W/ CANDACE

Contrairement à la plupart des candidats, je crois que j'avais hâte d'en avoir fini avec cette aventure. Ce n'est pas tellement mon quotidien qui me manquait – il n'avait rien de hautement réjouissant. C'était ma liberté, mon indépendance. Indépendance toute relative, bien sûr, car j'avais toujours des comptes à rendre et je ne pouvais pas en faire à ma guise, mais j'étais globalement libre de mes mouvements, et cette sensation me manquait. Je croyais que je n'aurais aucun mal à être plus ou moins enfermée dans un lieu bien établi durant plusieurs semaines, estimant même avoir un avantage de taille par rapport aux autres candidats dans la mesure où j'avais toujours été très casanière mais finalement, et j'en étais la première étonnée, le monde extérieur finissait par me manquer. J'étais venu à Fake Lover par goût de l'aventure, mais c'était aussi le goût de l'aventure qui me donnait envie de me carapater d'ici et d'aller visiter d'autres contrées. Mais pour l'heure, je me devais de faire avec ce que j'avais, et ça se limitait tristement à l'enceinte du village. D'humeur créative, je m'étais rendue à l'auberge et avait passé un petit quart d'heure à allumer un feu dans la cheminée avant de m'installer juste à côté, à même le sol, de manière à profiter le plus possible de la chaleur qui émanait des flammes. Allongée sur le ventre, je crayonne des esquisses diverses de costumes en tous genres dans mon carnet à dessin. De temps à autre, je m'arrête, et me prends une gorgée dans le verre de vin (rouge, forcément) que j'ai posé à mes côtés et la savoure, pensive, en observant la salle distraitement.

Je crois que j'ai épuisée toutes les possibilités j'ai fait le tour de toutes les activités possibles et imaginables et il est beaucoup trop tôt pour dormir et également pour manger. Je n'ai pas faim de toute façon. Je crois que je vais travailler. Oui ça fait trop longtemps que je n'ai pas été plongé le nez dans mes dossier, je crois que Branca m'a plus ou moins traumatisé à force de me poser des questions. Et puis c'est à ce demander si les photos traumatisantes des scènes de crimes me manquent. Il pleut dehors alors je cours sous cette pluie battante pour me diriger vers l'auberge ou je pourrais profiter de la cheminée, avant cela j'ai pris du vin pour passer le temps. J'entre avec précipitation, je jette mon parapluie dans l'entrée, et m'avance en direction de la cheminée qui est allumée mais également occupé par Dagga qui est posté devant. « Tu me prêtes un bout de ta cheminée? » Je sors la chemise cartonne que j'avais dissimulé sous ma veste en cuir et le jette sur le sol à l'autre bout de la pièce. Je pose ma bouteille a côté de la sienne dans u sourire. « Les grands esprits se rencontrent. » Je retire mes chaussures avant de march sur le tapis, elles sont trempés à l'image de mes cheveux qui dégoulinent je dois ressembler à un chien qui serait resté des jourssousnla pluie et ça me rempli de rage, fait chier. Je pose un regard amusé sur Dagga que j'ai vu la veille lors de la confrontation. Je ne sais d'ailleurs pas si elle la confirmé ou non puisqu'on a encore eu aucune nouvelle de la part de l'ange et à vrai dire ça ne me perturbe pas plus que cela.

Un peu perdue dans mes pensées, je lève néanmoins la tête quand une personne entre dans l'auberge et adresse un sourire un peu distrait à Candace au moment où mes yeux se posent sur son visage, sur lequel ruissellent encore quelques gouttes de pluie. « Tu me prêtes un bout de ta cheminée ? » Mes pieds battent l'air en cadence d'une mélodie qui n'existent que dans ma tête, et je la suis du regard tandis qu'elle vient s'installer non loin. « Bien sûr, y'en a assez pour deux alors fais toi plaisir. » Et puis concrètement une présence humaine ne pourra que m'apporter un surplus de chaleur alors je suis ravie d'avoir un peu de compagnie. Un sourire amusé se dessine sur mes lèvres quand elle jette sa chemise cartonnée un peu plus loin, sans ménagement. « Y'a quoi dedans ? » je demande, curieuse, comme toujours. « Les grands esprits se rencontrent. » Décidemment – même quand nous ne nous croisions pas dans les caves, nous trouvions un moyen d'accompagner nos entrevues de vin. Cela étant, elle a pas l'air de s'être encombrée d'un verre. « Oh, grands esprits, grands ivrognes, ce n'est qu'une question de sémantique au fond. » je commente avec un rictus amusé en reprenant une gorgée. À ce rythme-là, il ne resterait plus une bouteille de vin au village quand nous partirons.

