BABOU

Assise sur le sol, la tête penchée, je remonte de mon index mes lunettes qui glissent sur mon nez. J'entends un bref raclement de gorge. Et merde. Je suis grillée. Je dois avoir l'air d'une gamine avec mes feuilles coloriées à la main entrain de faire mes origamis, plutôt réussis qu'on se le dise, en plus ! Avec une lenteur délibérée, je reprends une position presque convenable en redressant vaguement mon dos, je lève la tête et je croise le regard de Babou. Vite, il me faut une diversion.   « Tu veux qu'on fasse une bannière de soutien pour Benjamin ? » je lui demande en haussant les épaules, c'est une idée comme une autre non ? Bah quoi ? Il y a bien dix minutes j'étais entrain de me faire des éventails que j'ai même pris le temps de colorier. Je me suis inspirée du bordel capillaire d'Apolline pour choisir mes teintes, c'est pour dire, je crois que je ne peux pas tomber plus bas maintenant, alors au point où j'en suis. Autant que je perde mon temps complètement aujourd'hui, mais que cela serve à quelque chose. Un léger silence s'installe. « Ne me regarde pas comme cela, je m'ennuis en ce moment » je me justifier en poussant un léger soupir. « J'ai du temps à revendre quoi » j'en rajoute une couche histoire de bien me faire comprendre, aucun malendu, parce qu'habituellement, ce n'est pas mon délire. J'y pense, on pourra prendre un drap, faire la pub de Benjamin et l'accrocher dans le salon et à force de harcèlement visuel, les gens voteront pour lui, cela me semble une idée de génie.

Je lance une esquisse d'idée pour nous occuper ce soir. Elle m'annonce qu'elle en a déjà fait pour Benjamin, non mais aussi si tout le monde me prend mes idées c'est totalement normalement que je n'ai plus rien à faire, que je m'ennuis. Elle me propose Simon. Je fais une légère moue comme si j'hésitais pendant une poignée de seconde. « D'accord, on en fait une pour Simon » je concède alors. Je suis vraiment trop généreuse parfois, c'est ce que je me dis. « Attends, je reviens » je lui dis avant de me relever sans trop de difficulté et d'aller courir pieds nus pour emprunter les escaliers et j'arrive dans l'une des chambres. Oui, j'avais déjà repéré les lits vides suite aux départs des autres. Je soulève rapidement l'une des couettes avant de tirer sèchement sur le drap qui vient rapidement à moi. Puis tranquillement, le bout de tissus dans mes bras je fais le chemin inverse en empruntant cette fois l'ascenseur qui est libre, pour changer. D'ailleurs, il faudra que j'en fasse une pour Silas, au point où j'en suis. Mais je l'imagine bien poser sur moi son regard dédaigneux en me demandant ce que je fous. C'est tellement son genre, en plus. Bref. Je retrouve vite Babou, je me suis absentée deux minutes, même pas, je suis une flèche. Je m'entends bien avec Junior. « Oui, ça peut aller » je tempère alors, il est vrai que je l'aime bien ce vieux Simon.  Je préfère modérer car s'il venait à apprendre que je l'apprécie, ses chevilles viendraient à gonfler et honnêtement, ce n'est pas bon. Même si parfois il est lourd avec son Krisjorah.  Ce que ne manque pas de souligner Babou, au passage. Simon est notre plus grand fan, oui, j'ai même envie d'ajouter qu'il est le seul et l'unique. « Il a tendance à aimer pousser les gens l'un vers l'autre, effectivement » je concède alors.  « Alors qu'il devrait s'occuper parfois de ses propres relations avec les autres » je balance en sifflant. Bon, on s'y met ?

Je reviens rapidement avec notre support. J'étale le drap sur le sol, en vérifiant qu'il soit bien à plat. Je finis par me retrouver allongée sur le ventre, appuyée sur mes coudes près de notre futur bannière. Elle me reparle du mouvement Krisjorah qui a commencé par Junior, car après, les autres candidats ont commencé à m'en parler, bizarrement. Si c'est en passe de se faire ? « Je n'en sais rien, on verra bien » je réponds, évasive, en haussant les épaules. Je n'aime pas forcément me projeter. Quant au fait qu'on soit proches, bah, ça fait quand même sept semaines et il est la personne que je préfère ici, donc c'est un peu normal non ? Nous ne sommes pas une cause perdue. « Je savais bien qu'il t'avait contaminé, toi aussi » je laisse échapper avec un léger sourire, amusée. « Tu est tout sauf neutre » je déclare alors parce que Junior l'a fait adhérer à sa cause. Junior ou Simon ? Euh ...« On peut mettre les deux non ? » je lui demande alors en posant un regard interrogateur sur la belle. « Va pour Junior alors » je dis, parce que franchement, j'ai un peu envie de dire qu'on s'en fout, l'important c'est juste qu'ils votent pour lui, après ... « Tu as un petit message perso à lui passer, au point où on est ? » je demande en esquissant un rictus narquois en posant mes prunelles claires toute à fait innocentes sur la demoiselle. J'dis ça, j'dis rien mais si elle veut dessiner un petit coeur sur le drap, ce n'est pas moi qui va la brimer, elle peut y aller. En attendant, je me contente d'inscrire un "votez huit" en lettres capitales, je m'applique car on m'a souvent dit que j'ai une écriture de médecin. Bien que je trouve cela totalement injustifié, hein. Je ne cautionne pas. Là, je suis plus que lisible. « Faut qu'on la rende un minimum attractive, quand même » je souligne en levant ma tête vers Babou. J'pense pas qu'on va se contenter d'un "Junior, votez 8" sinon, vive la bannière complètement pourrie et assez peu personnalisée. Je rampe rapidement, tel Rambo, pour aller chercher mes feutres de couleur, en attendant un éclair d'inspiration, on pourrait toujours en avoir besoin, on ne sait jamais.