VALERI & JAILEEN
10.07 à 01h52


Deux heures du matin. Jaileen tournait dans tous les sens. Elle ne trouvait pas le sommeil. C’était étrange. Elle avait chaud. Elle avait froid. Elle avait mal au ventre. Autant dire qu’elle ne passait une très bonne nuit. Il y avait quelque chose qui la tracassait depuis quelques temps déjà, mais la demoiselle était incapable de dire quoi. De toute façon elle était contrariée depuis quelques jours déjà et cela ne passait pas. Elle commençait à en avoir un petit marre. Elle commençait à se lasser de tourner encore et toujours sous sa couette. En plus il lui fallait faire attention de ne pas réveiller son partenaire qui, lui, dormait comme un bébé. Ne sachant que faire elle l’observait un instant avant de pousser un soupir. Il n’y avait rien à faire. Morphée ne voulait pas d’elle pour ce soir. Restant sur le dos quelques secondes, elle venait poser sur pupilles sur le plafond qu’elle n’arrivait pas vraiment à distinguer étant donné qu’elle se trouvait dans le noir. Elle aimait bien être dans l’obscurité, même si elle était un petit peu trouillarde parfois. Là, ce n’était pas pareil. Elle n’était pas toute seule. Elle n’avait pas de raison spéciale pour avoir peur. C’était peut-être pour ça qu’elle n’hésitait pas bien longtemps avant d’envoyer voltiger son bout de couette sur Valeri pour poser un pied sur le carrelage froid avant de traverser la pièce. Jaileen marchait sur la pointe des pieds. Il ne lui fallait pas réveiller les autres. Ils n’étaient peut-être pas nombreux à présent, mais tout de même elle ne pouvait pas se permettre de faire la java et d’ennuyer tout le monde sous prétexte qu’elle ne trouvait plus le sommeil. Traversant le nid d’amour, elle atteignait la cuisine où elle se préparait un bout petit chocolat chaud. Apparemment cela aide à dormir. Guimauves, petits gâteaux secs et poudre de cacao pour accompagner le tout, sa tasse bouillante à la main, la blondinette regagnait sa chambre et plus particulièrement son lit. Elle faisait attention de ne rien renverser et avant de commencer à se régaler, elle posait sa gourmandise sur la petite table de chevet qui se trouvait juste à côté de son lit. Elle ne voulait pas en renverser sur son camarade et le brûler. Elle s’en voudrait bien trop. Avec soin de ne pas réveiller son camarade, la jeune femme venait s’installer à sa place pour s’asseoir en tailleur, appuyant son dos contre la tête de lit. Elle ramenait la couette sur ses jambes avant d’attraper sa tasse et d’en boire un gorgée. Le lait était parfaitement bien chocolaté et une pointe de noisette se faisait sentir. Un délice. Elle attrapait une guimauve qui flottait dessus pour la fourrer dans sa bouche. Cela lui rappelait une partie de son enfance. Sentant Valeri bouger à ses côtés, Jaileen venait poser sa tasse sur la table de chevet et se laissait glisser tout au fond du lit, faisant mine de dormir. Elle ne voulait pas qu’il sache que quelque chose était en train de l’asticoter ces derniers temps. Elle poussait même un soupir, faisant croire qu’elle était dans un sommeil profond.

