+ Jarek

Je n'ai jamais été un gosse comme les autres, à cause de mon père évidement, et du fait que je n'ai pas eu de vraie mère. Quand j'y pense, je me dis que ça ne m'a pas manqué tant que ça, si j'avais reçu suffisamment d'amour et d'attention, si j'avais été élevé autrement, par d'autres personnes, si je n'avais pas vécu dans le luxe, si je n'avais pas eu cette cuillère en argent dans la bouche et tout le reste, je ne serais pas qui je suis. Mais d'un autre côté, je me dis que j'ai dû louper pas mal de trucs. J'aime à me dire que je compense en ayant parfois un comportement un peu immature alors que je suis maintenant plus ou moins adulte, mais je sais que je n'aurais pas été un vrai gosse, et je ne pourrais jamais l'être pour de vrai. Merci papa, merci maman. Je ne peux pas trop m'en plaindre non plus, j'ai eu une belle vie comparé à certains puisque j'ai toujours nagé dans l'argent, que j'avais toujours le nouveau jouet à la mode, que j'ai su développer cette faculté d'adaptation qui me caractérise, mon côté un peu joueur, manipulateur, peut-être aussi, mais je n'ai pas été enfant. Du moins, je n'en ai pas l'impression. Je ne suis monté dans une auto-tamponneuse qu'une seule fois dans ma vie jusqu'à maintenant, par exemple. Je ne sais pas si c'est vraiment grave, mais c'est l'impression que j'ai. Je m'approche des petites voitures quand j'aperçois un candidat qui se dirige vers moi. Je souris d'un air amusé à Jarek. « Tiens, t'en a eu marre de la muscu donc tu viens jouer aux petites voitures, maintenant, l'ancien ? » Que je lui demande tendis que mon sourire s'étale un peu plus sur mon visage pâle. Il est sorti de sa salle de sport. C'est incroyable ! Non, je plaisante, je me doute qu'il doit faire autres choses de ses journées, et à mon avis il ne venait pas initialement pour faire mumuse avec les petits bolides, mais tant qu'à faire, maintenant qu'on est là, pourquoi pas s'y essayer, hein.

☽J'étais allongé dans un des transats de la terrasse. Il faisait beau, il faisait chaud, je profitais du soleil de la région pour faire le pleine de vitamine D avant de retourner à Londres pour y retrouver la pluie habituelle. Bon ok, il ne faisait pas gris tous les jours. J'étais mauvaise langue pour le coup. Bref, j'étais posé sur la terrasse en short et débardeur avec mes lunettes de soleil sur le nez quand j'aperçus Esteban. Je n bougeais pas. Il ne m'avait pas vu et je le regardais se diriger vers les auto-tamponneuses. Je me redressais et m'avançais alors vers lui. Il m'adressa un pic moqueur. Je baissais mes lunettes pour le fixer. « Bah écoute, je préfère éviter de faire de la concurrence à vous autres, les p'tits gringalets du nid. Tu n'as pas voulu de mon aide pour t'embellir, je fais donc avec. La preuve, je viens faire mumuse avec les petites voitures pour partager mon temps avec toi ! Je m'adapte. C'est bien là la clef d'une certaine sociabilité, non ? » Lui répondis-je avec ironie. Je remettais mes lunettes en place et donnais une légère tape sur l'épaule du jeune homme. Il semblait intéressé par ce jeu. Des auto-tamponneuses. Je n'étais pas monté dans un de ces bolides depuis des années. A croire que j'en avais presque oublié l'existence même ce genre d'attraction ne devait pas se perdre. C'était comme le vélo. Une fois appris, on ne pouvait oublier comment en faire. « On essaye ? » Puisqu'il ne proposait pas. Je le faisais pour lui.

