Je soupire en jetant un coup d’œil au paysage extérieur. La pluie s’est mise de la partie, et j’ai une folle envie de bouger. D’ordinaire, je cours tous les jours, chaque matin, beau temps ou mauvais temps, mais pour une raison obscure, j’ai relâché mon entrainement cette semaine, et mon corps tente subtilement de me le rappeler. Pourtant, la température extérieure me fait grimacer, d’autant plus que la froideur de l’automne commence doucement à se faire sentir. Dès que les températures frôlent le zéro degré, je n’ai qu’une envie, et c’est hiberner. Je n’ai jamais aimé m’entraîner en hiver. D’autant plus que je n’ai pas une salle de sport à disposition comme c’est le cas ici même.  Ce sera ma solution pour aujourd’hui. Une alternative qui n’est pas pour me déplaire, mais qui ferait amplement l’affaire. Je passe au dressing enfilé ma tenue de sport, puis bifurque vers la salle de bain. J’y attrape un élastique, avec lequel je remonte ma chevelure pour en faire un chignon. Il est loin d’être parfait, mais il conviendra. Je file d’un pas lent dans le couloir jusqu’à la salle de sport, une marche qui me prend à peine quelques secondes à accomplir, puisque cette pièce est à proximité, dans la même aile que mes appartements. Sur place, j’y trouve un Pavel fort concentré à frapper dans l’un des sacs suspendus pour les amateurs de boxe. Je n’interfère pas de son entrainement, préférant me concentrer sur le mien. Je débute par quelques étirements. Mieux vaut éviter une vilaine blessure. Je suis très minutieuse à ce sujet, mon corps étant mon outil de travail principal. Je travaille ma flexibilité, adoptant des poses inconfortables, mais nécessaires pour le bon déroulement de mes exercices physiques. Je me relève tout juste d’un échauffement au sol lorsque je sens la présence toute proche d’un prédateur. À le voir me tourner autour de la sorte, comment pourrais-je le qualifier autrement. Son corps se fait proche du mien, et son visage frôle le mien alors qu’il mentionne à mon oreille que je suis la raison pour lequel il s’est arrêté. Je tourne la tête sur le côté en sa direction. « Ce n’en était pas mon intention. » lui fit-je savoir en banquant mon regard sur lui. « Ne me blâme pas pour ton manque de volonté. » Je lui lâchais cette pique, sachant qu’il mordrait surement à l’hameçon. Son comportement m’amusait, me distrayait. Il me tournait toujours autant et pourtant, je n’avais point bouger de mon repère.

Comment aurais-je pu savoir qu’en pénétrant ainsi dans la salle de sport, ma seule présence suffirait à détourner mon compatriote de son entrainement visiblement rigoureux. Il semblait tellement à des lieux d’avoir capté ma présence que je n’ai moi-même pas réalisé qu’il m’approchait avant qu’il fut tout juste à ma portée, le chasseur rodant autour de sa proie. Je suis donc la raison de son abandon, semble-t-il que ces beaux yeux n’en ont plus que pour moi, vu la façon dont ils peinent à se détacher de ma silhouette, alors qu’il m’ausculte en me rodant tout autour. Je le suis du regard sans rien n’ajouter. Ce petit jeu m’amuse. Il n’y a qu’avec lui qu’une telle tension est présente, et je pourrais céder, je pourrais m’offrir tout entière à ce dernier sans rouspéter. Et, fort probablement, ne pas le regretter. Mais les enjeux sont trop faciles, et je me fais grand plaisir de lui résister. Je ne suis pas des plus faciles à apprivoiser. Je ne l’ai jamais été. Ses mains se posent sur la courbe de mes hanches. Je braque mon regard vers la pièce qui se trouve devant moi, ignorant le candidat dans mon dos alors qu’il murmure doucement à mon oreille. L’absence de sueur sur mon corps semble le déranger. Il me le fait remarquer, et je me contente de hausser les épaules. Mes efforts précédents n’étaient en rien de quoi me faire transpirer. Je douterais de ma santé si je m’essoufflais lors de moindres étirements. Curieux, il m’affirme vouloir assister à la reprise de mes exercices, se plaçant dans le rôle de l’observateur. Ou plutôt du voyeur, ce titre lui sied davantage. Puis germe à son esprit une autre idée. Bien plus efficace, à ses yeux, pour mettre mon corps à l’épreuve. Je ne suis pas dupe, le sous-entendu est flagrant, il transperce par tous les pores de sa peau l’épiderme de l’homme. Sa bouche vient caresser ma nuque en un baiser brulant de désir. Je ferme les yeux un instant, me laissant subjuguer par le feu ardent qu’il réveille à l’intérieur de moi. Ma main vient caresser sa tête, plongée dans le creux de mon cou. « Ça reste encore à prouver. » m’entendis-je lui répondre. Il a beau se vanter de ses talents, pour ma part, je n’ai rien qui puisse me prouver qu’il dit vraiment la vérité. Un homme aussi joueur que lui devra redoubler d’effort pour m’impressionner. À trop se pavaner de la sorte, le paon finira par perdre de ses plumes. Il n’est surement pas conscient de la pression que je lui mets sur les épaules, oh non.

