“ the blackness would hit me
and the void would be calling ”

feat. celse

Lorsque Freddie affirmait ne s'être pas attendue à réchapper à sa nomination, ça n'était pas par fausse modestie, mais parce qu'elle s'était clairement faite à l'idée de retrouver son appartement londonien dès l'issue du prime, s'étant dit que puisqu'il y a tout juste quelques semaines on la trouvait un peu trop discrète sur les bords, il était fort probable qu'on ne la juge pas encore suffisamment investie pour être tentés de voter pour elle. Et pourtant, c'est bel et bien au sein du nid qu'elle s'était éveillée ce matin, toujours aux cotés de celui qui ne changerait donc pas de partenaire dans l'immédiat, de celui qu'elle avait elle-même été ravie de retrouver. Si tôt levée, l'anglaise s'était alors fait une promesse : ne pas rester sur l'épisode de son sauvetage pendant des lustres et déjà penser au reste, en reprenant par exemple les bons vieux délires qu'elle aimait traditionnellement partager avec son partenaire. La vérité, c'est qu'elle ne voulait surtout pas repenser au moment où ils s'étaient fait quelques aveux, dans le dressing, avant le début du prime. Elle ne regrettait aucune des paroles qu'elle lui avait adressé, simplement elle aimait rarement revenir sur les fois où elle se laissait aller à quelques confessions, simplement parce que ça n'était pas son genre. Ainsi elle avait passé la journée à réfléchir à ce qui leur permettrait de démarrer une nouvelle semaine sans s'encombrer du souvenir de la crainte qu'ils avaient eu d'être séparés. Il lui vint alors une idée, tandis que la nuit commença à s'installer et que l'anglaise entreprit de retrouver le partenaire qu'elle avait laissé quelques heures plus tôt, puisqu'après tout ils n'avaient pas besoin d'être collés l'un à l'autre vingt-quatre heures sur vingt-quatre. C'est finalement du coté du jardin qu'elle retrouva sa trace, l'interceptant avant qu'il entreprenne de se mettre au chaud et l'attrapant par le bras, silencieusement, le conduisant bientôt jusqu'aux écuries. Là, un sourire espiègle étira ses lèvres. « Je déclare ouvert notre premier rendez-vous » qu'elle énonça, très solennellement, avant de poursuivre. « Je sais qu'on a parlé mariage, enfants, mais en attendant je te rappelle que tu es toujours mon courtisant, et qu'avant de conquérir mes pères, il te faut me conquérir moi. C'est pourquoi tu vas m'emmener voir un film génial, me gaver de pop-corn et te remuer un peu histoire de me mériter. » Parce que oui, c'est bien connu, Freddie faisait passer un test à tous ceux qui émettaient le souhait de sortir avec elle. Et ça passait au moins par une séance de cinéma, c'est clair. « Point positif : je suis si peu cinéphile que même la plus grosse bouse aura pour moi des airs de chef-d’œuvre. Point négatif : si tu comptais miser sur un film d'horreur en pensant que je m'agripperai à toi dès que le type sortirait sa tronçonneuse, vaut mieux que t'oublies, ça me rend généralement violente. » Les climats angoissants développaient chez elle un instinct de survie imprévisible, voilà tout.

Je sursaute presque quand un bras attrape le mien, qu’une présence féminine se glisse contre moi et qu’une voix vient ronronner à mon oreille dans un sourire que les mots ne cachent pas. Qui d’autre que Freddie aurait pu se permettre une telle approche ? Il me faut bien cependant cinq secondes pour comprendre de quoi il est question lorsque j’entends parler de « premier rendez-vous ». Ah oui, c’est vrai que je suis censé la courtiser. Et vu le baiser qu’elle a réservé à Camille et pas à moi lors du prime (j’ai eu confirmation depuis sur l’identité de l’heureux élu), je crois que j’ai du pain sur la planche. Elle m’entraine dans un lien encore tenu secret, et je me laisse faire, docile, me demandant si elle serait vraiment capable de m’entrainer dans un recoin sombre ou mieux : sur un banc au milieu des jardins, le truc bien ringard. Ni l’un ni l’autre (comme quoi), c’est dans la grange qu’on se retrouve tous deux, et que j’apprends que d’une, Freddie a l’air aussi cinéphile que moi, de deux, les films d’horreur n’ont aucun effet sur elle. Bien. Elle a ce don de me laisser comme un con avec une liste de trucs à faire et pas faire qui me fout une pression monstre – dans le cas bien sûr où la satisfaire vraiment me tiendrait à cœur pour de vrai, hm. Oui, bon, ça me tient à cœur pour de vrai, contents ? J’attrape après observation des rayons un film qui, j’en suis certain, plaira à mon enquêtrice de partenaire : Seven. Kevin Spacey y est grandiose, comme c’est toujours le cas quand il débarque du bon côté de la caméra, et le revoir me ferait plaisir, en plus. J’entraine à mon tour Freddie jusqu’à la salle, attrape un paquet de popcorns au passage et referme derrière nous la petite porte rouge. On se croirait dans un vrai lieu de projection. Je la laisse se glisser jusqu’au fauteuil de son choix et lance le film en langue originale, évidemment. Ça me fera travailler mon anglais, et elle son américain. Je la rejoins et, assis à ses côtés tandis qu’on va devoir se taper les « prochaines sorties » de films datant de celle du dvd (autrement dit : des films déjà vus), je tripote le dossier du siège, ne sais pas quoi faire de mes mains et finis par lui chuchoter, goujat à souhait : « Tu me laisses te peloter pendant les bandes annonces ? » Elle va tourner vers moi une mine exaspérée, mais quoi ? Elle m’emmène au ciné pour un premier rendez-vous galant, j’ai l’impression d’avoir quinze ans moi, alors je lui pose des questions de mec de quinze ans, c’est tout.