Alors comme ça l'ancien, soit Jarek le musclé est venu faire joujoue du côté des autos-tamponneuses pour changer un peu de la salle de sport. Je ne l'aurais pas imaginé vouloir se la jouer grand enfant, remarque je ne me serais pas non plus imaginé avoir ne serait-ce qu'une petite envie de faire un essai. Un sourire s'étire sur mes lèvres quand Jarek me demande si la capacité d'adaptation n'est pas la clef de la sociabilité. « Je suppose que oui. » Que je commence par répondre. Je fais partie d'une catégorie de gens qui s'adapte assez bien à son environnement, son entourage, donc je pense en effet que ce que l'ancien avance est en partie vrai. Il me donne une tape dans le dos, si je n'avais pas un temps soit peu de muscle je serais tombé à la renverse, mais heureusement, j'arrive encore à tenir debout. Je me décale légèrement, me frottant le cou. « Et donc t'es là pour passer du temps avec moi ? » C'est trop d'attention d'un coup pour un gosse comme moi qui n'a jamais eu de parent réellement présent. Je pense que j'aurais bien aimé avoir un père comme Jarek, il est plutôt cool dans son genre, bon après c'est pas dit qu'il soit le même  type avec des connaissances qu'avec son propre enfant. En tout cas c'est sympa de sa part de s'intéresser un peu à moi, je le mérite après tout, il me semble. Le candidat me demande alors si j'ai envie de jouer. Je fixe une des petites voitures un instant avant de relever la tête vers Jarek. « Bah ouais. J'espère que t'as l'estomac bien accroché, hein. » Je ne vais pas le ménager, non, j'ai bien envie de me défouler et de lui en faire voir de toutes les couleurs, comme les cheveux d'Apolline. J'espère donc qu'il n'aura pas envie de renvoyer son dernier repas. En tout cas s'il le fait j'espère qu'il aura au moins la présence d'esprit d'éviter de me viser, sinon je pourrais être encore plus chiant à l'avenir. Ouais, c'est dur à croire, je sais, mais demandez à mon père, je peux être pire que je ne le suis actuellement si j'en ai envie, ou qu'on me dégueule dessus, hm.

☽Je le regardais se décaler suite à ma tape dans le dos. Je n'avais pas mesurer ma force et le jeune homme semblait surpris par ce coup. J'en étais un peu amusé mais je ne dis rien, ne cherchant pas à l'enfoncer. Je ricanais. Si j'étais là pour être avec lui... Oui, apparemment. Il n'y avait personne d'autres autour de nous. J'acquiesçais alors d'un signe de tête positif, me préparant mentalement pour remonter dans ces bolides de ma jeunesse. Si j'ai l'estomac accroché ? Évidemment, je suis un accro des sensations fortes. J'adore ça. Saut en parachute, à l'élastique, vitesse, sports extrêmes. J'adorais et ce n'est pas un tour d'autotamponneuse qui me tuerait après avoir sauté à plus de 3000 mètres du sol. C'était même de la rigolade. « Et j'espère pour toi que tu t'es préparé à être bousculé. » Lui répliquais-je en me dirigeant vers l'une des voitures. Je choisis la première que se présenta et montais dedans. C'était certes trop petit pour un homme comme moi mais je m'y ferais. Je n'avais pas le choix. J'appuyais alors sur l'accélérateur et je partais à reculons, percutant les autres voitures derrière moi. « Ça commence bien... » Je tournais alors le volant et repartais à toute allure. Je faisais un tour puis deux. Je reprenais mes marques et alors que je voyais Esteban prêt à jouer, je lui fonçais dessus. Je riais et des souvenirs des fêtes foraines de mon adolescence remontaient à la surface. « Pas trop mal, gamin ? » Lui demandais-je par pur provocation pour qu'à son tour il me cherche. C'était bien ça le but du jeu. Alors jouons !!

Bon, maintenant que nous sommes là, le gamin et l'ancien, il me semble qu'un petit duel générationnel s'impose et quoi de mieux que des autos-tamponneuses pour se mesurer l'un à l'autre. J'espère qu'il a l'estomac bien accroché, et lui que je me suis préparé à être bousculé. Et comment ! Je lui lance un sourire en coin, d'un air de dire que je suis bel et bien prêt, que ça ne me fait absolument pas peur. On s'installe chacun dans la voiture de notre choix, puis la partie commence rapidement. Jarek commence par aller à reculons, ce pas doué. Il fonce dans quelques petites voitures et ce spectacle me fait assez rire, mais pas pour longtemps puisque presque immédiatement après, l'ancien me fonce dedans. Et ça le fait rire en plus. Pff. Moi je me fends pas la poire tant que ça pour le moment, hein. Il me demande si je n'ai pas trop mal. Mal à pour mon égaux surtout, mais ça va vite passer, qu'il ne s'en fasse pas. « Tu ferais mieux de t'inquiéter pour toi, si tu veux mon avis. » Que je lui dis tout en faisant reculer ma voiture. Je faisais un tour rapide de la piste, ayant compris le fonctionnement de l'engin bien plus rapidement que mon aîné, puis je venais le percuter sans éprouver le moindre remord. Désolé mais ce n'est pas mon style, surtout que ce n'est qu'un jeu, n'est-ce pas. J'essaye de m'en aller le plus vite possible de son champ d'action avant qu'il ne reprenne totalement ses esprits après ce choc et ne me décide de me prendre en charge pour me bousculer à nouveau. Mais je n'ai pas l'intention de le laisser me toucher à nouveau, j'ai déjà été bien gentil de le laisser faire la première fois, ça suffit maintenant.

