eat, pray ... and eat again
ft. Amy & Maxence

J'avais rarement le temps de le faire en temps normal, mais j'avais toujours adoré cuisiner. Gamin je pouvais passer des heures à regarder mon père préparer les menus de la brasserie sans jamais me lasser, et adolescent il m'avait souvent dans les pattes en cuisine, bien qu'il ne risquait pas de s'en plaindre parce qu'on crachait rarement sur une paire de bras supplémentaire. Maintenant je me contentais de lui filer un coup de main les périodes où j'étais chez moi, lui rapportant au passage quelques recettes ou astuces grappillées ça et là, suivant où j'étais parti bosser ... Bref, je crois que je pouvais dire que faire la cuisine avait chez moi des vertus apaisantes, et pour cette raison j'aurais sans doute eu tort de m'en priver. Et franchement, tandis que je m'affairais dans la cuisine ce soir-là à aucun moment je n'aurais préféré être ailleurs. J'avais trouvé du piment dans le cellier, presque aussi logique de trouver ananas et noix de coco dans le coin vous me direz, mais j'avais aussi trouvé du basilic et du coup la chose me semblait trop logique pour être ignorée : ce soir ce serait penne all'arrabbiata. Ça se présentait plutôt bien, et sans vouloir me vanter ça sentait aussi plutôt très bon, aussi refermant d'un pied le placard que j'avais ouvert le frigo pour y attraper la bouteille de rosé entamée et m'en verser un demi-verre. Remuant un instant mon mélange avec une cuillère en bois j'avais pris le risque de goûter et je m'étais retrouvé face à la question cruciale : sel, poivre, ou aucun des deux ? Le piment ET le poivre ça faisait peut-être beaucoup ... Mais d'un autre côté, sans poivre ça devait être fade, non ? « Ah, tu tombes bien ! » Non, je ne parlais pas à la sauce ni même à ma cuillère. Je m'adressais simplement à Amy, qui venait de pénétrer dans la cuisine et qui serait un cobaye objectif parfait « Goûte ça, et dis moi si je rajoute quelque chose dedans ou pas. Fais attention, c'est chaud. » Et pimenté, aussi. Alors que chaud on s'en doutait, mais pimenté je me disais qu'elle s'en apercevrait bien en goûtant après tout. Personne n'était allergique au piment de toute façon, ça n'existait pas comme allergie, non ? ... « T'es pas allergique au piment, rassure-moi ? » lui avais-je alors demandé alors qu'elle avait déjà porté la cuillère à sa bouche. Oui rassure-moi, dis moi que je ne viens pas t'attenter à ta vie par inadvertance, pour cause de présence inopinée de piment dans ce qui ressemblait de loin à une vulgaire sauce tomate.

Cette après midi, les candidats ont décidé de m’emmerder. D’abord Dior qui vient mettre le bordel dans ma chambre, retournant tout sans dessus dessous. Ensuite, Ollie qui me balance son smoothie à la gueule, parce que c’est une pauvre fillette qui a peur dès qu’on entre dans une pièce. Y en a marre. Du coup, je suis allée prendre une douche histoire de me débarrasser des bouts collants qu’il me restait dans les cheveux. Et puis de l’odeur. Une fois propre, ça fait du bien, je me sens mieux. J’enfile de nouveaux vêtements, puisque mon chemisier est trempé et taché. Il finira à la machine à laver. Le responsable s’en occupera et puis c’est tout. C’est en short et débardeur que je débarque donc dans la cuisine, et les cheveux mouillés. Je tombe sur Maxence, en train de se siroter un verre de vin, et de préparer à manger. C’est donc lui le responsable de cette bonne odeur. Apparemment, je tombe bien. Je me méfie. Je ne vais pas recevoir le plat sur la gueule ? Vu comme c’est parti cette aprem, je ne serais plus à ça près. Il veut que je goute. Bon d’accord, je suppose que c’est dans mes cordes ça. Je souffle un peu sur la cuillère pour ne pas me bruler, et je la porte à ma bouche. Je m’attendais à de la simple sauce tomate, erreur. C’est pimenté.   « Non mais je suis allergique à la mauvaise bouffe. » Que je réplique en faisant une grimace. « J’espère que ce n’est pas cuistot ton métier, sinon tu devrais sérieusement penser à te réorienter.  » Parce que bon, eurk. Je suis on ne peut plus sérieuse dans mes propos, on y croirait pour de vrai. Malgré ma tentative ratée lors du prime, faut pas croire, je suis une très bonne menteuse. Finalement, j’esquisse un sourire. « Un peu de poivre et ça sera parfait.  » Parce que c’est bon évidemment. En plus j’aime les plats épicés.