Depuis quelques jours, Valeri s’était réconcilié avec douce Morphée. Elle était comme toutes les femmes, fourbes et lunatiques. Capricieuse et désireuse. Désirante et aimante, à la fois. Il n’allait pas se plaindre d’avoir réussi à retrouver le sommeil. D’avoir réussi à retrouver enfin le sommeil. Enfin. Il avait cru qu’il allait devoir finir son aventure avec des insomnies à répétitions. Il faut dire que le climat anxiogène n’était pas bon pour lui, et son frêle esprit. Lui qui semblait pourtant hors d’atteinte de tous ces petits soucis. Valeri dormait dans son lit. Il se trouva réveillé par un léger bruit à côté de lui. Un bruit de mâchouillement, ou un truc comme ça. A croire qu’il y avait un rongeur à ses côtés, dans le lit. Jaileen ne s’était quand même pas transformée en rongeur au cours de la nuit. Il ne l’espérait pas. Il ouvrit doucement les paupières, posant sa main le long du corps de la jeune femme. Ah. Elle était encore là. Là à côté de lui. Et pas métamorphosé en rongeur. Un léger sourire se dessina alors sur ses lèvres, tant dit que sa main remonta doucement le long du corps de la jeune femme. Il pouvait l’entendre soupirer. Et à l’entente des petits bruits auparavant, elle ne devait pas dormir. Ou alors, elle jouait bien la comédie. Oui. Ca devait être ça. Elle devait très bien jouer la comédie. Il approcha alors son visage de la jeune femme, avant de venir lui murmurer quelques mots au creux de l’oreille. « Tu ne dors pas, hein ? » lui demanda-t-il, encore un peu un endormi. Non. Elle ne dormait pas, il en était presque certain ça. Elle n’allait tout de même pas lui dire le contraire. Il ne l’espérait pas. Il ne manquerait plus qu’elle se mette à lui mentir.

La grande blonde n’avait pas envie de déranger toute la chambre et c’était pour cela qu’elle posait sa tasse de chocolat chaud sur la table de chevet et qu’elle se glissait sous sa couette, aux côtés de son partenaire. Elle venait d’ailleurs de l’entendre bouger. C’était aussi pour ça qu’elle faisait semblant de dormir. Pour ne pas l’embêter ou l’inquiéter au cas où il viendrait à ouvrir les yeux et à la voir encore éveillée. Il posait sa main le long de corps de la jeune femme qui, sans le vouloir, frissonnait légèrement. C’était étrange. Bizarre. Elle ne savait pas comment réagir. Elle ne faisait rien. Il laissait sa main remonter le long du corps de la blondinette qui gardait les yeux fermaient pour essayer de ne rien laisser paraître de sa supercherie. Elle pouvait sentir l’odeur du cacao non loin d’elle. Une odeur rassurante et pourtant tellement forte et enivrante à la fois. Elle pouvait sentir le visage de son partenaire tout près d’elle. « Tu ne dors pas, hein ? » Comment savait-il ? Un petit sourire, qu’elle ne pouvait retenir, venait prendre possession de ses lèvres. Elle ouvrait les yeux, posant ses pupilles sur le visage de Valeri. Elle avait un petit peu de mal à apercevoir les traits de son visage à cause de l’obscurité, mais petit à petit elle s’y habituée et parvenait à distinguer chaque millimètre de sa peau. « Non. » murmurait-elle, joignant le geste à la parole, secouant très légèrement sa tête de gauche à droite. Ramenant, un tout petit peu, ses jambes vers elle, ne lâchant pas son partenaire des yeux voilà qu’elle prenait à nouveau la parole : « Ce n’est pas moi qui t’ai réveillé au moins ? » Elle s’en voudrait si cela était le cas.

Il ne savait pas trop ce qu’il se passait à côté de lui, dans ce lit. Il y avait ce bruit. Ce petit bruit qui l’avait réveillé. Il en avait très rapidement déduit que la jeune femme, qui se trouvait à côté de lui, ne dormait donc pas. Alors qu’il tâtonna légèrement à côté de lui, afin de constater la présence de Jaileen, il vint lui murmurer quelques mots au creux de l’oreille. Il lui demanda alors si elle ne dormait pas. Elle pouvait très bien lui dire qu’elle dormait, ou bien au contraire vouloir lui donner raison. Arf, qu’importe à vrai dire. Le jeune biélorusse ne bougea pas d’un cil. Attendant une réaction de la part de sa partenaire. Elle lui disait Non. Non ? Non quoi ? Elle ne devait pas dormir, certainement. Ah, il faut dire qu’il commençait à la connaître. Des semaines à dormir à ces côtés, ça liait. Elle lui demanda alors si ce n’était pas elle qui l’avait réveillé. Comment dire ? Et bien… si. Un petit peu. Il resta silencieux un moment, avant de laisser s’échapper une expiration un peu trop forte. « Disons que j’ai cru, un moment, dormir à côté d’un rongeur… donc ça m’a un peu éveillé. » lui confia-t-il, un brin rieur. Un petit ricanant s’échappa de sa bouche, avant finalement laissé place à un silence. Il n’allait pas tronquer la vérité pour une histoire abracadabrantesque, de toute façon. Il faut dire que les petits bruits à côté de lui avaient longuement intrigué sa curiosité et fait peur à la douce Morphée. « Il y a quelque chose qui ne va pas, pour que tu n’arrives pas à dormir ? » lui demanda-t-il. Souvent nos problèmes de sommeil allaient de pair avec nos problèmes de la vie de tous les jours, nos petits tracas quotidiens. Evidemment, il ne l’obligerait pas une nouvelle fois à parler. Si elle ne voulait pas lui en parler, libre à elle.