☽Esteban n'hésita pas. Il me menaça. J'affichais un sourire en coin pour lui prouver qu'il ne me faisait pas peur. Je le regardais alors prendre ses marques et avançais dans son bolide. Je le faisais également dans mon coin, me préparant à un nouvel assaut parce que je ne comptais pas me laisser pour satisfaire l'égo de mon partenaire de jeu. S'il était mauvais joueur, ce n'était pas de ma faute. S'il ne voulait pas perdre, qu'il prenne les choses en main car je ne comptais pas me laissais faire. Mais le choc me perturba. Je ne l'avais pas vu venir et, alors que je reprenais mes esprits, je l'entendais au loin conduire. Les mains sur le volant, j'accélérais d'un coup. La bataille pouvait commencer. Un coup partout. « Si tu crois que tu vas m'arrêter juste avec ça, tu ne me connais pas encore assez bien ! » Je fonçais alors sur lui. Je le percutais sur le côté tandis qu'il tentait de fuir. J'avais de bons réflexes et je ne laisserais pas passer une occasion de remporter la victoire. « Alors... Inquiet ? » Je riais avant de reculer à toute vitesse. Je lui fais un clin d’œil, l'air de dire "attrapes-moi si tu peux".

Je ne dois pas lui faire bien peur avec mes petites répliques qui se voudraient menaçantes mais bon, j'ai au mois le droit d'essayer. Et puis c'est plutôt une bonne chose qu'il ne se méfie pas de moi, au moins j'ai plus de chance de le surprendre comme ça. D'ailleurs, c'est ce que j'arrive à faire après avoir effectué une jolie petite manœuvre. Je l'avais percuté de plein fouet et il me semble que ça l'avait un peu sonné, tant mieux, ça me laissait un peu plus de temps pour tenter de fuir. Il me dit que je le connais mal si je pense que ça va l'arrêter. Je me ris bien de lui, tiens. Mais c'est vrai d'un côté, je ne le connais pas tant que ça, et j'espère bien qu'un petit coup comme celui-là ne va pas l'arrêter, ce serait bien dommage, on commence à peine à s'amuser. Monsieur a maintenant bien compris à quoi servait toutes les pédales et me poursuivait en allant presque aussi vite que moi. Au bout d'un instant, il m'était même rentré dedans. « i Joder ! » Que je lançais alors. C'est que je venais de me cogner le genoux contre une autre voiture et ça faisait un mal de chien. Merde, quoi ! Mais bon, je vais m'en remettre, ça me fait mal maintenant mais demain je ne sentirais plus rien, il ne me restera plus qu'un bleu. Enfin, j'espère. Il me demandait alors si j'étais inquiet. « Pas le moins du monde. » Non, à peine. En vrai, un peu, si, parce que s'il continue à me percuter de la sorte je risque de finir avec des bleus de partout. J'ai pas envie qu'il m’abîme trop quand même, ça serait bête retourner chez moi en pièces détachées. Mais je vais pas laisser faire comme ça, non, ce serait mal me connaître. En plus il se met à rire comme pour me donner encore plus envie de me venger. Je ne vais pas hésiter une seconde de plus. Je lui fonce dedans alors qu'il est au milieu du terrain. Grâce à mon petit bolide, j'arrive à pousser le sien jusqu'à l'autre bout de l'espace de jeu ou sont garée quelques autres voitures et Jarek se retrouve donc coincé entre elles. Je me mets à ricaner. « Carambolage ! » Que je m'exclame alors en lui jetant un coup d'oeil mesquin. J'ai au moins marqué dix points là. Et je m'enfuis à nouveau rapidement dans ma petite auto avant qu'il ne décide de répliquer. On dirait bien qu'on est retourné en enfance, autant lui que moi, et je crois que j'aime bien ça, c'est plutôt marrant.