“ somewhere I heard that life is a test ”

w/teddy

Jorah se surprenait lui-même, quand il en venait à repenser à toutes les fois où il s'était trouvé des excuses pour ne pas avoir à emprunter un ascenseur, même si cela lui avait parfois valu de monter dix étages de marches interminables. Parce que depuis qu'il était ici, mine de rien, il avait quasiment emprunté l'ascenseur plus de fois qu'il avait du le faire durant tout le reste de sa vie. Pourtant, la tentation était bien souvent forte de porter son choix sur les escaliers, qui après tout faisaient office de valeur sûre pour ceux qui comme lui avaient encore du mal avec la claustration, mais il ne perdait pas de vue le fait qu'il ne pourrait pas ignorer son problème toute sa vie, ainsi donc qu'il valait mieux traiter le mal à la racine tant qu'il en avait l'occasion. C'est donc déterminé une fois de plus à faire des efforts qu'il s'était planté devant l'un des deux engins. Il appela alors l'appareil, mais comme certaines fois, celui-ci prit son temps pour lui répondre, ou plutôt pour lui faire le plaisir de lui ouvrir ses portes. Et quand ce fut enfin le cas, il constata qu'une jeune femme s'y trouvait déjà, une petite brune dont il connaissait le nom, mais pas grand chose d'autre, étant donné qu'elle était entrée un peu plus tard que les autres. Là, il hésita à monter, et avança simplement un pied pour dissuader la porte de se refermer avant qu'il ne soit fixé. « Dis, s'il nous arrive un pépin, et que tu t'en sors et pas moi, tu te sens de recueillir mes dernières volontés ? » fut alors l'absurdité qui franchit la barrière de ses lèvres. Oh elle allait sûrement le trouver barge, mais même un Jorah déterminé à affronter ses appréhensions restait un Jorah très porté sur l'extrême. « Je dis ça parce que je garantis pas que ça sorte en anglais, sur le moment, donc si t'étais calée en azéri, ou en turc à la rigueur, je te cache pas que ça m'arrangerait. » Parce que lui, il parlait les deux, mais elle, c'était déjà moins sûr.

Les jours ici passent à une vitesse folle, sans doute parce que je m’amuse tout le temps. Non, pas tout le temps, il est vrai que j’exagère un tant soit peu mais il faut dire que c’est en partie ce que je fais. Il y a toujours pleins de gens à qui parler et ce partout, que ce soit dans les chambres ou dans le jardin ou même sur la plage. Il est bien rare que je me retrouve seule, ce qui me dépayse vraiment de ce grand manoir familial que j’habite seule dans une morosité incroyable. Au moins maintenant je n’ai plus besoin de télévision pour entendre des voix chaleureuses puisqu’il y a tout un casting de camarades à ma disposition. Je prévois d’ailleurs d’aller rendre visite à Ulysse qui doit sans doute lire un livre ou ranger ses caleçons à l’étage. Ca m’est égal qu’il les laisse trainer au pied de son lit mais vraiment je me demande pourquoi il laisse ça là. N’y a-t-il pas un dressing ? Qu’importe, je le remercie de se prêter sujet à ma réflexion matinale chaque jour qui passe. Habituée au confort et préférant en cette soirée ne pas avoir à gravir toutes les marches qui me séparent du deuxième étage, je me décide à filer dans l’ascenseur. Les mains sagement croisées devant moi, j’attends avec un fin de sourire que les portes se referme et lorsqu’elles entreprennent de le faire… un pied vient s’immiscer dans mon champ de vision. Remontant le regard vers la personne je vois Jorah ; personne dont j’aurais eu du mal à retenir le prénom tant il y en a de ressemblants ici, entre Jarek et Joanès je m’étais un peu perdue il est vrai. « Dis, s'il nous arrive un pépin, et que tu t'en sors et pas moi, tu te sens de recueillir mes dernières volontés ? » Autant dire que sa requête est étrange mais je ne perds pas pour autant la face et lui accorde un sourire dans une courtoisie parfaitement maîtrisée. « Bien sûr si cela t’est agréable. » Il pense donc que nous risquons de mourir ici ? Je suis tout à coup bien moins sûre de mon envie d’échapper aux escaliers « Je dis ça parce que je garantis pas que ça sorte en anglais, sur le moment, donc si t'étais calée en azéri, ou en turc à la rigueur, je te cache pas que ça m'arrangerait. » Oh… cela ne fait pas parti des langues étrangères dont j’ai appris l’utilisation mais on peut toujours se débrouiller. Par ailleurs c’est intéressant d’apprendre quelles sont les origines du jeune homme, je n’aurais pu vraiment les deviner. Il faut dire que nous n’avons pas réellement discuté jusque-là. « Je suis simplement douée en formules financières mais je pense que je pourrais toujours trouver une dérive avec les chiffres pour traduire tes paroles. » En tout cas ce n’est pas la mauvaise foi qui m’accable, je pourrais vraiment essayer de trouver une dérive. Les portes se ferment… pourquoi je prends tout ça aussi à cœur ? « Tu penses vraiment que l’on risque de mourir ? » Je lui adresse tout à coup un regard inquiet, pouvant détailler les pupilles de ses yeux de tout près. « Et ça veut dire que tu me fais confiance en me confiant tes dernières volontés ? » Mes questions vont toujours par paires, c’est une habitude et disons que je suis beaucoup trop curieuse pour me contenter d’une seule. Cela dit ça me toucherait qu’il me fasse confiance mais je ne pense pas, non. Nous ne nous connaissons même pas alors…