Et voilà. Même en faisant attention de ne pas faire de bruit, Jaileen venait de réveiller quelqu’un. La personne qui était la plus susceptible d’ouvrir les paupières si jamais elle venait à bouger un petit peu trop dans la nuit. Valeri. Elle s’en voulait et ne trouvait rien de mieux à faire que de faire mine de dormir. Si la demoiselle pensait berner son camarade de la sorte, eh bien elle se mettait le doigt dans l’œil. Il bougeait et venait même poser sa main le long du corps de sa partenaire pour s’assurer qu’elle était toujours là. Il s’approchait d’elle pour venir lui murmurer quelques mots à l’oreille. Quelques mots qui la faisaient sourire. Jaileen ne répondait pas tout de suite, mais elle avait tout de même du mal à rester silencieuse bien longtemps. Non. Non elle ne dormait pas. Elle ouvrait les paupières pour poser ses pupilles sur le visage de son camarade. Elle s’inquiétait de savoir si c’était elle qui venait de le réveiller. C’était probable. A force de bouger, elle ne pouvait que l’avoir tiré des bras de la douce Morphée. « Disons que j’ai cru, un moment, dormir à côté d’un rongeur… donc ça m’a un peu éveillé. » Dormir à côté d’un rongeur ? Jaileen fronçait très légèrement les sourcils. Pourquoi disait-il cela ? Elle ne comprenait pas. « Tu as cru que je m’étais transformé en petite souris dans la nuit ? » soufflait-elle. Il allait peut-être ainsi lui dire pourquoi il avait la vivacité d’esprit de la confondre avec un rongeur. C’était presque impossible que ce soit à cause de son chocolat chaud. Elle ne faisait presque pas de bruit lorsqu’elle mangeait ou buvait. Enfin, Valeri passait bien vite sur autre chose. « Il y a quelque chose qui ne va pas, pour que tu n’arrives pas à dormir ? » Très bonne question. Elle haussait brièvement les épaules tout en faisant une petite grimace. « Non. » Décidément, la jeune femme ne savait dire que ça ce soir. Elle ne restait pas silencieuse bien longtemps. « Enfin … j’crois bien que je commence à avoir un petit peu le mal du pays. » Peut-être bien oui. Peut-être bien aussi que voir deux personnes qu’elle appréciait quitter la maison en moins de vingt-quatre heures était un coup dur pour elle. Elle n’en savait rien. « Ca ne te manques pas à toi ? » Sous-entendu sa petite maison, ses potes, sa famille. L’Amérique c’était cool, mais un petit peu pesant à la longue. Cependant il s’agissait là uniquement d’un petit coup de mou. Hors de question pour Jaileen d’abandonner ou de faire un truc dans le genre. Surtout pas. Ce n’était pas dans ses habitudes. Elle voulait toujours aller le plus loin possible.