Bon en théorie j'aurais très bien pu goûter moi-même, et d'ailleurs c'est très certainement ce que j'aurais fait si personne n'était arrivé au même moment, mais puisque j'avais un cobaye sous la main autant ne pas laisser passer l'occasion. D'autant plus que j'avais l'habitude de manger très épicé, voir trop, alors j'avais un peu perdu ma demi-mesure pour ce qui était de doser ces choses-là. Bref, elle était là, elle tombait bien, elle ferait l'affaire. Et accessoirement je pourrais toujours lui demander ensuite si elle allait mieux, depuis le prime, mais je me disais qu'il valait sans doute mieux tâter le terrain avant ... Voir l'appâter avec mes pâtes, ça marchait parfois aussi. Lui tendant donc la cuillère, tout en faisant attention à ne pas en foutre partout, j'attendais sagement son verdict ... Avant de m'inquiéter au dernier moment d'une éventuelle allergie au piment de sa part. C'est que je n'avais pas envie d'être coffré pour homicide involontaire moi. « Non mais je suis allergique à la mauvaise bouffe. » Voilà, VOILA. On faisait la cuisine et c'est comme ça qu'on était remercié, parfois les gonzesses n'avaient vraiment aucune reconnaissance. « J’espère que ce n’est pas cuistot ton métier, sinon tu devrais sérieusement penser à te réorienter. » Retroussant le nez, fronçant les sourcils, je l'avais toisée un instant en cherchant à savoir si elle était sérieuse où si elle me faisait marcher ... Ce n'était pas pour me vanter mais je connaissais très bien mon niveau en cuisine, et il était loin d'être mauvais. Est-ce que j'avais oublié un ingrédient, fait une erreur dans les proportions ? « Un peu de poivre et ça sera parfait. » Elle m'avait finalement adressé un sourire, et moi j'avais respiré un bon coup. Je préférais ça, on parlait tout de même de mon honneur de cuisinier amateur, là. « Va pour un peu de poivre. Mais je te félicite, j'ai presque failli marcher. » Presque failli, mais bien sûr, comme si je n'avais pas gobé tout cru son mensonge. M'exécutant en tout cas j'avais ensuite baissé le feu sous la casserole, avant de reporter mon regard sur Amy et de croiser les bras pour demander « Et c'est quoi ton métier à toi au juste, en dehors de critique culinaire ultra-sévère ? » Parce que je n'étais donc pas cuisinier pour gagner ma vie, je n'avais pas répondu à sa question mais cela me semblait couler de source. Si ça avait été le cas je n'aurais pas gobé une seule seconde son mensonge, alors que là j'avouais m'être laissé avoir l'espace d'un instant. Elle ne mentait pas si mal, finalement. « Tu veux un truc à boire, en attendant ? » J'avais un verre à la main, alors la moindre des choses c'était de lui demander si elle voulait boire quelque chose aussi, que ce soit la même chose que moi ou autre chose.

Le pauvre Maxence doit être en train de douter de ses talents culinaires en ce moment. Je viens de les remettre en cause sur un air tout ce qu’il y a de plus sérieux. L’étonnement peut se lire sur son visage. Lui qui pensait avoir cuisiné quelque chose de bon. Voilà que je viens chambouler ses certitudes.  Serait ce vraiment mauvais ? Aurait-il perdu son palet gustatif ? Ou alors je me fou de sa gueule ? Ah je suis persuadé qu’il gobe ma connerie. Le bonhomme entre dans le panneau. Voyez comme je peux bien jouer la comédie. Finalement je lui avoue la plaisanterie, et il pousse un ouf de soulagement. « Va pour un peu de poivre. Mais je te félicite, j'ai presque failli marcher. » Ouais ouais à d’autres. Il y a marché à fond.  Il rajoute du poivre comme je lui ai demandé. « Presque hein, bien sur. T’étais à deux doigts de nous faire une crise cardiaque. » Au moins. Pas du tout d’exagération dans ces propos.  Il m’interroge sur ma profession. En dehors d’être critique culinaire il va de soit. « Serveuse, le job de mes rêves. » Point de cynisme là dedans. Qui n’a pas rêvé étant petite fille de devenir un jour une super serveuse ? Affublée d’une tenue ridicule en plus et qui chante sur les tables ? Il me propose ensuite à boire. Ils n’ont pas bientôt fini avec l’alcool ? « Non merci. » Que je me contente de répondre. « Et donc je suppose que tu comptes partager le plat ? Garde en tête que je viens grandement de t’aider. » Et bien oui, mon intervention a fait toute la différence à n’en pas douter. Sans moi, son plat serait bien fade. Presque immangeable. « Puisqu’on peut déjà rayer cuisinier de la liste, c’est quoi ton métier à toi alors ? » Je lui retourne la question. J’ai bien compris que la popote ce n’était pas sa profession, sinon il l’aurait fait remarqué quand j’en ai parlé y a une minute.