De ses lèvres s’échappent un souffle et je le sens qu’il se délaisse de mon corps pour s’éloigner, faisant naître amer goût de déception au creux de mon être. Est-il soudainement devenu conscient du jeu que je jouais avec lui, avec tous ces autres qui ont frôlé mon corps de braise, qui s’y sont brûlé les doigts. Semble-t-il que c’est bel et bien le cas. Il a cru bon de s’éloigner pour me remettre sous le nez ce que d’autres ont vu bien avant lui. Que j’aime à me faire désirer sans jamais réellement me donner tout entière. Que c’est une partie de ma personnalité de laquelle j’ai bien du mal à me défaire. Comme une mauvaise habitude acquise depuis des années. Un vilain pli que je peine à corriger. Pourtant, il serait idiot de croire que derrière cette facette de ma personnalité, je suis un être exempt de sentiments. Le feu qui brule en moi est bien présent, et c’est parfois frustrant d’être incapable de mener à bien ce jeu de séduction que j’entreprends avec ces gens. Trop calculatrice, trop minutieuse, mon esprit rationnel m’empêche de libertiner comme je l’entends. Pourtant… pourtant, Dieu seul sait combien j’en ai envie. Que Pavel me dise mes quatre vérités en plein visage n’est qu’une claque de plus sur celui-ci. Un soupir traverse la barrière de mes lèvres. Je lui tourne toujours le dos, ayant à peine bougé depuis le début de notre échange, Je suis attentive à ce qu’il raconte, écoutant néanmoins le moindre de ses propos. Il a raison, et il le sait. Il connait ma réputation pour s’y être déjà frotté par le passé. N’empêche que j’ai cette envie de lui démontrer le contraire. Rien que pour le faire taire. L’une de mes mains passe lentement à la base de mon cou, là où, quelque instant auparavant, sa bouche est venue butiner contre ma peau. Elle est encore brulante sous le contact de mes doigts. Il prétend qu’à nouveau, ses tentatives seront veines, et qu’il ne parviendra pas à son but. Mon corps pivote lentement en sa direction, je le scrute du regard. « Non, on ne l’est pas. » lui fis-je savoir. Je n’étais pas en accord avec sa remarque. J’ignorais réellement si son simple but était de me compter parmi son tableau de chasse, mais je savais que je ne rechignerais pas à marquer son nom au mien.  De ma démarche féline, je m’avançais vers lui en réduisant le faible écart qui nous séparait. Peut-être croirait-il à une unique ruse de ma part pour me jouer de lui, à nouveau. Mais nul n’était mon intention. J’étais lasse de ces petits jeux. Pour une fois, je rêvais de concret, et il m’offrait sur un plateau d’argent ce dont je me languissais. Mes brais s’affairaient un instant à me débarrasser de ce haut qui s’annonçait encombrant. Je ne m’arrêtais de marcher que lorsque mon corps frôla le sien, et mes lèvres s’étirèrent d’un faible sourire, tout aussi énigmatique que mon être. « Si c’est vraiment ce que tu désires, viens le chercher. » chuchotais-je au creux de son oreille. C’était une offre à prendre ou à laisser. Il n’y aurait pas de deuxième chance. On en était déjà là.