Je croyais que mes nuits au sommeil troublé étaient désormais derrière moi. Je croyais, à tort, qu’en retrouvant le confort de ce lit, que j’avais fait mien au cours de ces premières semaines de jeu, mes nuits seraient enfin calmes et silencieuses. Malheureusement, je me leurrais. Je sombrais à nouveau dans cette phase de rêves néfastes dont on ne peut se sortir, ces cauchemars qui vous hantent soir après soir, sans qu’ils soient possibles de les chasser de votre esprit. Que faire, lorsque l’horreur qui vous habite est bien réelle, qu’elle tourmente votre vie depuis tellement d’années qu’il vous est impossible de les dénombrer. Mon repos est agité, mon corps se cabre devant les assauts de mon inconscient, il remue, tente de se défaire de cette emprise malsaine qu’on ces songes sur lui. Mais tout comme lui, je suis prisonnière de mes propres pensées. Le silence tranquille de la nuit est troublé par mes gémissements – non pas de ceux qui plairaient à votre oreille, mais de ceux qui éveilleraient l’inquiétude, l’angoisse, la peur. Pourtant, je suis loin d’être éveillée. Mes yeux sont toujours aussi fermés, m’empêchant ainsi de fuir ce qui se déroule derrière eux. Quoique rien n’y change : les scènes qui s’affichent à moi sont des répliques exactes d’une histoire vécue, un spectacle monstrueux qui se rejoue à répétition. Je revois encore son sourire, j’entends encore nos éclats de rire, puis leur succèdent les cris d’agonie, les bruits des coups et les hurlements de détresse. Je me débats de plus belle, mais je parviens cette fois-ci à me sortir de cette torpeur nocturne, emportant avec moi un ultime éclat de voix. Mon corps s’est relevé, et je fixe sans le comprendre l’environnement où je me trouve. Je tremble, paniquée. Mon souffle est court, incontrôlé : j'ai du mal à respirer.

Je ne dors pas beaucoup, ces temps-ci. Quelque chose me tracasse depuis quelques jours. Je ne sais pas ce que c'est. Je ne tiens pas à le savoir. Je réfléchis trop et pour rien. J'ignore quelle heure il est. Je ne parviens pas à dormir. Et pour cause, je fixe le plafond et j'attend que les bras de Morphée viennent me recouvrir. Pour l'heure, je reste pantois et écoute les respirations s'élever dans la pièce. Tout le monde dort, on dirait. Y compris, Donia. Des gémissements m'interpellent. Je me mets sur le côté. C'est elle. Elle est prise de violentes convulsions. Elle s'agite. Elle se tord, rongée par un mal que j'ignore. Je fronce les sourcils et la dévisage dans le noir. Un cri, puis le réveil brutal. Elle se relève, le souffle court. Je rouvre les paupières. Je me redresse à sa suite. Sa respiration est haletante. Elle est en train de suffoquer. Je tends mon bras vers son visage, mais je me ravise à la dernière seconde. Je passe ma main sur ma nuque et soupire. Aucun réconfort de ma part ne serait la bienvenue. Je me contente de la fixer et de patienter. Mais je ne peux supporter de la voir dans cet état. Un brin inquiet, je pose une main sur sa hanche pour la rapprocher de moi en douceur. - Donia., que je murmure en tenant son avant-bras de l'autre main pour qu'elle se tourne vers moi. Sa tête retombe contre mon épaule. Je lève les yeux au ciel et me pince les lèvres. Je caresse son front ruisselant. Je dis à voix basse : - Respire, respire. Je la berce doucement dans mes bras. Je ferme les yeux. Mes doigts effleurent son dos tandis que je resserre mon étreinte. - Ce n'était qu'un mauvais rêve., soupirai-je. Ce n'est pas la première fois que cela arrive. Je pensais que cela lui aurait passé avec le temps. Cela fait presque un mois que nous dormons dans le même lit. Je n'ai jamais été témoin de cela jusqu'à maintenant.