Quatre-vingt dix pour-cent du temps, Jorah était optimiste. Il voyait de bons cotés à tout, relativisait dès que possible et restait persuadé que le meilleur restait à venir. Mais quand il était question d'un ascenseur, il avait déjà un peu plus de mal à partir du principe que tout se passerait bien. Il ne se souvenait pas avec précision de ce qui l'avait à ce point traumatisé, mais le fait est qu'il n'était jamais tranquille à l'idée d'être enfermé dans cette sordide cabine, suspendu à des câbles qui pourraient rompre, quoi qu'on dise sur les probabilités de mourir dans un ascenseur. Lui, il trouvait ça angoissant, ainsi ça n'était jamais avec beaucoup d'enthousiasme qu'il montait dans ces appareils. Voilà pourquoi, ici comme à chaque fois qu'il s'apprêtait à prendre son courage à deux mains pour y entrer, et après s'être rendu compte que Teddy y avait déjà pris place, il chercha à savoir si, dans l'hypothèse où il leur arriverait un sale truc, elle consentirait à recueillir ses dernières volontés. Jorah avait beau dramatiser la situation, il prenait ce genre de choses au sérieux malgré tout. Non pas qu'il ait déjà précisément réfléchi à ce que seraient ses derniers mots, mais c'est vrai qu'à choisir, il préférerait savoir que quelqu'un serait là pour recueillir ses propos si venait sa dernière heure. Cela dit, il restait un problème. Spontanément, si Jorah passait l'arme à gauche et qu'il avait le temps de laisser échapper quelques paroles, il était très probable que ce soit dans sa langue natale, et non pas en anglais, qu'il ne parlait pas encore assez naturellement pour que ça devienne chez lui une sorte de réflexe. Et c'est vrai qu'autant on pouvait se débrouiller avec le français ou l'espagnol, autant l'azéri, ça n'était pas la langue que chacun avait déjà eu l'occasion de parler. « Bon, dans ce cas, si vraiment je dois y passer, je te promets de pas claquer trop vite, pour que t'aies le temps de faire tes petits calculs » qu'il exprima, dans un court rire, lorsqu'elle lui parla de faire d'une dérive avec les chiffres. « N'empêche qu'à force d'entendre tout le monde me parler de chiffres, je vais finir par croire que je suis le seul gland à pas savoir faire plus qu'une division élémentaire. » Vu que déjà, Krisjana lui avait fait part d'une théorie au sujet des chiffres, alors que tout ça n'avait jamais été son truc. Finalement, il se décida à entrer et les portes purent enfin se clore. A la question de Teddy, il esquissa un sourire. « Je dirais qu'il n'y a pas de risque zéro, et que puisque je me suis toujours vu mourir jeune et violemment, ouais, c'est pas impossible qu'on soit bientôt dans la merde. » Bon, là il exagérait. S'il croyait absolument à ce qu'il disait, il l'aurait sûrement énoncé sur un autre ton. Là, il adressa un clin d’œil à la brune, pour qu'elle ne panique pas, quand même. « Je vais pas te mentir, j'aurais pas proposé ça à tout le monde. Mais toi, t'as une bouille plutôt rassurante, alors ouais, sur le coup je t'ai tout de suite fait confiance. » Il était comme ça de toute manière, il accordait très facilement sa confiance, qui plus est à ceux qui avaient l'air aussi inoffensifs. « De toute façon, si j'avais tort de me fier à toi, tu me le dirais pas hein ? » Logiquement, non, elle pourrait plutôt vouloir exploiter sa naïveté. Mais encore une fois, elle lui inspirait confiance. Et généralement, il était pas trop nul pour cerner les gens.