Fallait dire ce qui était, le fait d'être bon cuisinier c'était un peu tout ce que j'avais pour moi, dans un certain sens. Du point de vue des nanas, j'entends. Parce qu'en dehors de ça j'avais un boulot de merde, que j'adorais ne me faites pas dire ce que je n'avais pas dit, mais c'était la définition type du boulot pour lequel on vivait au détriment du reste. Je faisais les tâches ménagères à reculons, parce qu'il n'y avait rien de plus chiant à mes yeux que de devoir faire la lessive, ou pire encore le repassage. Et j'avais le romantisme d'une cuillère à café parait-il, alors ouais, je n'avais que la cuisine pour moi. C'était mieux que rien ceci dit, et au moins c'était utile ... Mais alors merde, si je réussissais même à louper des pâtes maintenant, où allait-on. Sauf que c'était une blague, et moi j'avais marché sans la moindre hésitation. « Presque hein, bien sur. T’étais à deux doigts de nous faire une crise cardiaque. » Oui bon, peut-être pas une crise cardiaque parce que ma vie ne dépendait heureusement pas de me fierté de cuisinier amateur, mais certes elle avait bien joué. Elle ne mentait pas si mal, finalement. « T'aurais eu l'air maligne aussi, si on en était arrivés là. J'espère que tu as des bases en secourisme et que tu m'aurais pas laissé mourir sur le carrelage, là. » Surtout que bon, Ulysse avait beau me rabâcher que j'étais vieux, j'étais quand même un peu jeune pour mourir comme ça quoi. Bon et sinon, maintenant que j'avais arrêté de dire des conneries j'en avais profité pour lui demander ce que c'était son vrai métier à elle. Je doutais que piéger les cuisiniers du dimanche soit un job à temps plein « Serveuse, le job de mes rêves. » On la sentait à peine, l'ironie dans sa voix. Mais allez, je pouvais comprendre, c'était le job de rêve de personne à mon avis ... Mais je compatissais, j'avais aussi donné pendant mes études, et autant donner un coup de main au paternel en cuisine ne m'avait jamais dérangé, autant jouer le larbin dans un café à touristes lyonnais ne m'avait pas laissé que des bons souvenirs. « Un boulot c'est un boulot, ceci dit. » Autrement dit fallait bien bouffer, et du coup mieux valait un boulot, n'importe lequel, que pas de boulot du tout. Du moins en attendant que quelqu'un trouve un moyen de faire pousser l'argent sur les arbres. Je lui avais proposé à boire, mais malgré son « Non merci. » j'avais tout de même ouvert le frigo, pour attraper l'eau fraiche et en verser un peu dans mon verre encore au tiers rempli de vin. Je m'en foutais que certains appellent cela une hérésie, je mettais de l'eau dans mon vin point final. « Et donc je suppose que tu comptes partager le plat ? Garde en tête que je viens grandement de t’aider. » Elle ne perdait pas le nord, elle. Mais ceci dit elle avait aussi raison sur un point, y'avait bien trop pour que je mange tout cela tout seul alors autant partager, et puisque personne d'autre ne s'était pointé entre temps et qu'elle venait si justement de me faire remarquer l'aide précieuse et indispensable qu'elle venait de m'apporter, alors soit. « Allez va, ça récompensera tes talents exceptionnels de commis de cuisine. » Ceci étant dit j'avais attrapé le bol où je gardais les pâtes et je les avais mises dans l'eau, regardant ma montre pour surveiller à ce qu'elle reste juste assez longtemps. J'avais la pression maintenant, si je faisais cuire ça n'importe comment j'avais un témoin, et comme je ne pouvais pas décemment faire disparaitre ce témoin gênant uniquement pour préserver ma réputation de cuisinier ... voilà, quoi. « Puisqu’on peut déjà rayer cuisinier de la liste, c’est quoi ton métier à toi alors ? » Prenant le temps de boire une gorgée dans mon verre avant de le reposer sur le comptoir, je m'étais tourné vers les placards pour en sortir deux assiettes et deux paires de couverts tout en répondant « Reporter, en zones de conflits principalement. » Principalement, pour ne pas dire tout le temps même si c'était un peu le propre de mon métier ... Mais bon, là par exemple j'étais sur une île paradisiaque au milieu du pacifique, on ne pouvait pas dire que ce soit vraiment conflictuel comme ambiance. Du moins à ma connaissance, personne n'avait encore poussé personne du haut du toit, et je ne pense pas qu'un candidat ait été donné en pâture aux requins. « Tu viens d'où, si c'est pas indiscret ? » J'avais l'impression de poser cette question à tout le monde, mais à ma décharge j'avais tendance à considérer comme anglais ou américain toute personne ici qui s'exprimait avec un accent anglais parfait (du moins parfait à mon oreille de français, quoi), et j'avais parfois des surprises. Jorah par exemple. Alors qui sait si Amy n'allait pas m'annoncer un pays minuscule et oublié du commun des mortels elle aussi. « Parmigiano ? » Preuve par exemple que mon accent italien était mille fois meilleur que mon accent anglais, mais là-dessus je n'avais aucun mérite, alors finalement.