Aussi loin était-elle disposée à s'en souvenir, Freddie n'avait jamais connu de rendez-vous romantique dans un cinéma. En soi, il eut été probable qu'elle ait rarement connu ce genre d'occasions, elle qui avait toujours eu une manière un peu particulière d'aborder les hommes et de débuter des histoires avec eux. Elle ne parlait jamais de sa vie amoureuse, écourtant le plus souvent les discussions qui pouvaient porter sur celle-ci en la résumant par un mot qui n'était pas nécessairement aussi véridique qu'on le penserait, parce qu'elle avait toujours fait passer ce genre de choses après ce qui constituait la partie primordiale de son existence, à savoir son travail, sa passion, son but. Alors ici, elle improvisait plus qu'autre chose une scène qui lui était tout à fait étrangère, se gardant pour autant de le préciser, n'ayant aucune envie d'éveiller la curiosité de son partenaire et de passer à ses yeux pour la fille qui était passée à coté de pas mal d'occasions dans sa vie, pour une nana assez ennuyante en somme. Ils arrivèrent alors là où se tiendrait leur 'premier rendez-vous', toujours dans la continuité du délire selon lequel Celse était épris de l'anglaise et aurait dans l'intention de la séduire, ce qui en tout cas paraîtrait logique, avant toute chose, et surtout avant de penser à rencontrer ses pères et à en faire sa femme. Faire les choses dans l'ordre, ça pourrait définitivement être bien, oui. L'anglaise lui communiqua le programme de la soirée, autrement dit, elle lui fit savoir qu'il aurait intérêt à se remuer pour enfin être digne d'intérêt à ses yeux, précisant au passage que si elle n'était pas difficile en matière de films et notamment susceptible de s’accommoder de n'importe quelle daube, il valait mieux tenir compte du fait que les films d'horreur n'avaient pas nécessairement le même effet sur elle que sur la plupart des autres nanas. Disons qu'en cas de scène bien critique, elle était plus susceptible de lui mordre férocement le bras que de se cramponner à ce dernier. Il opta en tout cas pour un film dont elle aperçut tout juste le titre, sachant qu'il était de toute façon très probable qu'elle ne le connaisse pas - puisqu'encore une fois, le cinéma et elle, ça faisait généralement quarante-deux - tandis qu'ils entrèrent bientôt dans la salle de projection et que le dvd se lança, s'ouvrant sur quelques bandes annonces qui poussèrent Celse à se laisser aller à une requête improbable qui eut le mérite de faire sourire l'anglaise. Clairement, dans d'autres circonstances, autrement dit s'il n'avait pas été question de leur délire, il aurait eu un peu de souci à se faire, parce que c'était clairement le genre de formules qui la faisaient généralement rire jaune, mais ici c'était évidemment dit sur un ton qui leur était maintenant propre, autrement dit il ne devrait pas se retrouver avec le pot de pop corns sur la tête. « Ça dépend, t'avais prévu de ressortir d'ici avec autant de mains qu'en entrant, ou ... ? » qu'elle souffla, faisant mine de lui poser une colle, prenant pour ce faire un air profond et concerné, plissant les yeux pour crédibiliser son jeu avant de doucement soupirer et de hausser les épaules. « Réfléchis un peu, ce serait le meilleur moyen de me laisser penser que tu n'es qu'un pignouf qui ne gagne ni à être connu, ni à être épousé. Et c'est pas trop le but il me semble, si ? » Elle préférait s'en assurer, histoire de voir s'il était toujours autant décidé à trouver grâce à ses yeux. Non parce qu'au pire, il pourrait regarder son film tout seul, hein. Elle avait d'autres cœurs à briser, de toute façon.