Il n’allait pas lui cacher qu’elle l’avait réveillé, puisque c’était le cas. Elle l’avait réveillé. Il ne savait pas vraiment qu’est-ce qu’elle était en train de faire à côté de lui. Ca l’intriguait. Alors, oui, pendant un moment, il avait cru qu’elle s’était transformée en rongeur. Elle en faisait du bruit à côté de lui, il faut dire. En petite souris ? « J’aurais plutôt dit en gros rat. » reprit-il très brièvement avant de se taire. Après un petit silence, le jeune biélorusse reprit la parole. Il se doutait bien qu’il y avait une raison à son problème de sommeil. Un problème de sommeil était forcément lié à un autre. A un autre sous-jacent. Les problèmes étaient les cercles vicieux de notre quotidien. Oui. On n’arrivait bien peu souvent de se débarrasser des problèmes. On croirait les avoir chassé, et ils revenaient au triple galop vers nous. On ne se débarrassera jamais des problèmes. Jamais. Parait-il qu’elle n’avait pas de problème. C’était tout du moins ce qu’elle lui disait dans un premier temps. D’accord. Il ne cherchera pas plus loin. C’est alors qu’elle lui expliqua avoir le mal du pays. Oh ? C’est quoi ça ‘le mal du pays’ ? Oui. Non. Elle n’aimait peut-être pas le climat américain, ou un truc comme ça. Lui, il l’aimait bien. Elle lui demanda alors si ça ne lui manquait pas, lui ? De quoi ? La France ? Ou la Biélorussie ? Parce que dans le dernier cas, il avait appris à vivre sans. Loin des siens et de ses pairs. La France. Il n’avait pas d’amis, aucun proche, si ce n’est son ‘public’ qui lui manquait. Oui. C’était peut-être la seule chose qui lui manquait. Son public. Ces anonymes qui l’applaudissaient, qui l’admiraient et qui l’enviaient. Peut-être que certains d’entre eux regardaient cette émission d’enfermement. Oui. Peut-être que certains l’avaient reconnu… ça il avait quelque doute. Enfin, il ne savait pas. Il ne les connaissait pas. Tout comme il ne connaissait pas les téléspectateurs qui pouvaient l’apprécier. A quoi pouvaient-ils ressembler ? A la ménagère de cinquante balais ? A la lycéenne en quête du fantasme absolu ? Il ne savait pas. « Non… » souffla-t-il, alors. « …Je suis à l’abri, ici. ». A l’abri de tout. Des regards critiques, des médias, mais aussi de ceux qui avaient fait de lui ce qu’il avait pu être ou devenir.

« J’aurais plutôt dit en gros rat. » Comment ça en gros rat ? Jaileen n’avait pas de moustache, pas de longue queue toute rose et encore moins de poil marron sur tout le corps. Et puis un rat c’était particulièrement moche. Etait-il en train d’insinuer qu’elle était moche. Peut-être qu’il ne la trouvait pas à son gout. Elle ouvrait de grands yeux ronds, mais continuait de l’observant. Sa bouche grande ouverte, elle essayait d’articuler quelques mots, mais aucun son n’en sortait. Elle ne trouvait rien de mieux à faire que de venir assommer son épaule d’un tout petit coup de poing qui n’avait très certainement pas pu lui faire mal. Elle ne voulait pas lui faire mal. Juste se rendre. Elle ne comptait pas de laisser traiter de gros rat, même par son partenaire qu’elle aimait bien. Il y avait de limite tout de même. Et s’il disait cela pour rigoler et bien elle dirait qu’elle aussi elle avait fait ceci pour rigoler. De toute façon, il n’y avait pas mort d’homme. N’empêche qu’être comparé à un gros rat ce n’était pas flatteur. Après qu’elle lui ai avoué avoir un petit peu le mal du pays, voilà qu’elle jouait les curieuse et qu’elle venait lui demander si tout cela lui manquait à lui aussi. « Non… » L’anglaise se doutait de la réponse qu’il allait lui donner. Elle commençait à le connaître à force de le côtoyer tous les jours. Allez savoir pourquoi, mais elle était un petit peu triste pour lui de savoir que toute sa vie, que son quotidien, ne lui manquait pas. « Même pas un petit peu ? » demandait-elle comme pour se rassurer qu’il y avait bien une partie sensible en lui. « …Je suis à l’abri, ici. » Mais de quoi pouvait-il bien être à l’abri ? Elle fronçait les sourcils, encore une fois, tout en le dévisageant. Elle ne comprenait pas vraiment. Peut-être qu’il avait des problèmes à l’extérieur. Elle n’en savait rien. « A l’ abri de quoi ? » demandait-elle sur un ton toujours aussi étonné et presque enfantin. Même si elle n’arrivait pas à dormir il était tout de même deux heures du matin et à cette là, son cerveau marchait un petit peu au ralenti. S’il n’était pas plus explicite, elle ne risquait pas de comprendre. Enfin, après tout, peut-être qu’il ne voulait pas se confier à elle.