L’horreur défile toujours devant mes yeux, mais cette fois-ci, ce n’est que le reflet de mes sombres songes qui me hantent, qui tentent d’envahir ma réalité. Je suis bel et bien réveillée, mais pour autant, je suis loin d’être calmée. Au contraire, mon souffle se fait court, ma respiration, saccadée, entrecoupée de soubresauts et de sanglots que je parviens mal à contrôler. Ils m’ont pris par surprise, je suis incapable de les retenir. Une main se pose doucement sur ma hanche, mais je ne peux m’empêcher de sursauter face à ce contact, et mon corps se raidit légèrement lorsqu’il me rapproche tout contre lui en murmurant mon prénom. Ma tête tourne, je la sens plus lourde, difficile à porter sur le faible poids de mes épaules, et je la laisse retomber sur celle d’Orson. Ses doigts passent en une caresse contre mon front couvert de sueur. Il me dit de respirer, me berce tout contre lui. Il tente de me rassurer, de me calmer. J’aimerais que ce soit aussi facile, mais ça ne l’est pas. Il ne comprend pas. Il ne le peut pas. Personne ne le pourra. Alors qu’il resserre tendrement son étreinte, je m’en éloigne, le repoussant. D’abord, calmement, mais lorsqu’il tente de me retenir, je me fais plus vive. « Lâche-moi. » laissais-je entendre entre mes dents, ma mâchoire se serrant sous le coup de l’émotion. Mes mains l’éloignent de moi. Je me recroqueville, mes bras entourant mes genoux, et j’enfouis ma tête dans le creux protecteur de ceux-ci. J’essaie t’étouffer ces sanglots qui reviennent à la charge, mais je n’y parviens pas. Je m’en mords les doigts. Je ne veux pas qu’on assiste à ça. Je ne veux pas qu’on me voie si faible, en si piteux état. C’est lamentable, pénible. Pour moi, et pour les autres. Et pour Orson, forcé d’assister à ça, par la force des choses. Qu’il me laisse tranquille et qu’il se rendorme. Demain, tout ça ne sera qu’un bien vague souvenir.

Elle a toujours été sujette à de mauvais rêves. Des reliquats d'un passé encore traumatisant. Depuis le temps, ses blessures ne se sont pas cicatrisées et l'accablent toujours. Cette peine qu'elle a dans ses tripes ne partira sans doute jamais. Elle se complaît dans ces névroses. Ce n'est pas un halètement, ce n'est pas un gémissement, c'est vraiment un cri. A-t-elle les yeux close ? Non, mais ils ne regardent nulle part, ils fixent le vide du plafond et, par instants, elle tourne violemment la tête tantôt d'un côté, tantôt de l'autre. Elle se réveille en sueur, apeurée. Je tente de la calmer du mieux que je peux afin de l'apaiser. Il n'y a rien à faire. Elle me rejette et se replie sur elle-même. - Tu es toujours aussi bornée., que je murmure d'un ton agacé. Je l'entends sangloter. Ma mâchoire se serre. Je décroise délicatement ses bras, je la fais basculer de mon côté et l'attire à moi avec plus de poigne, sinon elle risque de se dérober à moi encore une fois. A bout de nerfs, je parviens à garder une certaine sérénité malgré tout. Je m'efforce d'être le plus compatissant possible, il faut dire.  Bien que je ne la porte pas dans mon cœur ces derniers temps, je n'aime pas la voir dans cet état. Elle souffre. Je ne peux que lui apporter un certain réconfort pour atténuer la douleur qu'elle que ce soit. Je la blottis contre moi. Fin de la discussion. Elle peut se débattre autant qu'elle le voudra. Je doute qu'elle résiste longtemps, vue que son énergie s'est légèrement amoindrie. Je n'hésiterai pas à user de la force, s'il le faut. Je resserre notre étreinte et soupire. Je ne sais pas si c'est une bonne idée une telle proximité. Je sens son souffle chaud dans mon cou. Je reste calme et observe son visage dans la pénombre, en silence.