« Bon, dans ce cas, si vraiment je dois y passer, je te promets de pas claquer trop vite, pour que t'aies le temps de faire tes petits calculs » Je lui accorde un sourire amusé et le remercie poliment. Même si je pense que nous n’aurons pas l’utilité de grandes formules mathématiques pour une simple montée en ascenseur je lui en suis reconnaissante. Jorah m’explique alors qu’il n’est même pas dans la capacité d’exécuter une simple division. Les calculatrices sont là pour ça, bien que les novices et les expérimentés ne les utilisent pas à même escient. « Oh vraiment ? Ce n’est pas si compliqué, je t’assure. Mais si ça ne t’est pas utile dans la vie…tu as raison de ne pas t’embêter avec ça. Qu’est-ce que tu fais dans la vie d’ailleurs ? » Le candidat est finalement rentré dans la cabine, je me demandais quand est-ce qu’il se déciderait mais j’imagine que je l’ai mis en confiance ou qu’il a tout simplement surpassé sa peur de la mort. Malgré tout il me semble nécessaire de lui demander s’il sent vraiment cette mort arriver car si c’est le cas j’aimerais vraiment m’y préparer bien qu’entre nous je ne crois pas à ce genre de croyances stupides et irréalistes. « Je dirais qu'il n'y a pas de risque zéro, et que puisque je me suis toujours vu mourir jeune et violemment, ouais, c'est pas impossible qu'on soit bientôt dans la merde. » Gros yeux à l’appui, je le fixe dans une surprise que je ne dissimule pas. Jorah a donc toujours, quelque part dans son esprit, cette notion de mort pouvant arriver au moindre tournant de rue ? Lord. « Quelle tristesse que de savoir sa mort proche. Tu dois vivre dans l’angoisse Jorah. » Je crois que j’ai repris mes airs d’avocate au sommet. Je ne suis cependant pas naïve, et j’ose d’ailleurs espérer que les paroles de mon camarade ne sont qu’exacerbées dans cette petite cabine celée où nous sommes prisonniers. Je lui demande par la suite s’il me fait confiance car je suis vraiment flattée par sa confession, ce n’est pas tous les jours qu’un casi-inconnu nous offre sa confiance en une parole. Vraiment je suis touchée, c’est comme si on était amis. Un ami… ce serait génial. « De toute façon, si j'avais tort de me fier à toi, tu me le dirais pas hein ? » Les gens malins ne dévoilent pas leurs cartes or moi je pense être quelqu’un de malin donc je ne dévoilerai rien. « Bien sûr que non. » Je lui accorde un sourire qui lui dévoile mes dents parfaitement brossées quelques heures auparavant. « Mais si on est amis alors tu n’as aucun soucis à te faire. » C’est la condition. J’ai envie que Jorah devienne mon ami, voilà. Je lui mets un peu le couteau sous la gorge n’est-ce pas ? Mais après tout il n’est pas obligé d’accepter même si nous sommes dans une cabine… étroite… fermée… seuls.