Sa remarque n’était pas à prendre au sérieux. Un gros rat. Oh. Il ne disait que ça que pour rire un peu. Rire un bon coup. Allez, Jaileen l’avait très certainement compris. Tout du moins, il l’espérait. Tant pis si elle était vexée dans ce cas. A en croire sa réaction, elle n’avait pas plu. Tant pis. Un petit rictus un brin espiègle se dessina alors sur ses lèvres. Il n’allait pas en pleurer de cette situation. Quant à ses problèmes de sommeil, elle disait alors ne pas en avoir, puis ensuite si. Elle en aurait. Elle évoquait un mal du pays. Oh ? Il ne comprenait pas trop cette expression, mais bon. Ce n’est pas trop grave ça. Ses lacunes langagières étaient toujours un obstacle pour lui. Elle lui demandait sur lui aussi si son pays ne lui manquait pas. France ? Ou Biélorussie ? Peu importe le pays en question, ce dernier ne lui manquait pas. Non. Il était « bien », ici. Bien même si certains détails lui manquaient. Comme par exemple, la présence de Lena. Une présence qui lui était essentielle. Bénéfique. Oui. Mais outre ce détail, il était à l’abri. A l’abri de tout. Forcément, cette réplique éveilla la curiosité de la jeune femme. Ca ne l’étonnait guère. Il soupira un instant, tant de mettre de l’ordre dans son esprit. « De tout… » souffla-t-il. Avant de lui donner une réponse un peu plus concrète. « Au moins, ici, je n’ai pas à me demander si le billet de 20 de la petite vieille me suffira pour me nourrir à ma faim. ». L’avantage était qu’ici, il pouvait mettre de côté ses soucis financiers. Par exemple, il n’avait pas à se demander si l’argent accumulé au cours de la journée sera suffisant pour se nourrir pour quelques journées. C’était l’un des points bénéfiques de cette aventure. Oublier ses soucis. Oui. Il n’allait pas s’en plaindre en soi, même s’il se doutait bien qu’un jour ou l’autre, il devra refaire face à tout ça.

Elle ne savait pas si elle devait ou non prendre la remarque de son partenaire au sérieux. Un gros rat. Ce n’était pas franchement flatteur, mais comme Valeri était du genre à blaguer, par moment, peut-être qu’il disait cela uniquement pour la taquiner. En tout cas la jeune femme ne se gênait pas vraiment pour lui donner un petit coup de poing dans l’épaule, histoire de lui faire comprendre qu’elle n’était pas d’accord avec la comparaison qu’il venait de faire. Il aurait dit une souris, passe encore car c’était déjà bien plus mignon, mais un rat et en plus gros, c’est répugnant. Et puis il avait l’air content de sa bêtise puisqu’un sourire plutôt espiègle venait bercer ses lèvres. Passons. Il n’y avait pas non plus de quoi en faire une affaire d’état, mais il ne manquait rien pour attendre et un jour ou l’autre Jaileen aussi le comparerait à un animal dégoutant et répugnant. Juste pour rigoler parce que sinon il était loin de ressembler à un animal dégoutant et répugnant. Il était tout le contraire même, mais … passons. Il semblait avoir envie de savoir pourquoi elle ne dormait pas, mais la blondinette préférait en savoir encore un petit peu plus sur son camarade. Est-ce que son pays lui manquait ? Elle parlait aussi bien de la Biélorussie que de la France. Il devait bien y en avoir un des deux qui lui manquait. Il ne pouvait pas ne pas avoir de sentiments pour l’une de ses deux maisons. La France peut-être plus que la Biélorussie étant donné que, d’après ce qu’elle avait cru comprendre, il s’agissait de son dernier pays d’accueil. Peut-être que son pays natal ne lui manquait pas plus