Lorsque je demande à Dagga si elle accepte de partager sa cheminée avec moi c'était une façon polie de savoir si je peux me joindre à elle, si ma présence n'est pas de trop. Ce n'est pas vraiment ce qui risque de m'arrêter mais bon, je préfère faire honneur à mon éducation. « Très bien. » A sa remarque je m'assieds sur le tapis non loin d'elle, mais c'était après voir lâché la chemise cartonnée que j'avais apporté avec moi pour m'occuper. Elle la remarque et m'interroge à ce sujet, j'ai l'impression d'avoir à faire à Branca et sa curiosité maladive, ça m'amuse. « Mon travail, rien de très palpitant en somme. » Evidemment, je sûr que ça ne l'intéressera pas. De toute façon, je le jette un peu plus loin, je n'en aurais pas besoin à mon humble avis. Alors que je passe une main dans ma chevelure humide, je remarque qu'elle a également pris le soin d'apporter sa propre bouteille, tout comme moi et je le constate à voix haute. Sa remarque ne manque pas de m'arracher un rire franc. « Certes. A quoi bois-tu ma chère ? » Je fais partie de ces personnes qui n'ont pas besoin de raisons pour boire, mais je ne suis pas le commun des mortels donc je présume que mon cas n'est pas une généralité. A la différence de Dagga, je n'ai pas apporté de verre, je n'en ai pas trouvé l'utilité, de toute façon mes mains étaient déjà prise. Je m'empare du tire bouchon qui gît sur le tapis et la débouche avec dextérité. Sans cérémonie, je bois à même le goulot. Du coin de l'oeil, j'observe la jolie rousse. Nous avons passé un moment dans la maison bleue toutes les deux il y a de cela quelques heures, je suppose qu'elle a validé, elle est donc persuadé de ce qu'elle a buzzé, je sais qu'on a pas le droit d'en parler, pourtant sa réaction a mon égard reste inchangé. Je me mords l'intérieur de la bouche puis repose ma bouteille sur le tapis. « Je ne sais pas ce que tu t'imagines à mon sujet, mais tu ne devrais pas me voir comme une menace pour vous deux. J'ai Callan, et je ne veux personne d'autre que Callan dans ma vie. » Je présume que je n'ai pas besoin d'en dire plus que c'est assez éloquent, c'est le moins que je puisse faire.

Je suis vaguement étonnée que Candace se pose sur le tapis, comme moi, j'aurais imaginé qu'elle aurait pris place sur un des fauteuils, plutôt – je faisais partie de ces personnes qui préfèrent toujours s'installer à même le sol, en toute occasion, mais je ne pensais pas que c'était le cas de Candace. La chemise cartonnée qu'elle a jetée au loin, à ce qu'elle me dit, contient du boulot, et elle ajoute que ce n'est pas très intéressant. J'imagine que c'est normal. Les gens auxquels j'ai eu l'occasion de parler de leur profession m'en parlent toujours comme de quelque chose d'ennuyant, quelque chose qu'ils ne s'embêteraient pas à faire s'ils n'avaient pas besoin d'argent. Moi-même, travaillerais-je à la librairie si je n'avais pas tant besoin d'argent ? Je ne détestais pas mon job d'étudiant, mais je doutais fort que j'y trouverais autant d'intérêt si je n'avais pas quelques soucis financiers. Candace me demande à quelle occasion je bois et je dois afficher un air un peu penaud, l'espace de quelques secondes. « Euh, à la vie, à la fin de cette aventure qui approche, et puis c'est bientôt le week-end. » Bon, mis à part le fait qu'on est mercredi et qu'être en pleine semaine ou en week-end ça ne change pas grand-chose ici, j'estimais m'en être plutôt bien sortie. Un sourire amusé se dessine néanmoins sur mes lèvres, bien consciente que malgré tout, ma réponse n'était qu'à moitié convaincante hein… « Et toi ? » j'ajoute en la regardant boire au goulot – en voilà une qui ne s'embêtait pas. « Je ne sais pas ce que tu t'imagines à mon sujet, mais tu ne devrais pas me voir comme une menace pour vous deux. J'ai Callan, et je ne veux personne d'autre que Callan dans ma vie. » Je la regarde en fronçant les sourcils, un peu perplexe. Je vois évidemment bien de quoi elle veut parler, mais… Mais je sais pas. Ce n'est juste pas comme ça que je vois les choses. « Je ne te considère pas le moins du monde comme une menace. Je ne sais pas comment expliquer, parce que je vois bien ce que tu veux dire… Mais disons que… Que ce n'est pas comme ça que je fonctionne. Honnêtement, je n'en ai rien à faire que tu couches ou non avec William. Vous faites ce que vous voulez. J'aime juste savoir à quoi je dois m'en tenir. J'ai toujours pensé que les êtres humains étaient des animaux comme les autres, avec leurs pulsions, et ceux qui cherchent à les contrôler ou à les faire taire en jurant fidélité à une seule personne, je trouve ça à la fois mignon et terriblement naïf. » Je ponctue mon commentaire d'un léger haussement d'épaule ; tout cela m'affectait très peu, au final. Néanmoins, je détestais me sentir trahie, ou avoir l'impression de me faire avoir. L'idée que William couche avec Candace me laissait plus ou moins indifférente, parce que finalement il ne s'agissait que de sexe. Je voulais seulement être mise au courant. Car pour moi, tromper ça ne consistait pas en l'acte de coucher avec quelqu'un d'autre, mais bien en l'acte de cacher cette relation. Bon, ceci dit, je concevais assez bien que ce n'était pas forcément un point de vue très répandu.

