ai pas qu'une petite tendance à la dépression".