que ça. Son pays d’adoption ? Elle n’en savait rien non plus, mais elle pensait que si. Enfin ce n’était que des hypothèses. Lui, il disait que non, qu’il était bien ici, qu’il était à l’abri. Curieuse comme la peste, l’anglaise revenait à la charge en demandant si tout cela ne lui manquait tout de même pas un tout petit peu et surtout de quoi il pouvait être à l’abri ici. « De tout… » C’était vague comme réponse. « Au moins, ici, je n’ai pas à me demander si le billet de 20 de la petite vieille me suffira pour me nourrir à ma faim. » Jaileen l’observait un instant sans savoir réellement quoi dire. Elle ouvrait la bouche, mais rien, aucun son ne voulait en sortir. Le silence en devenait presque pesant. Il fallait qu’elle trouve quelque chose à dire et le plus vite serait le mieux. « Je … C’est pour ça que tu … enfin tu me comprends quoi. » Elle l’observait encore, mais cette fois avec plus d’insistance, comme pour lui faire comprendre quelque chose.

France ou Biélorussie. Pour le moment, aucun des deux ne lui manquait. Le second, il avait appris à vivre sans. Sans ses racines, sans ses proches, sans son cocon familial. Il s’était émancipé de son enfance, de son adolescence suintant la déception. Le premier, il venait d’apprendre à vivre sans. Il avait appris à s’émanciper une nouvelle fois. Il passait sa vie à s’émanciper de ses liens qu’il pouvait se créer, comme une âme vagabonde. Une âme en peine. Paris lui manquait, de temps en temps. Juste de temps en temps. Ce n’était pas tant sa vie d’antan qui lui manquait, mais juste le public. Son public. Celui qui le saluait au détour d’une rue. Ce public qui aura disparu à son retour. Oui. Alors, rien. Rien ne lui manquait de ce qu’il avait pu connaître avant d’entrer dans ce jeu. Sa vie d’antan, Paris, la France, et son accent irritant. Non. Rien de tout ça ne lui manquait. Il était à l’abri, ici. Il s’était formé une espèce de coquille, de protection. Cette émission était son anti-virus. Ce logiciel qui lui avait permis de nettoyer une partie de sa vie, ou tout simplement de prendre conscience de certains faits. Oui, il est vrai qu’ici, il n’avait pas à se soucier de son argent. De l’argent qu’il avait pu ramasser en faisant quelques petits spectacles, au cœur de Paris. Il n’avait pas à se demander si le petit billet qu’on venait de lui offrir lui suffirait pour se nourrir. Un léger silence s’installa entre les deux jeunes gens, peu après que Valeri ait pris la parole. Il laissa s’échapper un petit soupir. Il se doutait bien que ce quotidien teinté de galère financière était bien loin de celui de Jaileen. Il s’en doutait, oui. C’était peut-être dû à ça ce petit malaise palpable. La jeune femme prit enfin la parole. Il fronça quelque peu les sourcils. C’était pour ça que… ? Il la comprenait, parait-il. « Oui… ». Enfin non. Si elle pensait qu’il était venu pour se trouver des couverts gratuitement, ce n’était pas ça. Non. Il pouvait certainement compter sur la bonté de quelques piètres protagonistes de sa vie parisienne. Elle devait certainement évoquer ce à quoi il pensait à ce moment précis. Il ne voulait d’ailleurs même pas savoir ce qu’elle en pensait. Sûrement allait-elle le juger. Comme beaucoup. Après quelques minutes de silence, Valeri reprit la parole. « On devrait peut-être tenter de se rendormir, non ? » demanda-t-il, à tout hasard. Après tout, peut-être n’avait-elle pas comme projet de se rendormir. Il passa alors son bras autour d’elle, silencieusement.