A-t-elle seulement conscience que je lui ai menti lorsque je lui ai signalé qu'il n'y avait rien d'intéressant dans cette chemise ? J'en doute. Parce qu'au contraire de la plupart des personnes sur cette terre mon travail me passionne, je n'aime pas suffisamment le genre humain pour éprouver une certaine satisfaction en les défendant. C'est ma satisfaction personnelle qui me motive ici, j'aime gagner, j'aime remporter des affaires même si mes clients mériteraient sans doute de finir leurs vies en prison. Non, j'ai une toute autre idée de ce dont je souhaite parler avec Dagga, je n'ai pas de temps à perdre. Je lui demande à quoi elle boit et sa réponse me laisse perplexe. Elle trinque à la fin de l'aventure, c'est plutôt étrange, ils sont tous entrain de se plaindre à propos d'un futur retour à la vie normal. « J'ai l'impression qu'on est les deux seules personnes à être impatiente de rentrer chez nous... » Et c'est navrant en quelque sorte. Je pense qu'on est trois en réalité, Callan n'a aucun problème avec ça non plus mais c'est une façon de parler. « A rien, j'ai simplement soif. » Et je bois du vin à même le goulot, c'est logique. J'en profite ensuite pour lui faire part de certaines choses, je suis loin d'être une entremetteuse je m'en fiche totalement qu'ils passent leur vies ensemble ou non, mais les malaises ça me fait chier. Et sa réponse à le don de m'extirper un rire. « Je comprends et je dois dire que je partages plus ou moins ton point de vue mais j'ai tendance à être vu de façon étrange lorsque j'en parle. » Et puis, je souris parce que mine de rien, une remarque attire mon attention. « Et si l'envie me prend de remettre le couvert avec William ça ne te dérangerait pas tant qu'on te met au courant ? C'est bon à savoir... » Ouais, c'est vraiment un concept qui m'intéresse, même si finalement c'est mal. Mais le bien, le mal c'est subjectif. J'attrape la bouteille et la porte une nouvelle fois à ma bouche. C'est fou mais plus le temps passe et plus je me rends compte que j'apprécie beaucoup Dagga et sa conception de vie.

« J'ai l'impression qu'on est les deux seules personnes à être impatiente de rentrer chez nous... » J'étouffe un petit rire et me contente de sourire distraitement ; c'est pas faux. Quoique non, y'en a d'autres qui sont pressés de rentrer chez eux aussi : il me semble que Branca compte nous fausser compagnie à la fin de la semaine. Mais il est vrai que la plupart des candidats ont l'air de vouloir s'éterniser ici. Pas moi. J'ai pris ce qui m'intéressait, je suis persuadée depuis un moment qu'il me sera impossible de gagner, et j'ai juste envie de quitter cet endroit. J'en ai marre de me faire manipuler par en angelot enquiquinant au possible. Candace me répond ensuite qu'elle ne boit à rien en particulier, qu'elle a simplement soif. « Y'a un truc qui a été inventé pour ça, ce problème de soif… De l'eau, je crois – je suis pas sûre du terme. Tu devrais essayer un jour. » je lâche, taquine. Je tente ensuite de lui expliquer mon point de vue sur cette question épineuse qu'est l'amour, ce qui a le don de la faire rire ; mais elle me comprend, et c'est l'important. « Ça doit être parce que nous sommes des femmes pragmatiques et lucides, et c'est pas répandu. La plupart des gens ont été lobotomisés par la télé ou leurs lectures, ou la culture dans laquelle ils baignent. Ils sont complètement déconnectés de la réalité de l'être humain. Tu m'étonnes que ça marche jamais, les mariages, avec des modes de pensées pareil… » je commente, bien partie sur ma lancée. Et je ne saurais trop dire si tout cela m'amuse ou, au contraire, me rend amère. Sans doute un peu les deux. Elle évoque de nouveau William, et sa question me fait sourire. « Ça me ferait rien. Enfin, je dis ça, mais c'est purement théorique. Je crois que ça pourrait m'affecter, mais seulement si William voyait là-dedans plus qu'une partie de jambes en l'air. Mais si tout le monde est d'accord sur le fait qu'il s'agisse que de sexe… Ceci dit, je crois que j'ai quand même envie qu'il tienne à moi plus qu'à toi, donc ça doit vouloir dire qu'il ne me laisse pas non plus indifférente. Mais qu'est-ce que c'est compliqué tout ça… » Je lève les yeux en l'air en poussant un petit soupir, même si encore une fois j'emploie le second degré et refuse de prendre tout cela trop au sérieux. Je crois que, au fond, ce n'est pas Candace que je considère comme une menace. C'est William – il est une menace pour moi, pour mon équilibre de vie, pour mon goût farouche pour l'indépendante.