« T'aurais eu l'air maligne aussi, si on en était arrivés là. J'espère que tu as des bases en secourisme et que tu m'aurais pas laissé mourir sur le carrelage, là. » Le laisser mourir ? Voyons. « Je t’aurais réanimé en moins de deux t’inquiètes. Fut un temps où j’étais infirmière. » Qui n’est pas si lointain que ça mais pourtant ça me semble être dans une autre vie. Alors qu’il y a un peu plus d’un an j’exerçais encore cette profession. Avant de me faire virer. Mais à présent, je suis serveuse, comme je viens de lui confier. On peut sentir toute l’ironie transparaître dans ma voix. Il me sort la phrase un job c’est un job. Ouais ouais il n’y a pas de petit job tout ça tout ça. Il n’en reste pas moins qu’à la fin de la journée, je suis toujours une serveuse, et que ça craint. Enfin remarquez… Maintenant que je suis dans le jeu je devrais plutôt dire que je suis au chomage. Parce que bon il est évident qu’ils ne vont pas me reprendre à mon retour. On ne prend pas des vacances prolongées comme ça. A moins qu’ils ne soient à court de staff et désespérés à mon retour au pays. Mais j’espère bien du reste à ne plus jamais voir à travailler là bas. Dans un monde idéal, de cette émission, j’en ressortirais avec du fric. « Certes, mais un boulot de merde. Je devais porter des tenues ridicules en plus, et chanter pour divertir les clients… » Mon dieu. Vous imaginez le tableau. Et le tout fait avec le sourire, bien sur. Je parle ensuite de son plat. Comptant bien qu’il partage. Après l’aide que je viens de lui fournir, c’est la moindre des choses. Il est d’accord. Bien. Sinon il aurait été regrettable que je doive le tuer pour lui voler son assiette. Je le regarde s’activer, alors qu’il me confie à son tour sa profession. Reporter de guerre. Wouah. « Cela en jette carrément plus que serveuse. » Et bien plus dangereux. Moi qu’est ce que je risque ? Me prendre une assiette dans la gueule ? La main au cul par des boloss ? Marcher sur une peau de banane ? « Tu dois être un passionné par ton métier. » Je m’imagine bien qu’on ne devient pas reporter, de guerre qui plus est par hasard. C’est qu’il doit aimer ce qu’il fait. Aussi dur soit il probablement. Une vocation sans doute. C’est alors qu’il me demande mes origines. Généralement mon accent a tendance à me trahir tout de suite, mais ça c’est quand je parle dans ma langue natale. Or ici on converse en anglais, et puisque je le parle depuis toute petite, on pourrait limite croire que je viens d’un pays anglosaxon. Enfin techniquement si, si on voit dans un ensemble plus large à savoir le Canada. « D’après toi, d’où est ce que je peux venir ? » que je lui demande en changeant de langue, en passant au français. Et j’ai fais exprès d’accentuer encore plus mon accent de base. Je sais qu’il me comprendra parce qu’au vu du sien d’accent, à n’en pas douter il doit être français. Et puis vu son prénom. Il me parle ensuite en italien. Je ne dois connaître que quelques mots, mais celui-ci est assez facile à capter. « Si. Italiano e francese ? »